The Impressions, The Young Mods’ Forgotten Story (Curtom, 1969)

The Impressions The Young Mods' Forgotten StoryBrûlez What’s Going On ! Brûlez Songs In The Key Of Life. Nous n’en avons plus besoin. Vous pouvez même emporter There’s A Riot Goin’ On ou tout autre Masterpiece sur une île déserte, nous les avons suffisamment écoutés. A vrai dire, prenez tous les classiques que vous voulez mais laissez-nous un exemplaire du plus important. LE disque de soul de cette période dorée : The Young Mods’ Forgotten Story. Pas le plus en vue hein ? Nous sommes d’accord ! Pas le plus évident non plus, mais il est ici question de soul et comme c’est l’âme qui prend les commandes, on s’autorisera un peu de mauvaise foi. On tentera tout de même de faire cohabiter celle-ci avec un brin de factuel. Un peu de tangible ne peut pas nuire au propos… Côté mauvaise foi, disons-le d’entrée de jeu : Curtis Mayfield fut le plus grand ! Pour une dizaine d’années au bas mot. Celles comprises entre 65 et 75. Et plus précisément encore, celles qui s’étendent du monumental People Get Ready au prodigieux There’s No Place Like America Today. Inutile d’argumenter, personne n’a tenu une telle cadence parmi ses contemporains. Virez-moi toutes les Aretha et tous les Otis, nous les avons assez entendu ; Mayfield mérite un peu plus de place pour figurer en tête de gondole au plus près des géants officiels.

Jerry Butler & The Impressions
Jerry Butler & The Impressions

Du côté des faits, on dispose de quelques bricoles à faire valoir : Les Impressions donc ! Un lancement en forme de faux départ avec le brillant Jerry Butler et l’affaire sembla pliée. Un peu prématurément… For Your Precious Love (1963), gravé pour l’éternité et repris avec maestria par Oscar Toney Jr et, soyons bon joueur, plus que dignement par Otis Redding, aurait suffi à beaucoup. La participation de Curtis Mayfield à cette perle early soul serait suffisante pour que son nom soit stocké dans la mémoire de quelques amateurs. Mais il y a eu la suite… Et quelle suite ! Un aller-retour New-York-Chicago pour poursuivre l’aventure chez ABC-Paramount et notre homme prenait les rênes des Impressions devenus un trio. En moins de temps qu’il n’en fallut pour signer ce nouveau deal, ce drôle de bonhomme de dix-neuf ans s’inventait un futur en balançant un premier standard titré Gypsy Woman.

Fidèlement épaulé par les ex-Roosters Fred Cash et Sam Gooden, le natif de Chicago ne devait pas en rester là. De It’s All Right à We’re A Winner, de Keep On Pushing à Meeting Over Yonder que le Style Council reprendra brillamment dix-huit ans plus tard, Mayfield semblait pouvoir pondre ses mini-classiques à une cadence infernale. On ne parle pas ici de mini-classiques par condescendance mais bien de formidables chansons exposées à l’éclairage d’un incompréhensible succès en demi-teinte. Pour la majorité des singles des Impressions, les classements R’n’B limitaient la casse mais jamais les Impressions ne pouvaient rivaliser avec le succès colossal de Motown ou d’Atlantic. Par chance, ces hommes furent capables de tenir la distance sur le long format. The Never Ending ImpressionsDès The Never Ending Impressions (1964), deuxième album publié sous l’étiquette ABC-Paramount et première véritable œuvre du trio cité plus haut, le groupe se révèle comme un solide coureur de fond. Tout d’abord, la majeure partie des chansons portent la signature de Mayfield, un phénomène qui n’est pas si courant à une période où les reprises fournissent une large part des LP de soul music. Ensuite, les nombreuses séances réalisées par le trio ne représentent qu’une partie de l’activité de Mayfield. Le jeune homme est sur tous les fronts et, pour conserver ce métaphorisme marathonien, il bénéficie d’un entrainement aussi régulier que performant. Enfin, l’activité discographique du groupe sur le format 33 tours correspond au début d’une longue et fructueuse collaboration entre Curtis Mayfield et le jazzman arrangeur Johnny Pate. Certains ont peut-être relevé le nom de Pate sur le splendide album Movin’ Wes de Wes Montgomery (1964) dont il signe les arrangements. Car, comme disent quelques anciens : Johnny Pate vient du jazz. Drôle de formule pour suggérer que le type connaît son boulot. Il sera de fait un pilier essentiel dans le développement du Chicago Sound comme dans celui de la musique proposée par les Impressions tout au long des sixties. Sur disque, la complémentarité entre Pate et Mayfield se vérifie sur quelques albums splendides enregistrés avant le durcissement du mouvement pour les droits civiques. Il sera alors temps pour Curtis Mayfield et son fidèle associé Eddie Thomas de lancer le label Curtom et d’épouser pleinement le militantisme de la soul de cette période agitée.

This Is My Country chantent Mayfield, Cash et Gooden sur le premier album paru chez Curtom. Cette Amérique qui change, cette Amérique qui se divise et voit s’obscurcir son avenir est au cœur de l’inspiration du leader des Impressions. Elle lui donne également l’opportunité de faire preuve d’un humanisme bouleversant. Et nous voici donc en 1969, l’année de parution de ce faramineux The Young Mods’ Forgotten Story. Après les assassinats de Robert Kennedy et de Martin Luther King, Mayfield signe une nouvelle œuvre dominée par un message social, teinté cette fois d’une sorte de noirceur absente des réalisations antérieures. Car les modernistes de Mayfield n’ont guère de points communs avec les Small Faces. Chez lui, ce sont davantage quelques hommes dotés d’une vision progressiste, humaniste et donc moderne. Cela étant, le morceau-titre renvoie évidemment aux modernists de la fin des années 50 et du début de la décennie suivante. Ceux-là même qui, dès le début des années 60, vénéraient Mayfield. Gypsy Woman avait bien sûr fait son effet et aucun mod digne de ce nom n’était passé à côté de The Monkey Time que la paire Pate-Mayfield avait confié à Major Lance. Curtis Mayfield en Angleterre et particulièrement chez les mods, ce n’est pas rien. On n’est pas près d’oublier la relecture de I Love You (Yeah) par The Action, brillante formation de Kentish Town. Avant que Move On Up s’invite dans le répertoire des Jam, le compositeur avait déjà laissé de profondes traces chez les jeunes modernistes. Il semble sans doute logique de regarder dans le rétroviseur alors que s’achevaient les sixties. La musique a changé, l’environnement social également. Pour autant, le onzième album des Impressions n’a rien d’une œuvre passéiste ou nostalgique. Ce disque est au contraire ancré dans son temps, dans ses thèmes comme dans le choix de son orchestration. Sur ce dernier point, Mayfield avait également décidé de soigner son départ imminent du groupe en offrant un final resplendissant. Outre Johnny Pate, fidèle à son poste d’arrangeur, on note la présence d’un deuxième homme à cette même fonction. Avant de laisser à son tour une trace importante dans l’histoire de la musique noire américaine, Donny Hathaway, récemment arrivé dans les rangs de Curtom, apparaît ici au poste d’arrangeur, renforçant de fait l’expertise de Pate. On ne s’étonnera donc pas d’entendre un album qui regorge de trouvailles sonores.

Dès Choice Of Colours, touchant questionnement sur la condition de l’homme noir dans l’Amérique de Nixon, le disque dévoile une ambition sonore stupéfiante. Elle ne sera à aucun moment prise à défaut. Aussi riches que délicats, les arrangements sophistiqués conçus par les deux hommes font cohabiter les voix du groupe avec toutes sortes d’instruments à cordes ou à vent s’en jamais sacrifier une qualité d’écriture arrivée à un niveau prodigieux. De Wherever You Leadeth Me, armé d’une basse surréaliste qui maintien le Chicago sound tout en faisant de l’œil au seventies naissantes à ce Seven Years obsédant qui dresse un pont entre les racines doo wop du groupe et la future carrière solo de Mayfield, il est difficile de trouver un moment faible sur cet album. Le temps d’un 33 tours, Curtis Mayfield trouva un équilibre parfait entre la soul élégante de son groupe d’origine et le groove contagieux qui marquera ses réalisations antérieures. Alors bien sûr, l’histoire retiendra prioritairement Curtis (1970), le premier album qui verra le jour quelques mois plus tard ou, plus encore, la fascinante bande son de Superfly (1972). Bien sûr, The Young Mods’ Forgotten Story ne viendra certainement pas bouleverser une hiérarchie bien établie sur les chefs-d’œuvre certifiés de la soul à tendance black power. Cependant, nous avons tous nos propres classiques, nos disques de chevet et le droit de réclamer fissa une réhabilitation d’œuvres honteusement passées sous les radars. Et croyez-le ou non, celle-ci n’est pas des moindres.


The Young Mods’ Forgotten Story par The Impressions est sorti sur le label Curtom en 1969.

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