En feuilletant des vieux numéros de Best à la recherche d’iconographie pour le précédent épisode de ma série Nos années cassette, je suis tombé sur cette petite annonce : « Curiosités, fanzine original dévoué corps & âme à The Cure. 6 numéros parus, détail contre 1 timbre à Curiosités, 26 rue d’Edimbourg, 75006 Paris ». J’ai eu un moment envie d’envoyer trente ans plus tard une enveloppe timbrée à cette adresse, dans l’espoir d’une hypothétique réponse, mais l’entreprise ressemblait fort à une bouteille jetée à la mer. J’ai demandé à Christophe, que j’avais préalablement interviewé, s’il avait gardé contact avec le responsable de cette publication. Et par le jeu des réseaux sociaux, j’ai pu m’entretenir avec un autre Christophe, exilé en Bourgogne, qui a accepté de revenir sur ses années fanzines.
Christophe : Je suis loin d’être un fan de la première heure, ayant eu 15 ans fin 1984. J’ai donc découvert The Cure en pleine adolescence… au moment où le groupe explosait en France, avec la sortie de The Head On The Door. C’est sans doute grâce à eux que je suis passé du format 45 tours au format 33 tours. Puis j’ai commencé à écouter des cassettes pirates… Je suis incapable d’expliquer l’émotion qui naît en moi chaque fois que j’écoute la musique de ce groupe, la symbiose mélodie-voix de Robert Smith reste pour moi unique. C’est, peut-être, de l’ordre de l’inconscient… Rapidement, j’ai eu besoin d’aller au-delà de la collection et de communiquer cette passion. J’ai passé une petite annonce dans Best pour rencontrer d’autres fans et j’ai lancé un premier fanzine consacré à The Cure, Curiosités, qui était de l’ordre du pur exercice d’admiration. Le premier numéro, très modeste, est sorti en octobre 1986.
Y avait-il d’autres fanzines consacrés à The Cure en France à l’époque ?
Christophe : Il y avait notamment Three Imaginary Boys, qui était édité à Avignon. Avec une ligne différente, très sérieuse – et à mes yeux un peu ennuyeuse. Et il y avait le fanzine anglais officiel, Cure News, avec une périodicité qui était calquée sur l’actualité du groupe – donc irrégulière. Je lisais beaucoup de fanzines ou de revues musicales, qu’ils soient monomaniaques comme le mien, ou généralistes. C’était la grande époque ! Je me souviens notamment de New Wave, l’Equerre, ou encore des premiers numéros des Inrockuptibles que j’avais acheté à la librairie Parallèles, au milieu d’autres publications alternatives de l’époque.
A combien d’exemplaires éditiez-vous Curiosités ?
Christophe : Entre 50 et 100 exemplaires. C’était un journal totalement bricolé, monté à la colle et au ciseau, assez brut… dont la qualité des photocopies variait selon que le toner arrivait à sec (rires). Nous avions pourtant reçu un jour une lettre manuscrite de félicitations de la part de Robert Smith lui-même… en provenance du Brésil, au printemps 1987.
Combien de temps cette aventure a t-elle duré ?
Christophe : Il y a eu 8 numéros en tout – le dernier date de décembre 1987. Ensuite, j’ai marqué deux ans de pause. Puis j’ai commencé à travailler dans une boutique de photocopies qui avait pignon sur rue, à Paris, et j’ai eu à ma disposition – en dehors des heures de travail – des moyens de production qui me permettait d’aller plus loin que Curiosités. Alors j’ai consacré un autre fanzine à The Cure : Anomalie, qui comportait cette fois beaucoup de contenu exclusif, notamment des interviews avec des musiciens qui avaient travaillé avec Cure, des producteurs, des graphistes, mais aussi un portfolio original à chaque fois, consacré à un photographe : Richard Bellia, Pierre Terrasson, Michel et Philippe Hamon, Tom Sheehan… Grâce au petit réseau que j’avais créé, je recevais des contributions de collaborateurs en Belgique, en Suisse, en Angleterre, Italie, etc. L’idée était d’offrir un regard différent sur le groupe. Et nous avons eu la chance de bénéficier de la bienveillance de grands frères comme François Gorin, Michka Assayas ou Claude Gassian qui nous avait offert un tirage photo réservé aux souscripteurs du numéro 1. Les photographes étaient très réceptifs et bienveillants face à notre juvénile enthousiasme…
J’ai été surpris, en feuilletant Anomalie, par le professionnalisme : tirage en offset, cahier photo sur papier glacé, textes traduits…
Christophe : Nous avons toujours eu envie d’éditer un bel objet. Nous avions lancé une souscription pour le numéro 1, grâce à laquelle nous avons pu financer les 750 exemplaires. Pour le numéro 4, chaque couverture était illustré d’un pochoir réalisé à la main sur chacun des 1500 exemplaires, à partir de trois modèles différents. Nous avons également eu la chance de bénéficier du regard -bénévole- d’un graphiste professionnel, Alain Frappier, grand amateur de musiques – c’est à lui notamment qu’on doit la pochette des premier albums de MC Solaar. Pour l’anecdote – et il me l’a dit bien plus tard – il a fait partie du groupe Baroque Bordello au début des années 80, et avait alors croisé la route de Lol Tolhurst… Il est aujourd’hui auteur de romans graphiques.
A l’époque d’Anomalie, le rock n’était pas encore considéré avec le même sérieux que la littérature et le cinéma.. A la hauteur de nos moyens, nous avons tenté d’inclure le rock à la « grande culture ». On pouvait lire dans Anomalie aussi bien une recension méticuleuse des tournées live du groupe, qu’un article sur Antonin Artaud. J’avais aussi réimprimé un article sur le rock écrit par un jésuite, qui avait parue dans la très sérieuse revue Etudes. Je me souviens que c’était un passionné du tout jeune groupe Ride, qu’il était allé rencontrer en Angleterre. Ce groupe était quasiment placé à la même hauteur que Heidegger dans la thèse en Sorbonne qu’il avait consacré au philosophe !
Quels étaient vos rapports avec le groupe ?
Nous avions de bons rapports avec Polydor, la maison de disques, et Jules Frutos qui les faisait tourner avec sa structure S.O.S, qui deviendra Alias. Ensuite, notre but n’a jamais été de faire partie de leur entourage. Je me souviens d’une invitation à un après-concert organisé par NRJ, en présence de toutes les vedettes de la radio. Je n’ai jamais été à l’aise avec le côté mondain.
Avez-vous fini par rencontrer The Cure ?
Oui, et c’est d’ailleurs ce qui a précipité la fin du fanzine ! Nous avons décroché une interview exclusive avec Robert Smith. Nous étions six à candidater. Et on nous a fait savoir que seulement deux d’entre nous auraient droit d’y assister. Ça a été un drame dans l’équipe ! Cette interview, qui a été réalisée en octobre 1992 juste avant un concert au Zénith, n’a jamais été publiée… Cette tournée était brillante, notamment les interprétations de A Forest… Rencontrer le groupe a marqué la fin de cette aventure. C’est comme si, inconsciemment, le but avait été atteint.
Tu n’as jamais été tenté de remonter un fanzine ?
Non. A la fin d’Anomalie, j’ai eu l’occasion de faire mon objection de conscience à la Cinemathèque Française, où je me suis occupé du bulletin mensuel. Mon expérience de coordinateur au sein d’Anomalie m’a servi de carte de visite. J’ai transféré toute mon énergie sur l’histoire du cinéma.
Et tu n’as jamais été tenté d’écrire ?
Non, l’écriture n’a jamais été mon but et j’ai trouvé mon moyen d’expression plus tard avec la peinture. Ce qui m’intéressait le plus avec Anomalie, c’était la transmission et le partage avec les talents et les énergies de chacun… Nous voulions vraiment nous démarquer de la propagande officielle, avec de l’analyse, des textes écrits à la première personne comme celui d’Andy Gardiner – qui allait ensuite se faire connaître en tant que DJ sous le pseudo de Vicarious Bliss.
Aujourd’hui, quel est ton rapport avec The Cure ?
J’ai dû les voir pour la dernière fois en concert en juillet 2004 pour le festival Musilac, à côté d’Aix-Les-Bains. Je me souviens encore du contraste entre les « corbeaux » dans le public et le temps absolument magnifique ce jour-là, la lumière sublime sur le lac du Bourget. Dans mon souvenir, Cure a joué lorsqu’il faisait encore jour. Retourner voir Cure à 50 ans me parle moyennement. Mais je suis toujours ému par la voix presque intacte de Robert Smith – je suis étonné, chaque fois que j’ai l’occasion de regarder un concert récent sur internet, de la force qu’elle dégage encore. J’écoute donc toujours avec autant de plaisir ce groupe…
Bravo pour cette article , ayant vécu cette époque et toujours en possession de ces magazines que j’avais achetés , toujours un plaisir de lire son passé vécu par des passionnés de l’époque
arnaud marseille