Eliane Radigue, Trilogie de la mort 1988-1993 (Experimental Intermedia)

Eliane Radigue
Eliane Radigue

Invisible habitant l’invisible
Philippe Jaccottet

Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre
Paul Verlaine

C’est Éliane Radigue elle-même qui le dit (*) : « L’écoute est une chose merveilleuse. »
Toute la littérature qui s’accumule sur et autour de l’œuvre d’Éliane Radigue ne peut exonérer de l’expérience fondatrice, originelle, improbable de l’écoute de son œuvre. Il est préférable de commencer par là, même si on sait que la curiosité sera motivée par tel ou tel passeur, tel ou tel passage, qu’elle sera donc nourrie de biais, d’idées, d’une certaine idée de soi aussi – si légère soit-elle, cette idée de soi, croisée avec un certain désœuvrement, sera ce qui permettra de lancer la première écoute de Kyema, le premier des trois morceaux qui forment la Trilogie de la mort.
On est, on sera donc cette personne censément formidable qui écoute Éliane Radigue, cette musique dite formidable.
Et c’est tant mieux.
Même quand on se jette dans une eau un peu froide pour frimer auprès des filles et des garçons, ça n’empêche pas d’apprécier par la suite le roulis, la flottaison, le goût du sel ou la sombre profondeur d’un lac, voire la conjonction-succession de ces éléments. Et si on y reste suffisamment, et si on laisse l’eau recouvrir le bruit de nos urgences, oui, peu à peu, on apprécie la baignade pour elle-même et mieux, parce que l’on est en train de se baigner, parce que l’on ne fuit plus. La curiosité ? Ça marche pareil : on cherche quelque chose, souvent de la confirmation, et le temps donné fait qu’on trouve toujours autre chose – d’infiniment plus riche – à moins d’être un satané démiurge.
Comme les morceaux de musique d’Éliane Radigue durent souvent une heure et plus, avec rien de persistance et de motivation, on a le temps de laisser glisser curiosité, biais, recherche, tout le bazar.
Il suffit de nos jours d’un casque et d’une connexion.

*

Un bourdon apparaît, ni sourd ni clair. Il vibre. Ses vibrations forment des oscillations, des périodes, des séquences solitaires ou chevauchées, jamais tout à fait séquences, ça ne revient jamais complètement identique. Montent et descendent des harmoniques, le timbre glisse, un autre bourdon est là, ou est-ce le même, différent ? Quand a-t-il changé ? A-t-il vraiment été autre que mon souvenir ?
Etc.
Décrire plus, c’est finalement ne rien dire de mieux que ce qui s’écoute.
On se prend d’un sentiment pour les sons et leurs événements, leurs lentes apparitions et disparitions, que j’appellerai « amitié ». On pourrait aussi écrire « sympathie », à la polysémie plus précise, mais qui manque ce qui peu à peu s’installe chez l’auditeur : la confiance complète en ce que la musique patiemment élaborée par Radigue va susciter en lui. La musicienne se défend d’ailleurs d’avoir conçu une musique dédiée à la méditation, une musique-outil : cette musique est là pour elle-même, épurée mais subtile, élaborée, riche. J’aime énormément écouter des disques de gars qui se balade sur une plage en ramassant des galets pour les jeter par terre, ou le bruit que fait mon frigo à l’instant où j’écris – ce n’est pas toujours le cas –, j’apprécie l’émotion provoquée par le vent traversant la ramure d’un arbre. Et je crois que je les apprécie mieux depuis l’écoute de la musique de Radigue, ou plus souvent disons, plus facilement, parce qu’on a tous déjà arrêté de remâcher tel message numérique ou texto toujours pas reçu et si attendu, tel dialogue imaginaire, telle petite histoire dans notre cervelle – pour finalement lever les oreilles – mais qu’on oublie souvent de le faire.
Et que se donner le temps de le faire, ça, ça peut s’apprendre.
Une musique peut nous l’apprendre.

*

L’amitié ressentie à l’écoute dure, comme la musique dure, tout le temps en train de changer, tout le temps là et pas là, tout le temps – présente. Un truc dans l’oreille donc – Éliane Radigue découvre tard, au milieu des années 1970, que l’une de ses oreilles fonctionne mal, sans doute depuis l’enfance.
Elle a alors déjà fréquenté beaucoup de vies. L’enfance est à Paris pendant la guerre et sous l’occupation, où sa professeur de piano nourrit sa passion isolée – famille non musicale – pour la musique et sa théorie. Elle se découvre le goût primordial de la modulation, ce moment quand l’harmonie vacille d’une tonalité à une autre, quand l’indécision est richesse, joie des possibles. Ce moment quand la musique change encore un peu plus.
Elle compose, comme un exercice.
À 18 ans, envoyée en villégiature à Nice par ses parents, elle rencontre l’artiste Arman, s’installe là-bas avec lui, pas loin de l’aéroport dont elle écoute et apprécie les avions. Elle continue d’étudier autant que possible, la théorie musicale et la harpe, sans talent d’interprète. Trois enfants arrivent vite, l’art et la carrière d’Arman se développent. C’est un âge d’immense curiosité avec ses périodes, avec la découverte du travail de Pierre Schaeffer à la radio, avec une soif spirituelle continue qui l’amène à une conférence de Lanza Del Vasto, propagateur de l’hindouisme et de la non-violence en France – conférence où se trouve aussi Pierre Schaeffer, qu’elle rencontre donc, enfin.
Celui qui entend aussi bien les moteurs d’avion que le reste, et qui prétend créer de la musique composée de leurs sons.
L’évidence parle, elle fréquente le Studio d’Essai à Paris, aide, coupe de la bande, apprend en assistant Schaeffer et Pierre Henry la musique concrète alors que celle-ci est encore dans son âge héroïque.
Elle est femme de, mère à Nice, assistante à Paris. Schaeffer considère que sa formation est terminée, lui fait une lettre de recommandation pour le directeur de la Maison de la radio à Nice afin qu’elle puisse travailler sur leurs appareils, l’équipement coûtant encore une fortune à l’époque. Ledit directeur la reçoit brièvement, et l’éconduit après avoir « manifestement bien plus évalué [mon] anatomie que mon talent ». Ce sont les années 1950.
Elle donne des conférences sur la musique concrète, élabore des projets, favorise les rencontres de cette musique, notamment avec le cinéma.
En 1958, Schaeffer et Henry se brouillent, et Radigue, tiraillée entre Nice et Paris, fait le choix de placer sa famille avant la musique concrète, avant sa propre création. Arman l’emmène à New York pour de nombreux séjours dans les années qui suivent. Avec James Tenney en guide, elle fréquente là-bas toutes les avant-gardes, écoute des musiques qu’elle ne connaît souvent que par les livres, retrouve la bouffée d’air John Cage, refuse néanmoins de s’y installer en compagnie d’Arman, refuse d’y être « la femme du maître ». Le couple se sépare en 1967, conservant amitié et confiance. Elle déménage à Paris avec ses enfants et devient de nouveau l’assistante de Pierre Henry pour son immense Apocalypse de Jean, supportant le caractère impétueux du compositeur jusqu’à la création du magnum opus au théâtre de la Gaîté-Lyrique, 24 heures de rang, avant de quitter son studio. En dédommagement de son travail bénévole, il lui donne deux magnétophones, une petite table de mixage, des enceintes. Elle ajoute un autre magnétophone et un micro, et se trouve ainsi libre de travailler avec son propre matériel mieux que dans les interstices laissés par Schaeffer et Henry.

*

Débute la période dite des feed-backs, que Radigue produit principalement par la réinjection continue d’un son entre deux magnétophones – les deux étant à la fois sources et capteurs – à distinguer des larsens, qui sont un type de feed-back survenant quand un micro en quelque sorte « s’écoute lui-même dans une enceinte ».
Le larsen, qu’elle découvre avec Henry, génère surtout des notes tenues, angoisse primordiale de l’ingénieur du son en concert, délectation du guitariste de pop moderne depuis I Feel Fine des Beatles.
Le feed-back tel qu’obtenu puis maîtrisé, inventorié, contemplé, organisé, composé selon le procédé de réinjection qu’elle a rapporté des États-Unis, crée surtout des battements plus ou moins lents, pouvant accélérer jusqu’à la pulsation, et qui deviennent son premier vocabulaire propre : « Je me sentais dans l’époque où les bergers d’Arcadie et les philosophes grecs découvraient les lois de l’acoustique naturelle et en développaient les règles auxquelles nous devons tant de merveilles dans notre musique occidentale ; avec un même questionnement sur ce que pourraient être d’autres bases musicales à partir de ce nouveau langage. »
Éliane Radigue compose dès lors beaucoup, expérimente, explore les fréquences en ralentissant notamment les ultrasons, mêle les tenues et les battements, joue ses œuvres dans ce qui ne sont pas des installations – il n’y a pas de terme alors pour ces diffusions, elle y échappe –, fait parfois intervenir le public sur la pâte sonore elle-même. Elle produit beaucoup, frôle le happening, envisage des performances qui ne peuvent parfois pas avoir lieu faute de l’existence du matériel adéquat.
Et c’est aux États-Unis qu’elle s’admet musicienne, parce qu’elle y est reconnue telle, et que sa musique est reconnue comme musique là-bas par tous les grands : John Cage, Steve Reich, Phil Glass, James Tenney donc, David Tudor.
Elle cherche ainsi, libre enfin, privilégiant les feed-backs jusqu’à Opus 17 qui, avec le même matériau, retrouve une durée définie et dont l’idée de développement est organisée, circonscrivant l’aléatoire de façon décisive. Pour continuer cette musique qu’elle a décrit dans un programme selon les mots de Paul Verlaine « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre », il faut une résidence au Mills College, et il faut la rencontre avec l’instrument de tous les possibles, le synthétiseur.

ARP 2500
ARP 2500

*

Le premier est un Buchla.
Comprendre.
Le fonctionnement, les possibles et ce qu’ils peuvent offrir, les inutilités aussi, les impasses.
Il ne s’agit pas de produire la musique dictée par cet instrument, mais la musique de la compositrice pour cet instrument, une musique écrite dans le vocabulaire ébauché avec les feed-backs. Ce qui prend quelques mois et donne d’abord Chry-ptus, créé en 1971 à New York.
Elle cherche un autre synthétiseur, plus ergonomique, qu’elle pourrait acquérir : le Buchla du Mills College est modulaire, et les différents modules qui contribuent à la génération du son sont connectés les uns aux autres par les fameux plats de spaghettis de câbles qui gênent l’accès aux potentiomètres, ne cessent de se débrancher, l’encombrent alors qu’elle utilise peu de fonctions, mais de façon fine, filtres et modulations principalement.
Credo : le plus simple est le mieux.
Quand elle découvre l’ARP, l’instrument s’impose comme une évidence par son interface matricielle d’interrupteurs, alternative géniale et épurée à la salade de câbles, et par sa voix délicate, reconnaissable, subtile.
La méthode qui finalement dérive de la musique concrète se poursuit et s’affine : répertorier un catalogue de sons, organiser ce catalogue en solfège, composer dans ce solfège, enregistrer cette composition. Nourrie par la période des feed-backs, elle s’attache à la transformation du son et au battement. Enfin, avec le synthétiseur, il est devenu possible de faire glisser tenue en battement et réciproquement, de modifier fréquence et forme d’onde, type, fréquence et ouverture de filtre, de faire résonner, chanter, battre les différentes harmoniques, de moduler, de faire circuler enfin d’autres sons que ceux générés par les oscillateurs du synthétiseur dans ses filtres et modulateurs, permettant des effets de « surgissement de réel » saisissants.
Cela nécessite un travail infini de collecte, d’écoute, de réflexion et d’inspiration, de pauses nécessaires avant d’élaborer des partitions improbables récapitulant tous les événements, et tous les réglages nécessaires, les potentiomètres à tourner, le son produit étant en permanence mouvant, en devenir, en modulation. Il s’agit ensuite d’exécuter, pour enregistrer. De s’y reprendre pour enfin parvenir à un résultat avec le moins d’accidents possibles, toutes les séquences nécessaires mixables, et mixées convenablement. Puis de jouer l’enregistrement au moins une fois devant un public, ça suffit, avant de passer à l’œuvre suivante.
Ça paraît fou, car l’extrême lenteur des modulations, leur caractère infime, s’exprime dans des durées en rapport, souvent autour de l’heure, parfois plus longues, qui rendent l’auditeur d’autant plus incrédule : le son qui s’écoule des enceintes et semble tout envelopper – malgré ou grâce à la monophonie –, de seconde en seconde, n’est jamais le même.
Ce n’est pas un drone.
C’est autre chose, c’est accueillant, c’est de la musique, du temps qui s’écoule et sur lequel on peut se concentrer, s’échapper, revenir. Une musique qui propose le temps nécessaire à son élaboration dans le temps de son écoute, qui propose la lisière avec le silence aussi. Chaque événement de la musique est toujours déjà là, pas de sursaut mais des joies parfois qui grandissent.
En moyenne, une année est nécessaire à la production d’une pièce, le rythme de production ralentit donc, une idée ou une image donnant la direction.
Arrive la première partie de la trilogie Adnos. À l’issue d’une exécution en 1974 au Mills College, trois jeunes bouddhistes français annoncent à Radigue que cette musique n’est pas d’elle. Troublée, elle se rend à son retour en France au centre bouddhiste parisien dont ils lui ont communiqué l’adresse. C’est aussi la période où elle découvre la surdité partielle de l’une de ses oreilles, une deuxième question à sa création.
Elle envisage finalement la surdité comme ce qui a permis à son autre oreille d’être aussi développée et sensible, elle envisage le bouddhisme comme une évidence, la voie de l’impermanence, même si sa musique ne sera jamais « bouddhiste » malgré les thèmes à venir et l’idée que l’on peut se faire d’une « musique de méditation » : « Pour moi, la spiritualité et l’engagement envers la musique sont semblables à deux rails. Ils ne se rejoignent pas en s’entrecoupant, mais par le train qui roule dessus. »
Adnos II et III voient le jour lentement, avec une première allusion au bouddhisme dans la partie Danse des Dakinis de ce dernier. Radigue n’imagine plus voyager pour présenter son travail, ne se reconnaissant plus à cause de son ouïe défaillante la capacité de contrôler correctement sa diffusion. Elle fréquente assidûment le centre bouddhiste de la rue Philippe-Hecht à Paris, où elle suit les enseignements de Pawo Rinpoché, l’un des maîtres de la branche karma-kagyu de l’école kagyüpa, l’une des quatre écoles contemporaines du bouddhisme tibétain. Elle le suit aussi en Dordogne, dans des retraites. Elle s’éloigne de la musique, y revient l’hiver, peu, sur les Adnos qui décidément traînent. Elle interrompt quasiment cette pratique. Le toit du centre en Dordogne a besoin de réparations, elle propose de vendre son instrument pour les payer, son maître refuse, lui dit qu’il y a des karmas qui doivent se vivre, et la pousse de nouveau sur la voie de la musique.
Elle se remet au travail.

*

Les œuvres qui suivent, si elles ne sont pas bouddhistes ou cérémonielles, signalent par leurs thèmes l’engagement spirituel de la compositrice. Les moyens musicaux employés sont les mêmes, toujours immenses, toujours renouvelés.
Les Chants de Milarepa (1983) donnent à entendre, par-dessus le chant de l’ARP 2500, quelques-uns des enseignements de ce maître tibétain des XIe et XIIe siècles de notre ère lus en tibétain par Lama Kunga Rinpoché, qui lui a transmis les textes, et en anglais par Bob Ashley, les deux d’un ton très doux dilué dans le synthétiseur. Radigue imagine alors faire des Chants de Milarepa pour le restant de ses jours, par gratitude, mais Jetsun Mila (1986), dédié au même, bifurque vers une évocation sans paroles de sa vie.
Puis Pawo Rinpoché donne sans raison précise à la compositrice les instructions pour étudier le Bardo Thödol, le fameux livre des morts tibétains.
Ce qui donne Kyema, la première partie de la Trilogie de la mort, décrivant les états intermédiaires, les bardos, dans des suspens poignants, comme si d’infimes carillons synthétiques voyaient leurs tintinnabulements dépourvus de début ou de fin. On entend au milieu de la pièce une boucle d’orchestre mêlée, unifiée avec le lent son-océan dont les vagues d’harmoniques et de battement ne font que se calmer jusqu’au souffle, au sifflement ténu sur des étages infinitésimaux, jusqu’à l’extinction dans l’extrême douceur.
Puis Yves Arman, le fils d’Arman et d’Éliane Radigue, meurt dans un accident de voiture peu après la création de l’œuvre, qui lui est dédiée a posteriori.
La compositrice entame la deuxième partie de la trilogie, Kailash, part en longue retraite, reprend et achève le travail sur le plus sacré des pèlerinages dans le bouddhisme tibétain autour de la montagne du même nom, jamais gravie, un pèlerinage qu’elle effectue en musique, son plus sûr véhicule. Les couleurs sont grises d’abord malgré les harmoniques, et l’abord dure dix minutes avant que l’on sorte des premières ondes, que le chemin fasse son œuvre, que les battements nous accueillent enfin, sans que l’on n’ait perçu d’inquiétude. On se balade finalement un peu plus entre le nez levé vers les paysages à droite à gauche et la marche lente, volontaire, calme, que dans Kyema et ses états intermédiaires et mouvants, que dans Kyema et sa mort.
Puis c’est le tour de Pawo Rinpoché, son maître, de faire le passage.
Et donc Koume est consacré lui aussi au passage et à sa transcendance, donnant à entendre peu à peu dans le déjà là d’abord des trompes rag dun puis, quelques minutes plus tard, des gyaling, un genre de hautbois. Le passage, après deux heures et demi d’écoute, coupe le souffle systématiquement : une explosion sonore qui n’explose pas, exprimant une joie profonde et palpable, qui passe pourtant elle aussi, comme le reste, toujours déjà passé. Ensuite, en fin, l’ARP chante de gorge, chante diphonique, disparaît. Nous sommes en 1993 et Éliane Radigue finit le mixage de cette dernière œuvre à l’aide d’un logiciel.
C’est la fin d’une époque, ce n’est la fin de rien.

*

Le numérique ne convient pas : les 0 et les 1, malgré sa meilleure volonté et tous ses efforts, forment des échelles dans le son dont elle ne veut pas. Et l’ARP donne des signes de fatigue avant d’être sauvé pour un dernier tour loin du Tibet, une dernière idée, chez Rabelais, avec L’Île re-sonnante.
La suite pourtant est aussi passionnante : on vient la chercher. Des musiciens la sollicitent, d’abord électroniques puis, très vite, acoustiques, qui lui demandent des œuvres.
En connaissance de cause, en complète compréhension de sa musique : le solfège sonore, la modulation.
Elle met au point une pratique dont les préliminaires sont les emplettes : le musicien présente des sons, beaucoup de sons, elle choisit, organise, et transmet oralement sa composition par des suggestions, des évocations, des images, des directions. Puis le musicien donne l’œuvre. Des combinaisons de musiciens se créent, des associations, qui peu à peu donne vie à Occam Ocean, œuvre infinie par principe, sa création étant démultipliée selon la combinatoire. Puis, dans les ensembles ou en solo, les musiciens se transmettent les œuvres, l’œuvre, l’océan de Guillaume d’Ockham, substituant les harmoniques des instruments acoustiques à celles des oscillateurs.
L’océan d’Éliane Radigue, en création permanente depuis qu’elle a commencé à écouter les pianos et les avions, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.
L’océan dont la Trilogie de la mort constitue le nœud d’une œuvre continue ayant pour sujet et objet unique l’impermanence.
L’océan dans lequel on continue de baigner même après la fin de la dernière plage, chaque fois que l’on écoute quelque chose.

(* : Dans le livre intitulé Espaces intermédiaires (Presses du Réel), qui comprend notamment un long entretien par l’une de ses interprètes, Julia Eckhardt, et auquel cet article doit beaucoup.)

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