Artistiquement, Preflyte (1969) n’est certainement pas le disque le plus intéressant des Byrds mais il n’en constitue pas moins un témoignage fascinant sur l’un des groupes américains les plus importants des années soixante. En 1964, après un set au Troubadour, Gene Clark fait la rencontre de Jim (Roger) McGuinn. Tous les deux issus de la scène café folk californienne, les musiciens partagent un amour inconditionnel pour les Beatles. David Crosby rejoint à son tour le duo qui commence à répéter à trois, aux studios World Pacific, sous la houlette de Jim Dickson, devenu leur manager. The Jet-Set n’a alors pas encore de batteur ni de bassiste. Ils arrivent cependant à convaincre Elektra de publier un 45 tours sous le nom de The Beefeaters, mis en boite avec l’aide de musiciens de studio.
Plus évocateur de la British Invasion alors à la mode, ce blase n’empêche pas le disque de mal se vendre. Ils ne sont pas les seuls Américains à chercher à passer pour des Britanniques ; citons aussi les Beau Brummels, The Buckinghams ou les Golliwogs (futurs CCR). Si Elektra ne reconduit pas l’expérience, la chance tourne pour les Byrds. Dickson met la main sur un acétate de Mr Tambourine Man, un titre, alors inédit, de Bob Dylan. Le groupe s’approprie la chanson. Ils modifient le rythme (plus rock) et surtout, développent un son totalement inédit. Ils font le pont entre leurs différentes influences, du folk jusqu’à la pop des Beatles. Publiée en 1965 chez CBS, la chanson est le véritable acte de naissance du folk-rock. Entre temps, le trio était devenu un véritable groupe avec l’apport de Michael Clarke (batterie) au look à la Brian Jones et Chris Hillman, joueur de mandoline reconverti bassiste. Les Byrds s’imposent en quelques années comme l’un des groupes américains les plus importants de la décennie. Quand Preflyte sort en 1969, la formation n’est plus à son firmament créatif. Son âge d’or est passé. Son dernier album en date, Dr. Byrds and Mr. Hyde (1969) se vend péniblement. Le line-up du groupe a subi de nombreux remous et McGuinn est désormais le seul membre fondateur encore présent. Together Records, un nouveau label créé par des producteurs mythiques de Los Angeles (Gary Usher, Curt Boettcher et Keith Olsen), entend parler par Jim Dickson de bandes d’enregistrement datant des débuts du groupe. Gary Usher entreprend alors de compiler et masteriser ces enregistrements sous la forme d’un LP. Intitulé Preflyte, il fait un évident clin d’œil au nom de la formation folk-rock. Le nom des Byrds est d’ailleurs absent sur la première pochette du disque, probablement pour des questions de droits. Le producteur de Sagittarius a déjà réalisé plusieurs disques dans un esprit proche, en particulier un live de The Great Society (le premier groupe de Grace Slick) enregistré en 1966 et publié en 1968, suite au succès de Surrealstic Pillow de Jefferson Airplane. À l’époque, cette démarche est inédite. L’idée de sortir des outtakes, des enregistrements non retenus pour une publication, est en effet nouvelle. Gary Usher arrive à convaincre les trois intéressés, non sans difficultés. S’il n’est pas à la hauteur des meilleurs albums du groupe, Preflyte donne de nombreuses clefs pour comprendre l’évolution du son Byrds. En tant que telle, la compilation offre aussi une expérience d’écoute agréable, sans être mémorable. La qualité des enregistrements est tout à fait acceptable. Ils manquent certes du petit coup de lustre d’une bonne production californienne sixties mais permettent déjà de distinguer les nombreuses qualités du trio fondateur, quand bien même les intentions sont parfois incertaines. Si les harmonies vocales sont déjà présentes, elles ne sont pas aussi maitrisées et raffinées que dans les travaux ultérieurs du groupe. Il en est de même pour le fameux son jangly, marque de fabrique ultime des Byrds. Perceptibles, les guitares 12 cordes carillonnantes ne plastronnent pas et restent plutôt en retrait. La qualité d’écriture, en revanche, impressionne déjà. Quatre morceaux de ces démos (Here Without You, You Won’t Have To Cry, I Knew I’d Want You, Mr Tambourine) seront ainsi présents sur le premier album du groupe, tandis que You Showed Me deviendra un des derniers des tubes des Turtles en 1968, grâce à l’intervention du producteur/bassiste Chip Douglas, ancien membre du backing band de Gene Clark. Les six autres compositions ne déméritent pas. Si nous sentons le groupe moins à son aise sur les titres les plus nerveux destinés aux concerts (Boston), les Byrds explorent des tonalités jazzy, qui leur vont très bien, sur la magnifique The Airport Song.
Cette dernière est signée de Crosby et McGuinn. Gene Clark se taille cependant la part du lion et écrit la majorité du répertoire du groupe sur Preflyte. Il est certainement le Byrds qui a eu le plus de malchance dans sa carrière ultérieure. Un vrai crève-cœur tant le bonhomme était doué. L’influence des Beatles est omniprésente, notamment sur les excellentes You Won’t Have To Cry et I knew I’d want You. Le groupe américain, a ainsi, dès ses débuts, compris l’apport de la formation de Liverpool et l’a réinterprétée, mieux que quiconque, dans un contexte nord-américain. Le petit succès de Preflyte à sa sortie démontre l’intuition de Gary Usher. Le public s’intéresse aux artefacts de groupes populaires. Plus cruellement, pour les Byrds, il pouvait aussi s’agir d’une forme de désaveu du groupe et son évolution. Quoi qu’il en soit, Preflyte nous permet de rentrer dans l’intimité d’un des plus grands groupes des sixties, tout en ayant l’œil avisé d’un grand producteur de musique pour nous y guider. C’est aussi un disque attachant, sans être le plus renversant de la discographie des Byrds.