Ce matin même, je réécoutais In And Out The Light – ai-je d’ailleurs cessé de l’écouter ? – quand mon cœur s’est, comme à chaque écoute, emballé lorsque la voix de Peter Milton Walsh a lâché ces mots magnifiques : « If I could, l’d put some blue sky in your head ». Pendant un instant, je n’étais plus sûr des mots que j’entendais, – est-ce head que j’entends ou est-ce hair ? -. C’est comme si un coup de pinceau s’était posé sur cette toile musicale – head est effacé, le pinceau pose hair -, la phrase devient alors : « If I could, l’d put some blue sky in your hair ». La lumière de la chanson se transforme, elle devient plus douce – ou différente – mais reste toujours aussi belle. Les images, les souvenirs, changent eux-aussi, nous sommes ensemble, elle et moi, nos regards sont entremêlés, nos cœurs aussi, et avec le revers de ma main, j’écarte avec tendresse ses cheveux…
Je suis sur la route, dans ma voiture, là où je me sens, comment dire, vivant. « Mais qu’importe, la route c’est la vie » – Jack Kerouac -. C’est ici, seul, en mouvement, que je préfère écouter The Apartments. Les paysages défilent – 24 images par seconde -, la chanson que j’écoute à cet instant précis change la couleur du ciel. C’est la trompette de Things You’ll Keep qui fait irruption et je me dis que A Life Full Of Farewells est le plus beau vernis musical pour les matins de printemps. Au moment même où j’écris ces mots dans ma mémoire, c’est la chanson Paint The Day White, et ses dernières lignes, qui viennent me frapper – « You’re at the bottom of nowhere, on a spring day » -. Matins de printemps… Spring day… Ce n’est en rien le hasard. Parfois, souvent même, ma vie s’incruste ou se reflète dans ces chansons sans que le hasard y soit pour quelque chose. C’est comme ça, c’est tout.
Et puis, peu importe l’album, peu importe la chanson, j’y décèle toujours des traces associées à des histoires, ou plutôt à une histoire, qui me ramènent à mon passé, à mon présent. Des morceaux de vie à peines visibles, glissés ente les paroles, entre les mélodies, comme des indices obstinés d’un temps lointain.
Une voix à la radio me ramène sur la route, dans la vie – « La peinture, la sculpture, ce sont des arts qui passent par le regard. » – et cette voix, j’ai envie de lui répondre qu’il existe une musique, celle de The Apartments, qui, comme la peinture, comme la sculpture, passe elle aussi, par le regard. Peter Milton Walsh est un homme transi par le cinéma, d’un cinéma qui n’existe plus, qui se vivait, qui nous faisait fumer ou embrasser les filles comme on l’avait vu dans les films. C’était toute l’histoire de la Nouvelle Vague, de mêler vie et cinéma, c’est l’essence même des chansons de The Apartments de mêler vie et musique.
Flash-back.
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Je me souviens de cet après-midi de septembre à Annecy, où sous un porche, lunettes noires et imperméable crème, je me suis pris en photo dans un magnifique clair-obscur. La photo est alors postée sur la toile et parmi les quelques commentaires, celui de Peter Milton Walsh me comparant alors à Lemmy Caution, le personnage du film Alphaville. J’ai passé la soirée dans les rues d’Annecy, faisant semblant d’être un autre, les shalalala de Mr Somewhere dans la tête.
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Je roule toujours, plongé dans un monde où les souvenirs s’hybrident avec la musique, où ces chansons et sa constellation de personnages, d’histoires, de souvenirs parlent entre eux. Ils ont quelque chose en commun – ces chansons, ces souvenirs -, ils semblent infirmes d’un amour perdu.
Cet amour perdu, cette femme-fantôme désincarnée qui traverse en somnambule les chansons, notamment celles de In and Out The Light, je l’imagine vêtue de mes souvenirs, sous les traits de Françoise Hardy ou de Jeanne Moreau ou bien d’Anna Karina ou bien de…
Derrière les textes, derrière les mélodies, derrière les arrangements, il y a donc cette présence / absence lumineuse, que j’entends parfois – cette voix qui chante des notes-fantômes derrière Peter Milton Walsh -, que je vois également – un visage aux contours flous avec un regard magnifié par la mélancolie -.
Vous comprendrez que lorsque la musique prend fin, la réalité pour moi se termine, ne reste que l’ombre des chansons. C’est comme ça que je les vois ces chansons, comme des ombres ; mais des ombres qui seraient réelles et qui diraient le réel de la réalité. Sans ces chansons, sans ces ombres, il n’y aurait pas de réalité. Du moins la mienne.
Seul… en mouvement… écouter The Apartments… tomber… amoureux… tomber… dans la solitude… rouler… à travers la lumière déclinante… la lumière est jaune… le ciel est bleu… recommencer à vivre… du moins essayer… faire face à ses émotions… des scènes d’abandon tombent sur les touches de piano… retenir ses larmes… du moins essayer… se souvenir… il est des paysages qui soufflent des vérités, des révélations. J’ai posé la mienne en offrande au lac sur les reflets azurés…. réécrire… il est des musiques qui soufflent des vérités, des révélations. J’ai posé la mienne en offrande sur les reflets ambrés du vinyle de In and Out The Light…
S’arrêter.