Supermalprodelica, Tremolo / Pinku (autoproduction)

supermalprodelica

Il y aurait deux périodes à discerner dans l’œuvre de Supermalprodelica. La première remonte à l’aube des temps, entre 1997 et 2002 : le jeune Mazamétain installé à Paris met en boite un album qui porte ce nom à rallonge entre sort de Mary Poppins et jeu sur le vocable « super mal produit », si je crois me rappeler. Il paraît en vinyle sur le label d’un certain Martin Dupré, Paperplane. Cet album qui devait, en pleine folie électronique, l’amener quelque part vers un eden mérité (un contrat avec la major Sony) l’aspire finalement dans un trou noir, la maison de disque calant à résoudre le désenchevêtrement des samples employés à gogo par Michel Wisniewski (pour un histoire complète et détaillée, suivre la page de Section 26 consacrée à l’affaire et rédigée par Philippe Dumez il y a quelques temps). A la suite de cette déception, Supermalprodelica erre dans une sorte d’oubli prudent (ne plus utiliser son nom pour des raisons légales), même si de bien belles pièces continuent de sortir en catimini, notamment deux titres magnifiques pour le label Antimatière (que je connais bien, puisque je m’en occupais) en 2002. Il y aurait à écrire le roman de cette période tant ce 33t originel (et ces maxis ou remix liés) continue de briller comme un diamant noir au fond de la nuit de la techno house française, on va s’y attacher bientôt, si Michel est d’ac.

Dix ans plus tard, vers 2012, Supermalprodelica renaissait dans une autre peau : cette fois, l’aventure était intimement liée à la musique électronique mais délaissait les rythmes pour des plages improvisées plus proche du labo que du club, même si le club avait déjà des allures étranges au départ. En effet, Michel met en place avec deux autres personnes, Joseph Ghosn, critique et musicien (Discipline notamment) et Stéphane Prigent à la baguette graphique, un label de cassette, Scum  Yr Earth. Cultive ton jardin, d’une certaine manière. Le trio produit, en marge des systèmes, un catalogue d’une grande ouverture avec une prédilection non-exclusive pour les musiques planantes, parfois psychédéliques, froides, bruitistes, produites sur des machines par des génies isolés, des exfiltrés de la nuit, souvent sous des alias encore plus abscons que leurs intentions artistiques. Pas de promotion, peu d’événements, pas d’interviews, Scum Yr Earth ne fournit comme mode d’emploi à ses auditeurs que des textes distanciés, plein d’humour, sur la page BC du label. La musique de Supermalprodelica se transforme donc en s’installant dans ce nid, cette niche qui rallie les exilés du bruit, avec les fanatiques d’expression institutionnelle dans la lignée du GRM, et compose des objets étranges (cassettes presqu’only), comme un album de reprises de Marie et les Garçons !

Michel Wisniewski
Michel Wisniewski / Photo : Sandrine Champdavoine

Pour la première fois depuis longtemps, cependant, Michel Wisniewski s’éloigne de ce véhicule anti-royal pour prendre un peu l’air en s’offrant, en cet été 2021, ce qui ressemble à un diptyque : dans un format encore plus limité que la cassette ou le vinyle, Pinku (11 titres) et Tremolo (4 titres) paraissent en tout petit tirage (les fameux lathe-cut) dans un vinyle transparent avec un graphisme épuré, une sorte de fumée ou de nuée qu’on aurait emprisonnée et aplatie dans une photocopieuse sur papier transparent.  Il y a de ça dans la musique proposée, homogène, prêté pour un week-end par un copain facteur/savant fou ou des notes d’un orgue d’église tournent en boucles remontées, imparfaites. On ne sait pas quels termes Michel Wisniewski utiliserait pour décrire sa musique : liturgie droguée, Library Music pour mire noir et blanc, tapisserie sonore qui se décolle, rien de tout ça sans doute… Disons que ce New Age du XXIe siècle est doux, peu agressif et qu’il favorise en toutes circonstances les rêves éveillés, les contemplations immobiles, l’exercice physique du détachement de soi-même, jusqu’à, pourquoi pas le voyage astral amateur, celui dont on aurait copié la procédure dans un vieux volume de l’Aventure mystérieuse. Super mal produit peut-être, mais toujours super intrigant.


Tremolo et Pinku par Supermaprodelica sont disponibles sur leur page Bandcamp.

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