Selectorama : Olivier Rocabois

Olivier Rocabois / Photo : Gerald Chabaud
Olivier Rocabois / Photo : Gerald Chabaud

Après quasiment trente ans de carrière et un CV pop aussi long que la Loire, Olivier Rocabois décidait en 2022 de se lancer en solo avec l’album Goes Too Far. Lorsque l’on parle d’un disque solo à ce niveau d’artisanat, au-delà de la composition, on parle d’une gestion de projet de A à Z : récolte de fonds, emprunt, trouver un studio d’enregistrement, organisation de tournées, et tutti quanti. Rocabois a tout porté à bout de bras avec une volonté de fer. Cela a payé, car il tenait neuf titres aux allures de classiques intemporels qui ont, enfin, éveillé la curiosité des médias et élargi son cercle de fans. Ce qui nous amène aujourd’hui à la sortie de The Afternoon of our Lives qui, loin d’être une redite de Goes Too Far, confirme que l’on peut continuer évoluer musicalement, être exigeant, mais surtout ambitieux à un âge où certains ont déjà tout laissé tomber par lassitude. Là où Goes Too Far était un disque dense qui pouvait vous séduire dès la première écoute, The Afternoon of our Lives est un album qui se mérite malgré des titres qui respirent plus. Quelques écoutes distraites ne révèleront pas toutes ses richesses, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses. Que ce soit sur la première phase, lumineuse et avec des cordes, ou sur la deuxième, plus introspective et dépouillée, Rocabois s’affirme comme un compositeur dont les influences sont pleinement assumées et laissent place à une musique capable d’aborder le psychédélisme, le baroque ou la pop pour créer des titres à son image, unique. Pour ce Selectorama, Olivier Rocabois nous présente les titres qui ont bercé la création et l’enregistrement de The Afternoon of Our Lives.

01. Mort Garson, Ode to an African Violet

Je cite Mort Garson dans les remerciements de l’album, tant Mother Earth’s Plantasia en a bercé la création puis l’enregistrement. Aux Studios de la Frette où fut gravée une bonne moitié du nouveau disque, je l’écoutais chaque matin dans ma piaule avant de rejoindre les garçons en bas. Cette musique m’apaise et me tranquillise. L’idée d’ajouter des synthés analogiques pour orner You Only Live Thrice et All Is Well When I Go My Merry Way provient en ligne directe de l’écoute prolongée de Plantasia. Nous les enregistrâmes à Saint-Ouen pendant les fêtes avec le camarade Rémi Alexandre qui tient aussi la basse sur The Afternoon of our Lives.

02. Ludwig van Beethoven, Symphony No. 7 in A Major, Op. 92 : II. Allegretto (Leonard Bernstein)

Quelle majesté ! Je pleure à chaque fois, c’est pavlovien !  Comment peut-on écrire un truc pareil ? Vielen Dank, Ludwig ! Les Allemands sont trop forts, je peux écouter aussi Wagner tous les jours. C’est un tube du classique certes, j’aurais pu choisir une œuvre méconnue pour faire le malin mais j’aime aussi l’idée d’une musique qui nous rassemble et tout le monde connaît la 7e grâce aux nombreux films qui l’ont synchronisée (notamment The Darjeeling Limited de Wes Anderson, une des meilleures BO imho).

03. The Boo Radleys, Find the Answer Within

Groupe anglais très important, pas assez célébré ! C’était vraiment la BO de nos années rennaises. Je me souviens, on avait organisé une séance d’écoute le jour de la sortie de l’album Wake Up! au printemps 1995. J’aimais beaucoup la voix de Sice, j’ai d’ailleurs modelé la mienne sur la sienne quand Giant Steps est sorti dix-huit mois plus tôt (j’avais 19 ans et composais mes premières chansons). Cette mélodie imparable m’a toujours rappelé celle du générique du Club des Cinq (The Famous Five, à 0’20, c’est flagrant !). Martin Carr, grand compositeur. Il met souvent des ponts dans ses compos. L’art du middle-eight se perd et je le déplore ! Et cet ad lib génial où ils sont en roue libre. J’ai eu la chance de la croiser au Pop In à Paris quand il y avait joué (pensées pour le regretté Denis Quélard, le boss que nous adorions tous) et de l’interviewer par ailleurs. Je me reconnais dans ses structures tarabiscotées, reflet de nos humeurs pendulaires à forte amplitude.

04. Marvin Gaye, It’s a Desperate Situation

Toute la profondeur et la légèreté de Marvin dans ce titre. Le monde s’écroule mais on chante à tue-tête. Ce mec me fascine depuis sa découverte via les compils Motown puis What’s Going On? et tous les grands albums qu’il a publiés au fil des 1970s…many moons ago ! J’écoutais cette chanson dans les transports en commun après une rupture douloureuse quand je suis arrivé à Paris fin des 90s mais sa voix, les chœurs, les cordes et cet arrangement magistral me réconfortaient. C’est l’ami Nicolas Sauvage qui m’avait fait connaître la compilation de raretés Love Starved Heart sur laquelle figure le track. Un joyau. On a de la famille à Ostende et j’étais parti sur ses traces (il s’y est installé en février 1981, il y restera 18 mois) : les bars qu’il fréquentait, le casino où on le voit interpréter Distant Lover. Gaye-friendly :).

05. Patty Pravo, La Bambola

La théâtralité de l’amour à l’italienne, ça me parle. Tous ces phonèmes qui ont le goût d’un baiser à la cerise ou de larmes brûlantes, parfois simultanément. La générosité des femmes et notre couardise, tout est dit dans cette chanson merveilleuse. Le lamento de Patty prend toute sa dimension avec ces cordes magiques (et encore un pont de ouf à 1’26). Superbe coda en canon avec fade-out réglementaire.

06. Kendrick Lamar, Duckworth

J’ai découvert Kendrick Lamar via la BO de Black Panther grâce à mes fils. J’adore son flow et sa voix me rappelle parfois celle de Mike Giffts aka Mau d’Earthling (et Tristesse Contemporaine, NDLR) dont j’ai eu la chance de croiser la route avec Slove, nous chantions tous deux sur l’album Le Danse. Chez Lamar, j’adore la prod, les arrangements, le travail sur les voix, le sound design. Tout l’album est dément, je recommande vivement car ces « sons » peuvent illuminer une daronnade.

07. The Flaming Lips, My Cosmic Autumn Rebellion

Fan des Lips depuis The Soft Bulletin, je suis attentivement leur parcours depuis lors. Vus plusieurs fois sur scène, notamment à l’Alexandra Palace (London Town) où ils jouèrent TSB en entier plus quelques standards. Un souvenir éblouissant. Ma femme trouve le chanteur Wayne Coyne irrésistible et je la comprends. La production de Dave Fridmann est très réussie. Tous les albums des Lips et de Mercury Rev de cette époque ont ce son très enveloppant, immédiatement reconnaissable. Kliph Scurlock à la batterie, on peut le voir maintenant chez Gruff Rhys. J’aime tant cette chanson que je l’ai reprise plusieurs fois en concert, notamment avec mon acolyte Jan Stümke. Je me souviens l’avoir écoutée très fort en bagnole en roulant à vive allure au milieu des vignes du Veronese avec mon beau-frère Hans en plein été. Et de l’avoir passée en soirée à sa sortie et une vague de chaleur avait envahi la pièce, tout le monde était comme possédé.

08. The Andrew Oldham Orchestra, The Last Time

Andrew Loog Oldham, le premier manager des Stones, qui avait fait ses armes chez Brian Epstein et créera le mythique label Immediate. Bel usage des cloches et reverb maximale dans cette reprise inventive d’un standard des Glimmer Twins : on ne se lasse pas de ce son amniotique. Est-on dans une église ? Dans le ventre de sa mère ? A une fête chez Robert Fraser ? Merci Phil Spector qui a ouvert tant de portes soniques et irrigué tant de cerveaux et de disques : de Pet Sounds à Jessica Pratt ou Andy Shauf, par exemple. J’aime bien le destin rocambolesque de cet instru qui deviendra mondialement connu grâce au sample / plagiat de The Verve pour Bittersweet Symphony.

PS: The Last Time est aussi le nom d’un cover band mené par mon ami Olivier Popincourt

Fun fact: Incroyable mais vrai : Andrew Loog Oldham me suit sur Insta.

09. Giulano Sorgini, Strait Jacket (The Living Dead at Manchester Morgue OST)

Cette BO est extraordinaire, on navigue sur ce titre entre David Axelrod et l’école de Canterbury. Je n’en regarde plus mais je fus un grand amateur de films d’horreur et d’épouvante dans mes jeunes années. Nous avions la chance d’avoir un Festival du Film Fantastique à Vannes, ma ville natale et je ne manquais pas une édition entre 12 et 16 ans. J’adore la batterie sur ce titre et je jouais récemment par-dessus pour m’exercer. Dix fois de suite, j’étais accro. Celui-ci et les plans de Ringo sur le Rain des Beatles ont planté le décor qui donnera naissance à Lifetime Achievement Award Speech, le morceau qui clôt le nouvel album et sur lequel je joue (mal) de tous les instruments.

10. David Brewis, Start Over

J’adore ce type, aussi bien en solo qu’avec son frère Peter sous le nom de Field Music ou encore avec son side project School of Language. Son chant (le timbre, le phrasé), la compo, les arrangements : tout est si raffiné, inspiré. Rencontré dans le cadre d’une interview il y a quelques années, il s’était montré aussi cool et spontané que sa musique est élaborée. Je l’ai vu plusieurs fois en concert avec Field Music, les mecs sont multi-instrumentistes, on les sent habités par leur amour de la musique et la joie enfantine de jouer. Vivent les Brewis Bros!

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The Afternoon of our Lives d’Olivier Rocabois est disponible chez December Square/Kuroneko et il effectuera sa release au Café de la Danse à Paris le 23 juin.

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