Selectorama livres : Adrien Durand (Le Gospel)

Adrien Durand
Adrien Durand / Photo : Romance Durand

Si les professionnels de la profession connaissaient son nom pour ses activités de journaliste passionné de musique pointue et attaché de presse auprès de labels indés ou de manifestations musicales de qualité comme la Villette Sonique première version, Adrien Durand a mené sa barque en navigant vaillamment dans des sphères plus indépendantes, comme avec son projet Le Gospel, brillant fanzine DIY qui explore autant la musique que le cinéma ou la littérature. Devenue depuis également maison d’édition (nous vous avions déjà parlé de L’Histoire secrète de Kate Bush (& l’art étrange de la pop) de Fred Vermorel et des Heures défuntes d’Alice Butterlin ici), il poursuit également une analyse intime de ses passions à travers plusieurs livres au format poche comme et Je suis un loser, Baby et Je n’aime que la musique triste, donc ce troisième essai, Tuer nos pères et puis renaître, pourrait être logiquement la suite de son voyage en terres de l’underground et des contre-cultures. Ni Gonzo, ni autofiction, il évoque quelques figures tutélaires qui l’ont marqué, de Al Pacino à J.D. Salinger, en passant par Karen Dalton, Gram Parsons, Vincent Gallo, Richard Hell ou John Cassavetes. Avant la sortie de son premier roman à la rentrée, Cold Wave (Othello/Le nouvel Attila), il a choisi pour nous quelques pierres blanches parmi ses lectures.

« Pour quelqu’un qui en écoute en permanence, je lis assez peu de livres sur la musique. C’est certainement dû au fait que les faits historiques m’intéressent beaucoup moins que les sentiments et les décors, et que je ressens une attirance pour les textes qui me font dériver et dévier de l’Histoire plus que pour ceux qui la reconstituent méticuleusement. J’essaie dans mon activité d’écriture et celle, nouvelle, d’éditeur de défendre cette approche périphérique de la littérature musicale. Voici quelques livres que j’aurais autant aimé écrire que publier, et dont le contenu a plus ou moins directement influencé ma vision. »

Nick Tosches, Hellfire (Allia)Nick Tosches, Hellfire (Allia)

Rendons tout de suite à César ce qui lui appartient. Ce Hellfire consacré à la figure sombre et tourmentée de Jerry Lee Lewis est un monument littéraire, autant qu’un manuel d’écriture pour tous les aspirants “rock writers”. Ce livre a une place particulière dans ma tête puisqu’un de mes premiers disques de rock’n roll était un best of du pianiste fou. Ici Tosches écrit avec une fièvre et une puissance possédée à peu près aussi tarée que celle de son sujet. On m’a récemment offert Le Chanteur de Gospel de Harry Crews qui est un pendant fictionnel (et aussi indispensable) à ce qui est raconté ici.

James Young, Nico The End (Séguier)James Young, Nico The End (Séguier)

James Young raconte les dernières tournées de Nico auxquelles il participe en tant que pianiste approximatif. Il ne ménage aucun des protagonistes de ces concerts ultra lose, prétextes pour la pythie pour ramasser quelques pièces aidant à financer ses coûteux penchants. C’est une évocation très juste des alentours calcinés du statut d’icône et de la mortalité dans la pop music. Toute la dernière partie sur la fin de la vie de la chanteuse parvient à être touchante sans tomber dans le pathos. Une réussite.

John Darnielle, Black Sabbath’s Master of Reality (33 ⅓)John Darnielle, Black Sabbath’s Master of Reality (33 ⅓)

Typiquement le genre de malentendu que j’adore. John Darnielle, connu aussi comme le fondateur des géniaux The Mountain Goats et grand fan de metal old school devant l’Eternel, aurait envoyé une contribution pour la collection 33 ⅓ (qui dans le genre journalisme musical classique se pose un peu là). Sauf que pour évoquer le disque de Sabbath, Darnielle choisit de se glisser dans la peau d’un ado interné en hôpital psychiatrique, privé de son walkman et de Master of Reality. C’est tout bonnement un des textes les plus rageurs et touchants sur la musique comme refuge que j’ai pu lire. On est très heureux de sortir avec Le Gospel, l’an prochain, en français, le dernier roman de John Darnielle : Devil House.

Dana Spiotta, Stone Arabia (Actes Sud)Dana Spiotta, Stone Arabia (Actes Sud)

Stone Arabia est un roman, écrit par une de mes autrices vivantes préférées. Elle y évoque la relation de profonde affection entre une sœur et un frère, musicien raté tombé du train du rock alternatif de la fin des années 1980 sans connaître le succès. Celui-ci sombre peu à peu dans la folie, enregistrant seul des quantités de disques, inventant des labels et rédigeant des fausses critiques d’albums n’existant pas. C’est un récit assez dévastateur sur les conséquences de l’échec artistique et commercial qui adopte un format très libre, pas loin de Don DeLillo, qui a découvert Spiotta à ses débuts d’ailleurs.

Alan Greenberg, Love in VainAlan Greenberg, Love in Vain

C’est mon ami Arthur-Louis Cingualte (auteur de l’excellent Evangile selon Nick Cave : le gospel de l’âge du fer rouillé) qui m’a fait découvrir ce livre au tout début de notre projet de maison d’édition. Un vrai livre maudit, tiré d’un scénario jamais tourné et pourtant optionné un temps par David Lynch puis Werner Herzog qui raconte la vie de Robert Johnson. En le lisant, on comprend assez vite pourquoi personne n’a réussi à l’adapter à l’écran tant les scènes sont violentes et démoniaques. C’est l’histoire que vous pensez avoir déjà lu mille fois. Sauf que personne ne l’a jamais racontée comme ça. Préface de Scorsese pour les connaisseurs. (Et non, je n’ai pas réussi à obtenir les droits pour le sortir en français).

Anthony Bourdain, Cuisines et confidences (NIL)

Je triche un peu parce que ce n’est pas du tout un livre sur la musique (même si Bourdain y parle un peu de son amour pour les Cramps ou The Replacements). Ce bouquin est un mélange étrange de conseils culinaires, d’une autobiographie assez sombre et d’une vision brutale de l’addiction. Sur le papier, Bourdain pourrait être tout ce que je déteste, sorte de rocker des cuisines de luxe qui s’est fait connaître en mangeant des tas de trucs bizarres à la télé américaine (genre du serpent). Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’avoir une sorte d’empathie/sympathie pour lui. Et puis il évoque le Manhattan 80’s, le meilleur. Tuer nos cuistots et puis renaître.


Tuer nos pères et puis renaître par Adrien Durand est sorti aux Editions Le Gospel.
Signalons aussi la rencontre animée par Adrien Durand avec Gabriel Cholette, auteur des Carnets de l’Underground, prochaine sortie Le Gospel, qui aura lieu à la librairie Le Monte en l’air à Paris, ce mardi 13 juin à 19h30.

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