Tout commence par des remerciements. Des remerciements à la violoncelliste et arrangeuse Audrey Riley et au dénommé Robin Guthrie –oui, celui-là même qui était jadis l’une des trois têtes de l’hydre Cocteau Twins. Des remerciements pour avoir été parmi les tout premiers à faire comprendre à Emma Anderson qu’il fallait bien qu’un jour ou l’autre, elle fasse un pas en avant pour oser se retrouver sous la lumière même diffuse des projecteurs et chanter ses propres compositions – après les avoir laissées entre les cordes vocales de Miki Berenyi ou de Lisa O’Neil le temps de Sing-Sing (et d’ailleurs, vous me ferez penser à réhabiliter ces prochains jours le hit de poche que reste Feels Like Summer)… Après la fin en eau de boudin de la résurrection de Lush en 2016, elle s’est ainsi retrouvée avec des compositions et autres idées qu’elle avait destinées à son groupe de (presque) toujours.
Alors, après pas mal de tergiversations, une épidémie surréaliste et les encouragements de quelques proches, Emma Anderson a fini par s’acoquiner avec James Chapman, alias Maps – un nom connu des aficionados de la scène electronica. Entre atmosphères cinématographiques – on pense ici et là aux compositions de Krzysztof Komeda pour Rosemary’s Baby – et mélodies qui trottent dans la tête pour mieux se nicher droit au cœur (Inter Light ou Clusters, désignés hits de l’automne de côté-ci de l’Hexagone), entre parfums délicatement psychédéliques et pincements élégamment folk, boites à rythmes vintage et claviers qui s’évaporent, Emma Anderson a imaginé pour le label Sonic Cathedral ce premier album solo à la beauté fragile et noble. C’est pour mieux fêter cette vraie réussite que nous l’avons conviée à se prêter au jeu du Selectorama, le temps d’une sélection éclectique et souvent magnifique (la claque assénée en fin de parcours par Jessica Pratt, entre autres) qui résume finalement assez bien les ambitions artistiques dissimulées derrière le si bien nommé Pearlies.
01. Goldfrapp, Stranger
Entre 2002 et 2004, j’ai travaillé pour le management de Goldfrapp – qui s’occupait aussi de Ladytron et c’est à cette époque que j’ai rencontré Danny, Reuben, Helen et Mira. J’aimais déjà beaucoup Goldfrapp et c’était excitant d’être impliqué dans la sortie de Black Cherry. Mais je crois que Tales Of Us est mon album favori du groupe. J’en aime beaucoup ses qualités cinématiques et les compositions comme la production sont tout bonnement incroyables. Lorsqu’on parle de Goldpfrapp, les gens pensent immédiatement à Alison, mais le rôle essentiel tenu par Will ne devrait jamais être minimisé… La plupart des chansons de ce disque sont assez lentes et les textes, plutôt tristes. Ce sont des histoires d’amours perdues, et ce morceau ne fait pas exception : beau, entêtant, mystérieux – qui est donc cet étranger ? C’est un superbe album et je trouve cette chanson exceptionnelle.
02. Concretism, Of Frisbees And Pylons
J’ai entendu parler de Concretism pour la première fois via Twitter, alors que quelqu’un souhaitait connaitre les auteurs d’une musique qui accompagnait un sujet de la BBC au sujet de l’architecte français, Le Corbusier. La musique était absolument géniale – des sons de synthés analogues et des rythmes étranges – et j’ai essayé de trouver de qui il s’agissait de mon côté mais sans succès, Shazam n’étant cette fois d’aucune aide. Alors, je retournais régulièrement sur le fil de discussion Twitter et quelqu’un a fini par mentionner le nom de Concretism, qui est en fait l’alter-ego du musicien Chris Sharp. Le titre que j’ai choisi pour cette sélection n’est pas le morceau en question, mais après avoir acheté le disque sur Bandcamp, il est devenu mon favori. Il fait référence à un fameux film des années 1970 de la British Public Information – deux garçons jouent à côté d’une station électrique et leur frisbee se coince dans l’appareil : l’un d’entre eux va pour le récupérer, le touche et oui, le pire survient alors. Ce programme a terrorisé toute une génération de gamins britanniques ! C’est un sujet terrible mais l’approche à la fois moderne et rétro de Chris est fantastique – on retrouve les ambiances que créaient la BBC Radiophonic Workshop, la série Tomorrow’s World et les programmmes pour écoles et collèges des 70’s. L’atmosphère du morceau a sans doute aussi été inspirée par les payssages de l’Essex, la région dont Chris est originaire… Ce genre de musique est parfois classé sous la bannière “hauntology”, derrière laquelle on retrouve aussi des groupes comme Broadcast ou Belbury Poly. Ça vaut vraiment le coup d’explorer l’univers de Concretism si vous ne le connaissez pas : c’était le cas de James Chapman, alias Maps, qui a produit mon album et il m’est toujours reconnaissant de l’avoir alerté sur l’existence de ce disque !
03. Warpaint, Stevie
J’adore la musique de Warpaint mais l’un des aspects que j’aime aussi au sujet de ce groupe, c’est qu’il est exclusivement féminin et qu’il n’en fait pas toute une histoire… Ces filles font juste avec ça et je crois que parfois, c’est la meilleure attitude à adopter pour marquer le coup – et j’ajouterai aussi que Warpaint est un nom vraiment génial pour un groupe de filles ! Cette chanson est magnifique, elle a un groove léger, une mélodie irrésistible et subtile, et cette atmosphère années 1970. J’ai vu Warpaint sur scène au De La Warr Pavilion à Bexhill en 2022. C’était un excellent concert, toutes les musiciennes sont douées mais j’ai été particulièrement frappée par la batteuse, Stella Mozgawa. Elle était fascinante à regarder jouer… Girl crush !
04. Serge Gainsbourg, Cargo Culte
Histoire De Melody Nelson est un de mes disques de chevet. Ce qui pourra vous paraitre amusant, c’est que je l’ai découvert via David Holmes quand il a retravaillé la chanson Melody pour son morceau Don’t Die Just Yet sur son album Lets Get Killed, paru en 1997. Quoi qu’il en soit, le dernier titre de ce disque, Cargo Culte donc, est celui qui m’a subjuguée quand j’ai écouté l’album de Gainsbourg pour la première fois. Les arrangements des chœurs ont presque une dimension religieuse… On imagine très bien entendre ces voix dans une cathédrale et les écouter avec un profond respect mais la batterie groovy, la guitare, la basse et bien sûr les grognements de Serge nous ramènent aux origines rock de la chanson. J’ai beaucoup écouté ce disque en voiture, pour aller et revenir du studio de James dans le Northamptonshire alors que j’enregistrais Pearlies pendant l’été 2022. En gros, c’était l’un des deux CD que j’avais dans la voiture et il a définitivement eu une influence sur mon disque, en particulier sur ma volonté d’avoir une guitare dans un “style Serge”… Alors, j’ai demandé à Richard Oakes de Suede d’imaginer quelque chose dans cette veine-là, ce qu’il a brillamment réussi sur Bend The Round, je pense.
05. The Human League, WXJL Tonight
Ado, j’adorais The Human League mais de façon incompréhensible, je ne les ai pas vus sur scène à la sortie de Dare, un disque que je vénérais. Cette chanson a toujours été ma préférée de la formation originelle du groupe, quand Martyn Ware et Ian Craig Marsh en faisaient partie. J’en adore la rythmique étrange, les notes de synthés très hautes et très basses et je me souviens avoir lu des années plus tard un article sur la façon dont ces disques étaient enregistrés à l’époque : ces gens n’avaient pas de sequenceurs, encore moins de logiciels informatiques comme ceux qui existent aujourd’hui, et tout était joué live – j’en ai le souffle coupé rien que d’y penser ! C’est aussi la première fois que j’ai entendu parler des fameuses chaines de radio américaines dont le nom commence par la lettre W – ou K… Je savais que cette chanson parlait d’une station radio mais je n’en ai compris le titre que quelques années plus tard…
06. Sophie And Peter Johnston, Television Satellite
Sophie et Peter Johnston étaient une fratrie et l’un des groupes favoris de John Peel dans les années 1980. Ils étaient originaires de Newcastle-Upon-Tyne, dans le nord-est de l’Angleterre et formaient ce que l’on peut appeler je crois un duop synth-pop. C’est l’un de ces morceaux dont la version originale jouée lors la John Peel Session s’est avérée bien supérieure à celle qui s’est retrouvée sur disque ensuite… C’est surtout une chanson pop géniale, simple et accrocheuse. Est-ce que James et moi formions un duo synth-pop lorsque nous avons enregistré mon album ? Sans doute pas, mais c’est un concept qui m’amuse.
07. Wire, In Manchester
J’ai découvert Wire quand j’avais 16 ou 17 ans et j’ai toujours aimé ce groupe depuis ! J’ai vraiment usé jusqu’à la corde Pink Flag et Chairs Missing et bien sûr, Lush a repris Mannequin et Outdoor Miner dans les années 1990. Mais les disques plus tardifs sont parfois négligés à tort et j’adore cette chanson de l’album paru en 2015, Wire. Ce groupe a toujours su écrire des chansons pop sublimes et simples et ce morceau-là l’illustre à merveille. Il y a un peu plus d’effet chorus sur les guitares par rapport à ce qu’il faisait à la fin des années 1970 mais les paroles restent mystérieuses, avec beaucoup d’images et de jeux de mots. Je suis aujourd’hui très fière de pouvoir dire que Colin Newman et sa femme Malka – qui jouait dans le groupe Minimal Compact – sont de très bons amis et qu’ils m’ont beaucoup aidé récemment dans mon parcours musical. J’ai aussi travaillé avec Matthew Simms, qui le membre le plus récent de Wire, et j’ai même joué avec le groupe sur scène à Heaven en 2016, ce qui reste un grand honneur pour moi.
08. Mark Pritchard, Sad Alron
Je suis tombée par hasard sur cette très belle vidéo, à la dimension un peu mystique… Ce sont évidemment des images crées par ordinateur, des images de cubes et de nuages qui changent de couleur dans un paysage extra-terrestre – alors, on a l’impression que cela a été filmé sur une autre planète. Je ne sais pas du tout qui est Alron et pourquoi elle ou il est triste mais ce morceau, plutôt court, envoûtant et touchant offre une très belle dimension filmique… Encore un autre artiste dont nous avons parlé, James et moi.
09. Jessica Pratt, Greycedes
Je souhaitais inclure dans cette sélection une chanson réduite à sa plus simple expression, juste une guitare et une voix de femme et j’ai choisi celle-ci. Je ne savais pas grand chose de Jessica Pratt jusqu’au moment où en 2015, j’ai vu son nom dans la programmation du De La Warr Pavillion à Bexhill – et oui, encore ce lieu. J’ai décidé de faire des recherches à son sujet et je suis immédiatement devenue accro à sa musique. Elle est souvent décrite comme une artiste folk et plusieurs de ses chansons sont bien sûr dans cette veine, mais il existe aussi une dimension jazz, comme dans ce morceau. Ça s’entend parfois dans les rythmiques – et on imagine alors très bien Astrud Gilberto prêter sa voix à certaines de ses chansons – mais aussi dans les progressions des accords et des mélodies. Je la trouve vraiment unique en son genre et je l’ai fait découvrir à Ivo récemment, qui a vraiment aimé et m’a dit que sa voix lui rappelait celle d’Alison Shaw de Cranes. Jessica Pratt change parfois la tonalité et l’accent de sa voix en plein milieu d’une phrase, elle a une façon de chanter très personnelle… Le concert était vraiment bien, juste elle sur scène, un moment très intime et marquant.
10. Roger Glover And Guests, Aranea
Cette chanson est sur un album que j’avais quand j’étais gamine et que j’ai encore d’ailleurs, The Butterfly Ball And The Grasshopper’s Feast. Il m’avait été offert par un ami de mes parents avec le livre fantastique qui l’accompagnait, l’histoire d’un bal qui réunit diverses créatures de la faune britannique avec de très belles illustrations et un texte poétique. Évidemment, c’est l’idée de Roger Glover – oui, celui de Deep Purple – que d’en imaginer une version musicale avec tout un tas d’invités comme David Coverdale et Ronnie Dio… Cette chanson a toujours été ma favorite de l’album. Elle parle d’une araignée vaniteuse et de la manière dont elle se regarde dans le miroir en se parlant à elle-même au moment de se préparer pour ledit bal. C’est une très jolie chanson, malheureusement trop courte. J’ignorais tout de Judi Kuhl quand j’étais enfant mais j’ai appris depuis qu’en plus d’être une grande chanteuse, elle était la femme de Roger Glover. Quel est ce genre de rythme, calypso ? Je n’en ai aucune idée, mais j’adore.
