Aux débuts des années 80, R.E.M., pour Rapid Eye Movement, est peut-être le parangon du groupe indépendant américain. Nul autre plus que ces quatre gars d’Athens, en Géorgie, n’a mieux exprimé cette idée d’émancipation des courants hégémoniques. Pourtant, la formation naît dans le sillon de groupes new wave et post-punk comme les B-52’s ou Pylon. Comme Oasis, dix ans plus tard avec les Stone Roses, R.E.M. s’affranchit des aînés et trace sa propre voie, singulière. Si Murmur, leur premier album, sort en 1983, le groupe existe depuis 1980. Michael Stipe (chant) rencontre Peter Buck (guitare) sur son lieu de travail, un disquaire évidemment (le mythique Wuxtry Records). Par l’intermédiaire d’une amie commune (Kathleen O’Brien), ils font enfin la connaissance de Mike Mills (basse) et Bill Berry (batterie). Ceux là ne se quitteront plus.

Il y a là quelque chose de miraculeux : un groupe d’une constance exemplaire, à tous les niveaux. Après un premier concert, il y a 45 ans (le 5 avril 1980), R.E.M. suit une trajectoire classique. Le groupe publie, en 1981, un premier 45 tours sur un label d’Atlanta (Hib-Tone) puis rejoint I.R.S. Records pour l’EP Chronic Town (1982). Fondé par Miles Copeland III, frère de Stewart Copeland de The Police, I.R.S. est alors une des forces vives pour la scène nord-américaine. Le label compte en effet des groupes comme The Go-Gos, The Cramps, The Fleshtones ou Wall of Voodoo parmi ses signatures. R.E.M. ne va pas pour autant se renier, dans cet environnement compétitif. Pour enregistrer l’album, après un essai infructueux avec Stephen Hague, le groupe retrouve (il a déjà enregistré le 45 tours et l’EP) le producteur Mitch Easter (Let’s Active), accompagné de Don Dixon. Géorgie, Caroline du Nord, voici des régions rarement associées à la musique rock, pourtant le Sud des États-Unis sera moteur dans cette scène jangle pop naissante. Murmur n’y est évidemment pas étranger. L’impact de cet album est alors colossal. Parmi quelques autres groupes (The Replacements, Hüsker Dü), R.E.M. est la figure de proue de la scène alternative / college rock. Les quatre musiciens démontrent qu’il est possible de ne pas céder aux gimmicks des synthétiseurs, de proposer une musique contemporaine, mais avec un héritage. Là réside la grande différence entre R.E.M. et ses prédécesseurs. Le punk voulait faire tabula rasa du passé, eux assument aimer les Byrds, le Velvet Underground et Television, un peu comme les Smiths de l’autre coté de l’Atlantique. Pour autant, comme ces derniers, leur musique est tout sauf rétro. Le talent du groupe rayonne dès cet album inaugural.
Il faut aussi insister sur la dimension collective de l’effort. Si la voix et les textes cryptiques de Michael Stipe, ainsi que les merveilleux arpèges de Peter Buck attirent l’attention, Mike Mills et Bill Berry contribuent aussi énormément aux arrangements, jouant du vibraphone, du piano ou des percussions, notamment sur la fantastique Pilgrimage. Tous ensemble contribue à faire de Murmur un disque d’une richesse et du profondeur rare. La face A est une pure merveille, tout y est gracieux. Dès la sublime Radio Free Europe, R.E.M. est porté par une force vitale rare. La sublime Laughing donne l’occasion à Peter Buck d’exceller. Sur une rythmique dub / post-punk très réussie, le discret guitariste apporte des magnifiques idées d’arrangements. Il en est de même sur la très jangly Talking about the Passion. Les amateurs des Byrds se délecteront aussi de Sitting Still, ce morceau filera carrément des frissons aux amateurs de guitares égrainées. À l’inverse, 9-9 connecte le groupe au son plus abstrait du post-punk. Catapult est un autre temps fort de la face B, un morceau emblématique du son mystérieux des débuts de R.E.M., illuminé par un refrain splendide. En 12 morceaux, répartis équitablement (6 par face), Murmur fait plus que démarrer le compteur. Cette déclaration d’intention est, avant-tout, une éclatante réussite. R.E.M. y développe une formule éminemment personnelle, d’une richesse remarquable pour un groupe aussi jeune. Un album mémorable et fantastique, toujours aussi beau, quarante-deux ans plus tard.
Si placer REM dans la filiation Byrds- Velvet- Television est justifié, il est dégradant pour tous les quatre d’y adjoindre les Smiths.