Hüsker Dü, Savage Young Dü (Numero Group / Differ-Ant)

Ce fut d’abord une simple annonce de type strictement commerciale il y a quelques saisons, pour un site proposant à nouveau des t shirts officiels, des badges et des planches de skate, pas grand chose en fait mais l’espoir d’une reformation inespérée pointait alors et agita pendant une semaine ou deux le landerneau. On connaissait désormais tout des circonstances (suicide du manager, inévitables problèmes de substances) du sabotage d’un des groupe les plus influent de tous les temps, on savait aussi l’impossibilité chronique des trois anciens compères à se mettre d’accord depuis sur quoi que ce soit. Il aura donc fallu toute la passion, la prévenance, la diplomatie et la pugnacité des gens de chez Numero Group, pour parvenir enfin à réaliser après plus d’une décennie de recherches et de tractations parfois houleuses, cette anthologie des premiers enregistrements de la formation de St Paul, ville natale de F. Scott Fitzgerald, capitale de l’état située à l’Est de Minneapolis, Minnesota et dont les contemporains furent à l’échelle locale furent The Replacements et Prince, excusez du peu. Soit la réédition de Metal Circus (1983), Land Speed Record (1982) et Everything Falls Apart (1983) et des deux singles attenants Statues (1980), In A Free Land (1982). Soit quatre LP ou trois CD sous la forme d’un coffret comprenant pas moins de soixante neuf morceaux dont quarante sept jamais publiés à ce jour. Sans toutefois savoir si ce traitement d’archives d’un luxe certain concerne également et légalement la suite de la discographie, encore plus passionnante d’Hüsker Dü parue à l’époque sur le label SST. (update septembre 2021, pas de news)
C’est dans un magasin de disques attenant au campus (Cheapo’s Vinyl) que Bob Moud et Grant Hart font connaissance, le premier en tant que client, l’autre en tant que vendeur, un goût commun pour le punk rock de l’époque, des Ramones aux Buzzcocks, leur feront prendre les armes en compagnie du bassiste moustachu Greg Norton. Ce sont ces années de formation, sur le tas avec autant de passion que de bonne volonté qui sont documentées sur Savage Young Dü, petite référence à ces compilations diverses et variées parues sous le nom de The Savage Young Beatles. Le son y est brut de décoffrage, le bastingage souvent fragile mais tout ce qui va faire le génie absolu du groupe y est déjà présent dans l’idée si ce n’est dans la réalisation. Car si à ses débuts, Hüsker Dü est affilié à la scène Hardcore (Minor Threat, Black Flag, Bad Brains, Minutemen) et qu’il en accepte parfois les recettes un peu convenues (chant aboyé, riffs simplistes, tempo supersonique) le tapis mélodique déroulé est autrement plus convaincant. Et c’est dans cette dualité entre la sauvagerie absolue et cette volonté pop également héritée d’un certain classic rock que Mould, Hart et Norton vont trouver leurs marques. Et tracer une route au sein de la communauté hardcore, car de tous les coins de l’Union des groupes bouleversés par la révolution Punk se pressent à l’unisson et se refilent des informations via des fanzines, tournant ensemble ou en parallèle sur les mêmes circuits, posant les bases d’une nation alternative qui sauvera plusieurs adolescences de l’ennui terminal avant d’exploser en plusieurs étapes dans le mainstream*.

Hüsker Dü
Hüsker Dü

Un chemin qu’emprunteront ensuite Sonic Youth, Pixies** puis Nirvana, pour ne pas les nommer, autant structurellement que musicalement. Mais l’influence d’Hüsker Dü ira encore plus loin, s’étendant sur tout l’alt-rock US (Dinosaur JR, Sebadoh, The Posies, Lemonheads, Buffalo Tom, No Age pour faire court) mais également chez My Bloody Valentine qui ira piocher de manière assez flagrante et avouée dans ce salvateur mur du son (Mould et Norton) et surtout dans ce jeu de batterie alternant à sa lourdeur inhérente des accélérations fastidieuses mais néanmoins uniques (Hart), véloces et aériennes à la fois. Mais de cela, on se rendra bien plus compte un an plus tard, en 1984. Apprenants que leurs confrères californiens Minutemen préparent un double album (hérésie punk, s’il en est) Hüsker Dü va bafouer les lois du hardcore, le teintant d’un psychédélisme anguleux en accouchant de Zen Arcade, ce chef d’œuvre absolu. Zen Arcade d’un côté, Double Nickels On The Dime (des Minutemen donc) de l’autre, deux disques doubles qui s’affranchissent définitivement de leur attaches et qui emmènent le rock américain vers un avenir flamboyant. Sur Savage Young Dü, on en est pas encore là mais peu s’en faut. Alors, oui l’objet est là, fascinant, complet mais de reformation il ne sera plus jamais question, le décès de Grant Hart le 13 Septembre 2017 mettant fin à toutes spéculations. A cette annonce, Bob Mould eut d’ailleurs ces mots bouleversants : « Nous sommes restés en contact depuis la séparation, parfois de manière sereine, souvent avec difficultés. Pour le meilleur et le pire (…) parce que c’est comme ça que ça se passe quand deux personnes se soucient profondément de ce qu’ils ont accompli ensemble. »
Des mots qui prouvent que malgré la guerre des nerfs concernant l’héritage et de probables regrets, même sous le coup de l’émotion, la certitude d’avoir accompli une œuvre fondamentale se maintiendra au firmament. En voici les premières traces, enfin rééditées comme il se doit.

* à ce sujet, lire toutes affaires cessantes l’indispensable « Our Band Could Be Your Life –Scenes from the american indie underground 1981-1991» de Michael Azerrad (Back Bay Books,2002), qui contient un chapitre nécessaire sur Hüsker Dü.

** « Groupe influence Hüsker Dü et Peter, Paul and Mary cherche section rythmique », telle était en substance la petite annonce que Black Francis et Joey Santiago avaient écrite pour recruter Kim Deal et David Lovering.
Cet article a originalement été publié dans la RPM en 2017.

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