« Pourquoi aimes-tu Billie Eilish ? »

Tel Bartelby, je préférerai ne pas. Ne pas quoi ? Ne pas écouter Billie Eilish. Je ne me sens pas légitime – « T’es pas trop vieux pour ça ? » – et puis, les vieux réflexes qui reviennent, et qui me fatiguent : y chercher – et trouver ? – des échos du passé, jouer le donneur de leçon, voire le vieux con – « C’était mieux avant » -. Pour ces raisons, j’ai préféré, pendant longtemps, laisser à cette jeunesse à laquelle je n’appartenais pas, ses disques, ses chansons et n’écouter que des choses qui faisaient le lien avec les disques qui m’avaient, on va dire, construit. Je ne sais plus ce qui m’a alors conduit à m’intéresser à Billie Eilish mais je me souviens très bien de la réaction de ma fille, surprise forcément, quand elle s’est aperçue que j’écoutais I love you, moi qui n’avais jamais témoigné la moindre émotion, ni le moindre intérêt, aux musiques qu’elle écoutait. Elle aurait pu être écœurée – à sa place, à son âge, si j’avais surpris mes parents en train d’écouter un de mes disques, je l’aurais été – mais ce dont je me souviens c’est son sourire. Nous sommes tous les deux sur le canapé, je lui rappelle alors ce moment. Face à nous, sur l’écran, la photo d’une Vierge aux yeux baignés de larmes.

NDLR : Pour une meilleure lecture de cet article, nous vous conseillons d’écouter simultanément l’album dont le lien se trouve à la fin de l’article.

« Tu n’as pas honte que ton père puisse écouter Billie Eilish ? »

« Ah non, pas du tout. J’ai d’abord été surprise que tu puisses écouter les mêmes choses que moi, je ne m’y attendais pas du tout. En fait, je trouve ça plutôt cool, de pouvoir discuter tous les deux de ses chansons, de ce qui nous touche, ça va au-delà de discuter de la musique en général. Là, on a une passion commune pour un même artiste »

« Et tu ne t’es pas dit que je ne devrai pas écouter Billie Eilish, que ce n’était pas de mon âge ? »

« Pas du tout, je ne suis jamais dit ça. Tu écoutes ce que tu aimes, sans te poser de questions et sans te focaliser sur l’âge de l’artiste. Je peux te poser une question ? »

« Vas-y. »

« Pourquoi tu aimes Billie Eilish ? »

J’ai bien essayé de lui trouver des arguments – sa voix, des mélodies entre deux-âges – bafouillé deux, trois trucs mais rien qui ne puisse expliquer vraiment cette addiction à son album, Happier than ever. D’ailleurs, ce disque – ça se dit encore -, je m’en souviens très bien, c’est elle qui est venue me dire quand il est sorti – ça se dit encore ? -. Comme à mon habitude, j’ai d’abord regardé la liste des chansons, noté les titres qui m’interpellaient – Billie Bossa Nova, Oxytocin, Everybody dies, Halley’s Comet – avant de commencer d’écouter les 16 titres – ça fait pas un peu trop ? – qui composent Happier Than Ever.

« Quand j’écoute un album pour la première fois , je l’écoute en entier et dans l’ordre. C’est une habitude d’un autre temps, où les albums, on les découvrait, d’abord en lisant des magazines, puis ensuite physiquement mais aujourd’hui, à l’heure du numérique, je suppose que toi, tu fais différemment. »

« Avant je ne le faisais pas mais maintenant je fais comme toi, je les écoute dans l’ordre car je sais que certains artistes y attachent de l’importance. Et puis sur Happier Than Ever, il y a des titres qui sont, je trouve, plus des transitions – GOLDWING par exemple – et je trouve qu’il ne faut pas les séparer de l’ensemble.»

« Par rapport à ce que tu dis, pour moi, la première chanson – comme la première phrase d’un livre d’ailleurs -, est un moment crucial qui doit quelque part, annoncer le reste, te faire sentir l’ambiance de l’album et je trouve que Getting Older n’annonce pas ce qui va suivre. »

« Je ne le vois pas comme ça. Billie Eilish avec cet album, raconte une histoire, son histoire et je pense que pour elle, l’histoire devait commencer par Getting Older. Ce disque raconte son histoire, comment elle a traversé ces dernières années, comment elle a grandi et Getting Oder, c’est une partie de son histoire. »

«Happier Than Ever c’est son meilleur album non ?

« Je suis assez d’accord, j’aimais bien le précédent mais celui-ci, il retrouve l’esprit de ses premiers EP. C’est beaucoup plus mélodieux même s’il y a des titres plus expérimentaux.»

« Comme Oxytocin, celui-là, je l’adore ». Ce morceau me fait penser à du Happy Mondays gothique mais ça, je ne lui ai pas dit.

« Je ne suis pas étonné. Moi, c’est celui que j’aime le moins. Ce que j’aime dans cet album, c’est quand elle coupe les chanson en deux – Halley’s Comet, Happier Than Ever – et que la chanson se transforme. Tout le monde n’aime pas, certains fans sur les réseaux sociaux disent qu’ils auraient préféré qu’elles fassent deux chansons plutôt que ces collages. Moi, je trouve que cela leur donne un côté unique. »

« J’ai du mal à la trouver entièrement triste. »

« Elle a une personnalité complexe. De sa tristesse, elle en tire toujours quelque chose de positif, c’est peut-être pour ça que tu as du mal à la trouver entièrement triste. »

« Toi qui, en quelque sorte la connais mieux que moi, tu saurais me dire pourquoi les gens adorent autant Billie Eilish. Qu’est-ce qui la différencie des autres ? »

« Pour être honnête, je ne saurais pas te l’expliquer. Pourquoi elle plutôt qu’une autre, en fait, je n’en sais rien. Je l’ai découvert bien avant tout cet engouement, avec la chanson Ocean Eyes qui est une vieux titre, mais je ne m’attendais pas à l’époque à ce que cela prenne cette ampleur. Après, il y a une chose que j’aime beaucoup chez elle, et c’est peut-être les cas pour les autres, c’est qu’elle utilise sa voix, sa célébrité, pour s’exprimer sur des sujets qui lui tiennent à cœur.»

On se met alors à écouter l’album, en prenant soi de zapper les singles – « Tout le monde les a trop écoutés, c’est comme si elles ne nous appartenaient plus »–, tout en continuant de discuter, j’essaie de placer en toute discrétion quelques références, dès fois que, « Your Power me fait penser à ce groupe, Kings Of Convenience. » puis arrive le sommet du disque, Happier Than Ever. Elle sourit, je souris.

« Tu t’imagines cette chanson en concert ? »

« Je pense que je sors du concert, je n’ai plus de voix tellement que j’aurai crié sur le final ! »

(Rires)

« Celle-là, je l’adore – Male Fantsay – mais si au départ, je trouvais ça surprenant qu’elle termine l’album avec ce titre. »

« Je la trouve très belle, elle me fait penser à ce duo, Kings Of Convenience qui viennent de sortir eux-aussi, un nouvel album. J’allais oublier, tu ne trouves pas que les premières mesures de Billie Bossa Nova font penser à Love in Portofino ? »

(Rires)

La musique, c’est comme la vie, c’est toujours plus beau à deux. Ça, je ne lui ai pas dit, elle le découvrira toute seule.


Happier Than Ever de Billie Eilish est sorti sur Interscope Records.

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