Redécouvrir aujourd’hui le travail de Stefan Betke, et plus précisément sa trilogie fondatrice Pole 1 (1998), Pole 2 (1999) et Pole 3 (2000), c’est en quelque sorte faire retour sur un moment de l’histoire des musiques électroniques allemandes dont l’une des principales caractéristiques pourrait être celle d’un travail autour de l’abstraction et du minimalisme. Que l’on évoque les propositions electronica ou IDM des labels Mille Plateaux et Raster Noton, ou encore le conceptualisme dancefloor de Kompakt, la micro-house des labels Perlon ou Playhouse, l’austérité formelle était en effet de mise.
Un rigorisme qui aura même été jusqu’à explorer les territoires dub et bass : le label Basic Channel bien évidemment (avec Moritz von Oswald et Mark Ernestus), mais aussi Mouse on Mars ou Monolake par exemple. Avec Pole, c’est son versant plus « glitch » qui est abordé : accident et bug rencontrent delay, echo et reverb pour en quelque sorte rejouer le geste inaugural des King Tubby et Lee Perry. C’est en effet en endommageant par hasard son filtre Waldorf 4-Pole que Stefan Betke a pu obtenir ces sonorités et timbres caractéristiques d’une pratique assumant la radicalité du minimalisme : l’usage délimité d’éléments, l’importance du traitement et des effets, définissent un rapport immersif au sonore que le parasitage viendrait paradoxalement renforcer. C’est ce qui apparaît frappant à la réécoute de ces trois disques : son travail sur les textures permet d’opérer sur ce double front du minimalisme répétitif et de l’aléatoire/imprévu pour proposer une relecture très personnelle de l’héritage dub. Un héritage qui n’est pas ici de l’ordre patrimonial, mais plutôt réinvesti dans une optique post-techno, en dépassant les frontières de la club music pour en redéfinir les termes selon les coordonnées d’un continuum qui irait de l’IDM au dubstep et ses suites contemporaines. Éloigné de tous les gimmicks propres à un genre trop souvent caricaturé, le travail de Stefen Betke consiste à rejouer les techniques de spatialisation du son propres au dub, à recomposer la polarité rythmique/basse à partir de la matrice « click and cut » caractéristique des productions électroniques de la fin des 90’s. Aussi, de Pole 1 à Pole 3, c’est ce que Simon Reynolds peut décrire comme « une virtuosité de la concentration monochrome » qui s’impose : la dimension obsessionnelle d’un travail sur un nombre circonscrit de motifs s’affirme comme constitutive d’une esthétique réductionniste à la beauté formelle saisissante. On peut en prendre toute la mesure en confrontant des titres des différents disques constitutifs de la trilogie : de Modul dans Pole 1 à Silberfisch dans Pole 3, en passant par Stadt ou Streit dans Pole 2, c’est en creusant le même sillon que Stefen Betke déploie sa proto-bass music, oscillant entre techno minimale et dub abstrait. Un monument auquel cette réédition en coffret chez Mute rend magnifiquement hommage. Indispensable.