Motorists, Surrounded (We Are Time / Debt Offensive / Bobo Integral)

Il a bien fallu s’y résigner ; il est plus rare de s’en réjouir : à chaque découverte, à chaque coup de cœur, le triomphe posthume de Duchamp dans notre discothèque est un peu plus manifeste. La plupart des albums qui parviennent à s’extraire du flot continu de la surproduction musicale contemporaine semble, en effet, s’apparenter davantage à ces ready-mades, où le recyclage de fragments existants et clairement référencés l’emporte souvent sur l’impulsion créative. Il faudrait d’ailleurs, se repencher un jour sur le génie de Bryan Ferry – le premier à revendiquer explicitement cette filiation esthétique – mais ce sera une autre histoire plutôt qu’une digression. Que reste-t-il alors à apprécier ? La manipulation plus ou moins sommaire des originaux sur lesquels une nouvelle signature est apposée n’est que de peu d’intérêt. Tout se joue bien souvent dans la pertinence des choix puisque, à défaut d’innover radicalement, l’artiste se pose au moins en responsable de ce qu’il récupère et de ce qu’il écarte. De ce point de vue, la cohérence obsessionnelle est à presque à la portée du premier venu. Et les copistes monomaniaques, hyper spécialisés dans l’exhumation des vestiges d’un unique genre homogène ont fini par creuser leur propre tombe dans leurs chantiers de fouilles archéologiques. Motorists est, heureusement, d’une toute autre trempe.

Motorists
Motorists

Pour son premier album, le trio canadien produit ce que l’on peut attendre de mieux dans cet exercice délicat du collage : trier, déplacer, reconfigurer les fragments les plus familiers pour parvenir à les entendre autrement et leur réinsuffler un peu de la saveur de l’inédit. Amis depuis leur enfance du côté de Calgary, Craig Fahner (guitariste et chanteur), Matt Learoyd (bassiste) et Jesse Locke (batteur) proposent ainsi des rapprochements entre certains de nos groupes et de nos artistes favoris, qui s’imposent dès la première écoute avec la force lumineuse de l’évidence et auxquels nous n’avions pourtant jamais vraiment pensé.  Ou pas de façon aussi claire.

Il en va ainsi des liens entre R.E.M. et The Go-Betweens : manifestes une fois qu’ils sont énoncés – oui, le concert des seconds en première partie des premiers au Grand Rex, bien sûr – et qui n’avait pourtant jamais paru aussi nets qu’à l’écoute des deux premiers morceaux de Surrounded, où les guitares en cascade du jeune Peter Buck s’entremêlent à la scansion détachée de Robert Forster. Il en va ainsi tout au long de ces douze chansons au fil desquels s’accumulent les collisions inattendues – Orange Juice et The Nerves (Through To You et surtout Turn It Around), Modern English et The Byrds (Hidden Hands). A défaut de réinventer la roue, Motorists la fait brillamment tourner en impulsant toute une série de circonvolutions surprenantes. Entre dissonances contrôlées et mélodies très accrocheuses, le trio travaille les tensions et les résout même, parfois. Digne des références avec lesquels il se plait à jongler habilement, il excelle ainsi lorsqu’il incarne ces sentiments ambivalents de frustration hargneuse et de résignation contrainte – Surrounded, la chanson, où le narrateur énumère successivement, d’un ton à la fois narquois et rageur, le malaise ressenti au contact de tous les environnements possibles et imaginables – qui constituent, encore et toujours, la matière première des meilleurs popsongs.


Surrounded par Motorists est disponible sur les labels We Are Time / Debt Offensive / Bobo Integral.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *