Mixtape Section26 #10 : It’s Immaterial

It's Immaterial
It’s Immaterial

Vers le milieu des années 1980, il y a eu une poignée d’albums qu’on n’a pas vraiment su classer – ou plutôt, qui échappaient à nos références principales et donc, à nos catégories (des catégories qui de toutes façons n’allaient plus tarder à complètement voler en éclats). Sans ordre chronologique d’apparition, je me souviens du Boat To Bolivia de Martin Stephenson & The Daintees, de Walk Accross The Rooftops et Hats de The Blue Nile ou du Steve McQueen de Prefab Sprout. Ce sont des disques qu’on aimait passionnément sans vraiment comprendre d’où ils venaient, d’où ils sortaient – mais finalement, était-ce important ? Et en 1986, après quelques singles disséminés au début de la décennie (à côté desquels j’étais pour ma part complètement passé), It’s Immaterial s’est immiscé dans mon quotidien. Deux gars installés à Liverpool, mais originaires de Manchester (ça, c’est pour faire le malin parce qu’au final, ça ne dit pas grand chose sur les disques). À gauche, Jarvis Whitehead, qui joue des instruments ; à droite, John Campbell, qui chante (et vraiment bien). Deux gars, donc, qui ressemblent à des Messieurs Toutlemonde (ou à des acteurs des films de Hal Hartley) mais écrivent des chansons comme (presque) personne. Derrière un hit faussement enjoué à l’accent nord-américain que n’aurait pas renié Stanard Ridgway – un hit qui, je crois, a autant surpris les principaux intéressés que leurs thuriféraires – et son titre à rallonge, Driving Away from Home (Jim’s Song) – quitte à avoir écrit une pop-song, autant ne pas faciliter la tâche des programmateurs potentiels –, se cachait une rimbambelle de morceaux aux mélodies douces amères et aux arrangements en clair obscur qui métamorphosaient la mélancolie en idéal – regroupés derrière un titre qui en disait long sur l’humour mordant des deux garçons : Life’s Hard And Then You Die.

Quatre ans plus tard, le tandem réussissait la passe des deux – voire faisait même un petit peu mieux. En particulier par la grâce d’une chanson tourneboulante joliment titrée Heaven Knows (tout un programme, si on y pense bien), qui allait accompagner, avec quelques autres morceaux, pas mal de soirées passées à tenter de s’inventer un avenir. Au même moment, It’s immaterial a, lui, effacé son futur. Car après la sortie de Song (1990), le groupe a disparu sans laisser la moindre trace. Parfois, on entendait quelques rumeurs : il enregistrait un troisième album… Puis c’était à nouveau le silence radio. Alors, on en restait là, avec ces deux albums inusables – qu’on n’écoutait pas en boucle (ce serait récrire l’histoire) mais qu’on savait toujours pas loin en cas de coup très dur. Ça a duré comme ça pendant trente ans. Jusqu’à cet été. Quand un passionné prénommé Jean-Christophe – un chic type que j’ai rencontré dans ma vie d’avant – m’a envoyé un mail, un matin de ce mois d’août qui n’en finissait plus d’en finir, pour me dire qu’It’s Immaterial avait achevé ce disque arlésienne que plus personne n’attendait – et peut-être même pas ses auteurs. Dans le mail, il y avait un lien. Un lien vers dix chansons qui balayaient d’un vulgaire revers de main tous les doutes, toutes les appréhensions – en fait, c’est dès l’intro du premier morceau, Summer Rain (je crois que ce titre en dit long sur les aspirations de Jarvis et John), que tout cela avait été balayé. Alors, bien sûr, et je me rappelle très bien l’avoir écrit à Thomas, j’ai pensé, encore plus cette fois-ci que les précédentes, à des Pet Shop Boys sans les décors de péplum – pour ces mélodies dont on a peur qu’elles se brisent en mille morceaux tant elles sont fragiles, pour cet air de ne pas y toucher, ce faux détachement qui dissimule mal les émotions qui se bousculent dans ces couplets et ces refrains. Malgré cela, aujourd’hui comme hier, on a toujours du mal à comprendre d’où vient It’s Immaterial (oui, je sais, de Manchester, c’est moi qui vous l’ai dit tout à l’heure, pas la peine de faire les malins). Mais c’est sans doute parce que ces gens-là n’ont ni œillère, ni frontière. Ils puisent ici et là, ils puisent là où les guident leurs sentiments. Et à ce titre, les quinze morceaux qu’ils ont sélectionnés ici en sont la plus irréfutable des preuves.

1.Buffalo Springfield, For What It’s Worth (1967)

Stills et Young avaient vu juste dès le départ et n’auraient pas du s’embêter avec tout le truc de “Crosby and Nash”, ça nous aurait épargné Teach Your Children Well. Des problèmes dans les rues américaines – un thème qui sonne comme trop familier…

2. Nick Drake, Road (1972)

Le son particulier de vieilles cordes de guitare, un autre de ses accordages non conventionnels et sa façon syncopée de jouer avec sa main droite. Complètement diabolique à jouer et à reproduire avec le même feeling. Une chanson hantée.

3. Choir of King’s College, John Tavener : The Lamb (Cambridge, 1982)


Les paroles viennent du recueil de poèmes de William Blake, Songs of Innocence. Le contraste entre le couplet, avec ses harmonies influencées par la musique de l’église orthodoxe russe, et les accords du refrain, qui s’étendent à la façon du jazz, est juste sublime.

4. Bobby Womack, Daylight (1975)


Cette chanson te fait juste te sentir bien… Je crois qu’il l’a écrite après une nuit passée à faire la fête à Saint Louis, Missouri, et elle est juste joyeuse ! Visiblement, ce fut une bonne soirée.

5. Jürgen Paape, So Weit Wie Noch Nie (from Kompakt Total 3, 2001)


Pendant un temps, j’ai adoré écouter en voiture toutes les compilations Total de house minimale allemande, publiée par le label de Cologne, Kompakt. Il s’en dégage un feeling très européen – une perspective dont beaucoup d’entre nous, dans le nord-ouest de l’Angleterre, nous sentons encore proches. Vive la révolution britannique !

6. Talk Talk, Living In Another World (1986)


Ça vaut le coup d’étudier la façon dont les accords de cette chanson modulent différents tons. C’est magistral la façon avec laquelle cela t’entraine dans un voyage euphorique.

7. Gene Pitney, Twenty Four Hours From Tulsa (1963)


Une composition de Burt Bacharach et Hal David qui se marie avec toute la gamme émotionnelle de la voix de Gene Pitney. La narration t’emmène en voyage mais le fait d’écrire une lettre explique pourquoi on se sent si près de chez soi.

8. Amy Winehouse, Tears Dry On Their Own (Live at Later with Jools Holland, 2006)


Cette version dégage tant d’émotions… Elle sonne bien mieux ainsi, débarrassée de la production très maniérée de Mark Ronson. Je suppose que cela pourrait devenir l’hymne de tous ceux qui ont des problèmes et tentent de se soigner eux-mêmes. Ah mais, attendez…

9. Shuggie Otis, Strawberry Letter 23 (1971)

On se souvient de ce titre grâce à la version disco funk de Bros Johnson en 1977 mais je préfère cette version originale plus plaintive. Le chorus dit « Strawberry Letter 22 » à la place du titre original de la chanson. C’est parce que sa prémisse raconte l’histoire d’un couple qui échange des lettres d’amour sous une forme musicale. Le chanteur crée « Strawberry Letter 23 » en tant que réponse à la chanson qu’il a reçue, et se réfère à « Strawberry Letter 22 » lorsqu’il répond.

10. Arvo Pärt, Spiegel im Spiegel (1978)

Un miroir dans un miroir. Je ne suis pas sûr de cet argument mais la composition a été faite sur un piano plus ou moins désaccordé.  Il l’a écrite lorsqu’il était sur le point de quitter son Estonie natale pour se libérer du joug Soviétique. Tellement beau et calme.

11. Steely Dan, Black Cow (1977)

Au cœur de l’année du punk, dans toute cette énergie, ce morceau cool et jazzy qui se détache de tout cela avec un arrangement magnifique et un rythme créé par Steve Gadd – qui a été samplé tellement de fois.

12. Sly And The Family Stone, Family Affair (1971)


La première fois que j’ai entendue une boite à rythmes comme élément central de la rythmique… Il se dit que Richard Tilles, le technicien du studio, a édité la boite en question pour qu’elle sonne comme les battements d’un cœur. Le piano électrique de Billy Preston et le son low-funk a à chaque fois le même effet sur moi…

13. Max Richter, On The Nature Of Daylight (2004)


On the Nature of Daylight a très souvent été utilisé au cinéma et est extrait de l’album The Note Books que M. Richter a décrit comme “un album de protestation au sujet de l’Irak, une méditation sur la violence – à la fois la violence que j’ai subie personnellement enfant et la violence de la guerre, la futilité absolue de tous ces conflits armés”. c’est une composition extrêmement émouvanteq ui, quand nous ressentons de la tristesse et de la douleur, transforme cela en quelque chose de beau…

14. Krafwerk, Trans Europe Express (1977)


Des rythmes minimalistes en séquence qui entonnent un voyage en train… Quelque chose de complètement nouveau pour moi, qui arrive en train à Liverpool. Et un nouveau départ aux Beaux-Arts.

15. William DeVaughn, Be Thankful for what you got (1974)


Encore une rythmique fantastique, enregistrée par les membres de MFSB, le groupe-maison du Son de Philadelphie – le guitariste Norman Harris, le batteur Earl Young, le bassiste Rusty Jackman and cle joueur de congas Larry Washington… Juste une sensation extraordinaire.

House for Sale de It’s Immaterial vient de sortir sur leur propre label, It’s Immaterial.

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