Landfill Indie : retour sur l’indie-rock des années 2000

The Cribs
The Cribs / Photo : Steve Gullick

Depuis quelques mois, le débat sur le Landfill Indie resurgit dans les pages (virtuelles) de la presse anglaise, notamment chez Vice, The Guardian, ou le NME (qui le défend bien sûr). Le nom attribué à ce genre a de quoi surprendre, Landfill signifiant littéralement décharge. Dans la grande tradition des genres aux noms moqueurs (Shoegaze, Krautrock), le nom s’imposera-t-il définitivement ? Peut-être comme de nombreuses autres insultes, il sera porté en étendard par ceux qui en ont été victime.

Razorlight
Razorlight

La définition en est simple mais aussi assez floue. Nous parlons principalement des groupes de rock indé générique britanniques entre 2004 et 2009, c’est à dire toute cette vague de formations apparues dans le sillon des Strokes, White Stripes, Interpol, Libertines et Franz Ferdinand. La deuxième moitié des années 2000 fut d’une richesse incroyable, quantitativement, en terme de groupes à guitares. Le son général n’a cependant rien d’uniforme. Le trait commun serait peut être à rechercher dans le recyclage des grands mouvements de la pop d’outre-manche : mods, ska, britpop, punk, post-punk, glam etc. Il s’agit ici de s’inscrire dans le patrimoine britannique fantasmé, une famille dans laquelle nous trouverions pêle-mêle XTC, Madness, Kinks, Beatles, Bowie, The Cure, The Smiths, Oasis, Stone Roses, The Jam, The Clash, Blur, Supergrass ou Orange Juice. Comme pour le garage sixties, reste à savoir si il faut adopter une approche esthétique ou temporelle. La première est forcément injuste tant le terme est pour le moment insultant. Personne ou presque ne veut voir sa musique être considérée comme Landfill. Tous les groupes de la période ne pratiquaient d’ailleurs pas cet indie rock gentil (pas forcément mauvais de surcroît) qui ont fait les grandes heures du genre. Pour un Kooks, un Razorlight, Paddingtons, ou un Ordinary Boys qui épousent les définitions (esthétique et temporelle) combien de The Horrors, Late of the Pier, ou Forward Russia ? Même si ces derniers ne s’inscrivent pas dans la forme, ils appartiennent à la même génération de groupe, au même élan général de réhabilitation des guitares. En France, le revival rock a aussi eu sa version locale avec les Bébés Rockeurs, un terme, qui s’il n’est pas aussi dépréciatif que landfill n’en reste pas moins assez injuste également. Reste que celles et ceux qui ont vécu le truc en direct n’en ont, probablement pas de mauvais souvenirs. L’excitation autour de la musique à guitare était grisante.

L’émergence de dizaines de nouveaux groupes toutes les semaines piquait en permanence notre curiosité. Il y en avait un peu pour tous les goûts, y compris les snobs. Beaucoup de groupes se préoccupaient toutefois de nous faire danser (une ambition malheureusement quasi-disparue de nos jours du côté du rock) : comment pas esquisser un déhanché sur l’excellente Giddy Stratospheres (2006) des Long Blondes ? L’ensemble de la scène était couverte à un niveau qui semble hallucinant en 2020 pour de la musique à guitare. L’intérêt profitait à tous, les mauvais comme les bons groupes. Les pastiches des Libertines ou Razorlight à la petite semaine avaient autant le droit de cité que les authentiques groupes d’hymnes de pub à chanter quand on est plus beurré qu’un kouign-amann. En France, où le rock était nettement moins populaire qu’en Angleterre, ce ne fut évidemment pas aussi saillant, néanmoins cette vague de groupes britanniques attirait beaucoup de monde dans les concerts. Que ce soit à la Flèche d’Or (les soirées Poupée de Son), au Triptyque (Poptones) ou aux Inrocks Indie Club de la Maro, l’ambiance était souvent électrique pour des groupes dont l’existence remontait parfois à quelques mois.

Dirty Pretty Things
Dirty Pretty Things à la soirée Poptones eu tryptique à Paris en 2005 / Photo : Blog Mucky Fingers

Tout allait vite, voir trop vite, tant un groupe avec une démo correcte pouvait signer en major en l’espace de quelques jours sur la foi d’une poignée de morceaux et de concerts. Comment ne pas penser à certaines sensations qui ne transformèrent jamais l’essai ? Des Joe Lean and the Jing Jang Jong par exemple; pour la petite histoire ces derniers formeront l’ossature de TOY. L’emballement général, pour des groupes parfois très médiocres, fut certainement le coup de grâce du genre. Quinze ans plus tard, l’heure est à l’introspection et au bilan. Il est souvent sévère d’ailleurs. Cela semble injuste sincèrement. Certes, il y a paquet de formations oubliables (et déjà oubliées), des groupes de mécheux dont l’ambition étaient d’être chroniqués dans le NME alors encore florissant. Les looks de certaines photos promo sont un saut dans le temps assez fascinant. Entre les interstices de cette pop vaguement indépendante se logèrent des petits trésors à redécouvrir. Ils sont rarement landfill esthétiquement, mais font partie de la même vague qui nous submergea il y une quinzaine d’années.

The New Fellas (2005) et Men’s Needs, Women’s Needs, Whatever (2007) des Cribs restent deux excellents disques de pop nerveuse et juvénile. You’re supposed to be my friend (2006) des Écossais de 1990s conserve son statut de tube sacrément malin et efficace. Les méconnus Popular Workshop explorèrent l’héritage grunge (leur album est produit par Albini) avant que cela ne reviennent à la mode il y a quelques années. Le garage des anglo-argentins des Draytones était sacrément frondeur, et leur single Keep Loving Me (2007) défonce toujours autant treize ans après. Bang Bang Rock & Roll (2005) d’Art Brut ne ferait certainement pas tache en 2020 non plus, grâce à des textes particulièrement bien sentis. S’ils n’ont jamais réussi à l’égaler, Capture / Release (2005), le premier album des Rakes, nous donne toujours envie de pogoter comme des jeunes chiens fous sur la géniale Strasbourg et sautiller sur 22 Grand Job. Le rock funky de Magistrates aurait mérité mieux (Make this Work, 2009) de même que leurs collègues de Golden Silvers (Arrows of Eros, 2008). Dans leurs meilleurs moments, les Neils Children savaient pondre des singles redoutables à mi-chemin entre freakbeat et The Cure, loin de n’être qu’une bouffée nostalgique, réécouter I’m Ill (2008) ravive en nous le souvenir d’excellentes mélodies pop. Here come the Rumour Hill (2006) des Young Knives se tient encore aussi très bien dans le genre morceau frondeur à la morgue haute. Attack Attack Attack (2003) de Black Wire pourrait aussi en étonner plus d’un avec sa boîte à rythme et son ambiance presque Suicidesque. Nous pourrions multiplier les exemples, des groupes dont la musique nous touche toujours aujourd’hui et dont la qualité ne se résume pas à être des pastilles nostalgiques. Peut-être devrions nous faire une playlist landfill ?

Une réflexion sur « Landfill Indie : retour sur l’indie-rock des années 2000 »

  1. Pour ceux qui ont vécu le truc en direct comme tu dis,c’était génial.La qualité était là,yavait pas que de la hype.
    A-t-on sorti dans la décennie 2010 qqchose de mieux que Penance soirée des Icarus Line?

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