« Qui est cette femme à l’étrange aura
qui n’achète rien d’autre
qu’une boule de mozzarella ? »
De son propre aveu (un temps d’échange avec l’artiste était organisé via une célèbre plateforme le 26 mars au soir), ces enregistrements étaient pour Marie Klock une façon de composer avec le deuil, la perte et le chagrin. Après la mort au printemps 2022 de Damien Schultz, poète, musicien et proche ami avec qui elle avait prévu d’enregistrer un disque, la jeune femme s’est isolée pour composer ce court album – 30 minutes – avec ce qu’elle avait sous la main : ses souvenirs, des textes, poèmes, textes de chansons de Damien, qu’elle avait collectionnés – celui-ci semant avec largesse sur les réseaux – et les instruments qu’elle avait sous la main. Habituée à la forme classique des chansons (on a bien dit la forme, parce que Marie Klock bousculait déjà le fond disons très libre de ces chansons, cf. son précédent et fondateur album éponyme paru chez les Disques de la Face Cachée), elle a dû forcément s’adapter à la forme des textes de son ami, délaissant le couplet-refrain pour des boucles, permettant aux mots de se déployer dans leur grande crudité, leur pornographie, leur intensité, leur humour aussi. C’est ensuite avec Julien Louvet, un proche du disparu, que Marie Klock a travaillé, lui laissant l’enregistrement et le mixage de Damien est vivant, en plus de lui confier certaines parties instrumentales, des guitares par-ci, un harmonium indien par-là, pour étoffer ce qui pouvait coller avec une idée de l’univers de Schultz : difficile tant ses influences éparses s’étalaient de Throbbing Gristle à Grateful Dead, en passant par Yes et White House. Si une chanson comme Les cerisiers mon coeur peut rappeler la Nico de Desertshore (un disque aimé par Schultz), le disque évite de se disperser en conjectures et c’est bien un disque de Marie Klock que l’on écoute, son univers semblant se superposer facilement avec celui à qui il rend hommage : crudité, vulgarité (sperme, bite, sont des mots qui vont très bien ensemble), confusion des niveaux d’interprétation, poésie du rien, humour désespéré… Une forme de gémellité semble se dévoiler sous nos yeux, un lien avec l’au-delà, Elvis-Marie et Jesse Garon-Damien.
C’est le propre des personnes réellement intenses qui peuvent changer le cours des vies qu’elles croisent : elles nous révèlent à nous-mêmes plutôt qu’elles tentent de nous influencer ou de manipuler. C’était visiblement le super pouvoir de Damien Schultz, et Marie Klock, et Julien Louvet semblent pouvoir en témoigner. Au point de faire ressentir une présence fantomatique : déjà, on entend sa voix, le peu des traces laissées par le projet initial d’album avec Marie. Qui raconte ensuite une séance où, elle butta invariablement sur le mot « boule », bafouillant « bouteille » à la place pendant les prises de voix, en déduisant la présence de l’homme en bermuda, torse-nu. Avec de disque, il est là, c’est sûr, et pour longtemps.