Low qui dort

Low
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Quelques jours à peine après la révélation du nouveau single du groupe, Days Like This, en prélude à leur nouvel album HEY WHAT dont la sortie est annoncée pour le 19 septembre sur Sub Pop avec toujours BJ Burton à la production comme sur l’immense Double Negative (2018), nous avons eu envie de revenir sur le parcours de ce groupe fascinant avec une interview donnée en 2004. Ceux que l’on qualifiait de slowcore venaient de sortir un album charnière, The Great Destroyer.


Mais quelle mouche a donc piqué Low ? Le groupe qui célèbre cette année ces 10 ans de carrière et que l’on croyait définitivement atteint par la maladie du sommeil s’éveille au son des guitares déchaînées du bien nommé The Great Destroyer. Explications et éclaircissements rétrospectifs en compagnie des deux éléments masculins du trio de Duluth, amputés de leur batteuse restée pouponner au pays. Un seul être vous manque…

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Lessivés, cuits, épuisés. Au terme d’une série de journées promotionnelles autour de l’Europe, c’est dans un état plus proche de l’inanition que de leur Minnesota natal que se présentent devant nous Alan Sparhawk et Zack Sally afin de converser autour de leur nouvel album, l’excellent The Great Destroyer. Par expérience, on sait déjà qu’il n’y a pas forcément grand chose à attendre de ces interrogatoires de fin d’après-midi où les musiciens moulinent automatiquement les quelques réponses standard qui affleurent encore à leurs lèvres, semblables aux marathoniens qui, dans les derniers kilomètres de leur parcours n’ont même plus besoin de mobiliser une quelconque volonté consciente pour continuer à mettre une jambe devant l’autre. Occupés à engloutir les quelques chocolats Dalloyau qu’une manageuse anglaise bien intentionnée, mais aux compétences culinaires limitées, leur a jeté en pitance (il y aurait, plus généralement, tant de choses à écrire sur les représentations invraisemblables que semblent se faire les managers britanniques des sommets de la gastronomie parisienne…), les deux tiers de Low s’efforcent pourtant avec une bonne volonté touchante, de mobiliser leurs quelques neurones encore en état de marche pour tenter d’oublier en notre compagnie le mal du pays où les attend Mimi Parker, le troisième tiers du groupe et la moitié d’Alan, la chambre d’hôtel bien méritée, qui n’a jamais été si proche et si lointaine, et les quelques journées du même tonneau qui devraient encore se succéder dès le lendemain matin. Un peu apitoyé, on aurait bien envie de leur suggérer un programme réduit pour les minutes à venir, du genre une tisane et au lit sans dîner. Et puis, finalement, on passe tout de même aux questions.

LE BRUIT ET LA FUREUR

Après tout, cette grosse fatigue n’a rien pour nous surprendre : l’année 2004 a été bien chargée pour Low, marquée par la conception d’un nouvel album et d’un deuxième enfant, pour ce qui concerne le couple Sparhawk/Parker, mais également par la sortie d’un coffret, A Lifetime Of Contemporary Relief, rassemblant inédits et versions rares accumulées au cours de dix années d’activité continue. Une tâche compilatoire à laquelle le bassiste s’est attelé, non sans mal. “Pour ne rien te cacher, c’était un peu pénible. J’ai du écouter tous les cd’s trois fois pour tout vérifier. Trois fois quatre heures de Low, j’avoue que même pour moi c’est un peu déprimant ! La première écoute est agréable. On s’aperçoit qu’on a oublié plein de choses, des démos, des chansons qu’on a laissées de coté et qui sont plus réussies qu’on ne le pensait. Globalement, je trouve que c’est plutôt un bon résumé du chemin parcouru pendant ces 1O ans.” Pourtant, dans ce contexte d’hyperactivité, The Great Destroyer apparaît comme l’œuvre la plus radicalement rock et énergique d’un groupe dont les détracteurs se plaisent à railler l’apathie. “A nos débuts, c’est incontestable, les émotions sur lesquelles nous jouions étaient plutôt de l’ordre de la tristesse, de la solitude”, reconnaît Sally. “Il y avait déjà un peu d’espoir ou de joie dans certains titres mais c’était tellement caché que les gens nous ont collé cette étiquette de groupe dépressif. Pour moi sur les trois ou quatre premiers albums nous avons planté le décor. A partir de Secret Name et sur les deux suivants, nous avons rajouté de nouveaux éléments dans le décor, des instruments, une palette d’émotions plus large. The Great Destroyer change encore plus nettement les choses. On élargit carrément la scène. Malheureusement, je pense que le fait que nous jouions toujours certains morceaux sur des tempos lents impliquera toujours pour certaines personnes que nous faisons de la musique déprimante.” Désormais, les guitares électriques s’y taillent une place de choix, reléguant au second plan le piano souvent entendu sur les derniers opus. Selon Sparhawk, il s’agit davantage d’une nécessité esthétique ressentie après-coup que d’une réponse délibérée aux critiques les plus faciles et les plus récurrentes.

“On a écrit les chansons ensemble, exactement comme d’habitude. Et puis, on s’est aperçu qu’elles sonneraient mieux si on les rendait plus furieuses, plus désespérées. Je ne sais pas exactement pourquoi mais ces chansons ressemblent à des combats. Et, quelquefois, la guitare est l’instrument le plus approprié pour évoquer le combat : on peut l’empoigner, la frapper, la secouer.” Cette découverte d’un Low plus hargneux et moins mélancolique qu’à son habitude s’accompagne d’une autre surprise de taille. Après s’en être remis pendant bien des années à Steve Albini, spécialiste s’il en est des sonorités rugueuses et des stridences hardcore, pour créer une musique faites de lentes atmosphères dépressives, Low a confié la production de son album le plus rageur à Dave Fridmann, grand maître du néo-psychédélisme américain, davantage réputé pour ses talents dans la confection d’ambiances planantes et luxueusement capitonnées que pour sa capacité à capturer avec sobriété des guitares taillées la serpe. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la collaboration a fonctionné au mieux. “Les chansons étaient déjà écrites quand nous avons décidé de faire appel à lui. Nous savions assez bien ce que nous attendions, mais nous avions aussi besoin d’un regard extérieur pour nous aider à explorer certaines pistes. Et il a très bien compris ce que nous voulions. Nous ne sommes pas arrivés chez lui en réclamant des cordes à la Mercury Rev ou le son de batterie de The Flaming Lips. Nous avions envie de ce son très dénudé, très électrique. Même pour sa réputation à lui, il avait plutôt intérêt à nous suivre. Au moins, les gens entendront qu’il n’est pas uniquement capable de décliner la même formule.”

IN/OUT

Ce souci d’échapper aux catégories usuelles de la critique et de l’industrie musicales anime les membres de Low depuis leurs premiers balbutiements communs. Il faut dire qu’en 10 ans, le groupe s’est vu collé davantage d’étiquettes plus ou moins réductrices qu’un article de fin de soldes en quatorzième démarque : de leur lenteur légendaire jusqu’aux austères convictions mormones du chanteur, tout a été sujet à raillerie. Ce n’est pas, en tous cas, du coté de la religion, qu’il faut chercher les clefs de l’œuvre de Low, comme le confirme une fois de plus Sparhawk : “Nous ne sommes pas un groupe de musique chrétienne. Mimi et moi sommes croyants, Zack ne l’est pas. Les gens ont une représentation très caricaturale des mormons. Pour moi, ma foi n’est pas constamment une source d’angoisse et de tristesse. C’est plutôt une expérience assez joyeuse. Quant aux références religieuses qui peuvent parfois être présentes dans les textes, j’essaie toujours qu’elles restent assez ouvertes. C’est davantage une façon de susciter des évocations poétiques. Rien qui n’ait déjà été fait par Johnny Cash ou Nick Cave.” Les influences affichées par le groupe ne sont pas nécessairement plus éclairantes. A quelle extrémité du spectre musical pourrait-on, en effet, l’assigner lorsqu’il se réclame tout à tour de Joy Division ou de Black Sabbath, reprend Pink Floyd et The Beach Boys, et déclare rêver de jouer un jour en première partie de Morrissey. “Il y a plein de gens qui font du rock et qui le font très bien. Nous n’avons jamais pensé à leur faire concurrence. D’un autre coté, je trouve aussi que de suivre la vague d’un revival folk ou country nous limiterait tout autant. Nous avons enregistré des morceaux très longs et très bruitistes et aussi des reprises de John Denver. Nous n’avons jamais été vraiment intégrés dans un courant précis. Au début des 90’s, nous n’étions pas accepté par la scène indé. A la fin des 90’s, nous n’avons pas fait partie du courant post-rock et aujourd’hui, nous sommes plutôt mal partis pour nous accrocher au wagon de la new wave new-yorkaise. On ne serait pas très crédible. Au bout de 10 ans, nous sommes plus libres que la plupart des autres groupes. C’est très appréciable. Et puis, le fait de ne jamais avoir été in nous a peut-être permis de ne jamais être out.” C’est sans doute aussi ce qui explique cette relation si particulière et si intime que Low a cultivé au cours de la décennie avec un public, certes restreint, mais d’une constance et d’une dévotion suffisamment rare pour susciter l’étonnement et l’admiration, dans une période riche en sensations fugitives et en passions éphémères. “ Low n’a jamais été un groupe que les gens écoutent parce que c’est hype, ou qu’il pensent qu’ils vont avoir l’air cool. La relation avec le public ne s’est jamais construite dans l’instant, ou comme quelque chose de fugitif. C’est un rapport beaucoup plus profond, plus fidèle. C’est mieux, je trouve.” Cette relation si particulière tient peut-être avant tout à ce sentiment d’intimité si particulier éprouvé à la fréquentation des œuvres et des prestations scéniques du groupe. Contrairement à l’axiome rock selon lequel un bon groupe ne saurait être durablement créatif sans que ses membres se cognent régulièrement sur le coin de la figure, le trio laisse transparaître à travers ses chansons, ses attitudes et ses propos, un bonheur communicatif à être ensemble. Pour Sparhawk et Parker, ces 10 ans de collaboration artistique ont coïncidé avec autant d’années de vie commune, pour le pire, rarement, et pour le meilleur, surtout. “Le fait de travailler avec la personne qu’on aime et avec son meilleur ami comporte, bien sûr des risques. Les jours où ça se passe mal musicalement sont rarement des bons moments pour le couple. Mais, la plupart du temps, c’est juste formidable. La relation créative enrichit la relation amoureuse. Le fait de créer quelque chose de beau, sur scène, avec ces deux personnes que j’adore procure une sensation grisante. C’est un peu comme d’aller à la clinique tous les soirs pour donner naissance à un nouvel enfant. Et tous ceux qui ont eu des enfants un jour savent ce que ça peut apporter à un couple.” La sincérité de ces propos ne peut être remise en doute : avant de laisser les deux compères s’en retourner à leurs devoirs professionnels et familiaux, on leur demande juste une petite phrase de conclusion en forme de bilan pour ces 10 années d’activisme mélancolique. Le cri du cœur sort simultanément de la bouche des deux hommes : “ Mimi est notre arme secrète ! ”


Cette interview a été originalement publiée dans la RPM en décembre 2004.
A écouter également : notre émission Transmission consacrée à Low.

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