Au milieu des années 80, la première vague de groupes indie-pop se fédère souvent autour de quelques formations emblématiques, parfois encore en activité. Des années soixante, les fantômes des Byrds et du Velvet Underground visitent les guitares Rickenbacker et les pédales fuzz de groupes comme les Smiths, R.E.M., Primal Scream, The Jesus and Mary Chain, The Pastels ou Spacemen 3. Beaucoup piochent aussi dans le plus récent. La sensibilité pop des Buzzcocks et des Ramones irrigue ainsi les créations de nombreux groupes à travers l’Europe. Qu’ils viennent d’Ecosse (Soup Dragons, Shop Assistants), d’Angleterre (Talulah Gosh) ou de France (G.P.S., Les Calamités), nombreux sont les musiciens et musiciennes touchés par les mélodies entêtantes et sucrées de ces groupes de punk, plus bruyants que réellement méchants.
L’Espagne n’est pas en reste. Sur les cendres encore chaudes de l’endiablée Movida madrilène, Los Nikis, une formation d’Algete, dans la banlieue de la capitale, s’éprennent des saccades pop du groupe new-yorkais culte et en ravivent la superbe fraîcheur adolescente. Chansons à l’os, sans un gramme de graisse, les musiciens ibériques écrivent les hymnes d’une Génération X buvant jusqu’à la lie, une liberté retrouvée, après la chape de plomb franquiste. Comme la plupart de groupes ibères des années 80, Los Nikis s’expriment dans la langue de Cervantes plutôt qu’en anglais. Ce choix leur permet de se créer un public loyal, susceptible de s’identifier dans leurs textes simples mais fringants. Ils publient deux formats courts sur le label navarrais Tic-Tac (Esplendor Geométrico) avant de signer chez 3 Cipreses en 1985, une structure liée à la maison de disques DRO. Cette dernière est une véritable institution de la scène espagnole des années 80. Fondé par Servando Caballar du groupe synth-pop Aviador Dro, les Discos Radioactivos Organizados hébergent moult excellentes formations nationales telles que Los Flechazos, Glutamato Ye-Yé ou Aventuras de Kirlian. Los Nikis y trouvent ainsi les moyens de réaliser un premier album d’excellente qualité en 1986 : Marines A Pleno Sol. En douze titres, Joaquín Rodríguez (basse), Arturo Pérez (guitare), Emilio Sancho (chant) et Johnny Canut (batterie) enchaînent les déflagrations pop à vive allure. Les hostilités démarrent sur El Imperio Contraataca, l’un des morceaux les plus connus du répertoire de Los Nikis. 10 años en Sing-Sing est un hommage décomplexé aux girls-groups, non sans une pointe d’humour. Si le groupe nous dupe avec une introduction acoustique, c’est pour mieux envoyer un brûlot aux guitares turbulentes (Luis Enrique). Les mélodies douces-amères de Salvaje Pasión convoquent les Buzzcocks tandis La Rebelión De Los Humanos cimente la passion de Los Nikis pour les Ramones. La production de Marines A Pleno Sol, marquée par les années 80, vieillit plutôt bien. Elle a certes quelques artefacts de son époque (une réverbération très présente sur les batteries) mais rien qui puisse nous détourner du propos général. Il ne s’agit ainsi pas de s’interroger sur le sens de la vie mais de lâcher prise et s’éclater. Los Nikis enregistrent deux autres albums à la fin de la décennie et un disque dans la suivante, de quoi assurer leur place au panthéon du rock indépendant espagnol.