The Garden, Horseshit On Route 66 (Vada Vada)

Le nouvel The Garden est un marché, à prendre ou à laisser. À chaque nouvelle écoute, c’est direct 15 points de QI en moins, mais en échange, vous accélérez grandement votre transformation en gobelin halluciné et insouciant qui flotte à 500 pieds au-dessus du monde. Cinquième album en quasi une décennie et les frères jumeaux Wyatt et Fletcher Shears le tiennent enfin leur magnum opus, le résumé du raffut qui les a amenés ici, la somme de toutes les peurs : Horseshit On Route 66, 24 minutes du punk le plus jubilatoire, le plus insensé et le plus catastrophique que vous n’ayez jamais entendu.

Difficile pourtant de définir de quoi est vraiment fait un morceau de The Garden. Sur les 11 titres de HOR66, on retrouve assez frontalement le combo basse graveleuse/batterie nerveuse qui sert de fondation au duo depuis ses débuts (en tête sur leur excellent haha en 2015), toujours mêlé aux obsessions électroniques quasi-digital hardcore qui ont émergé plus récemment dans leur spectre sonore. Et c’est justement le mélange des genres opéré ici qui trouble : brutal mais pas tant que ça, déconstruit mais étonnement direct, ras les pâquerettes mais toujours arty, extrêmement mélodique derrière les assauts de distorsion. Impossible de savoir sur quel pied danser, qui sait où nous trimbalera le train fantôme au prochain virage.

The Garden dans un skatepark, interprétant Orange County Punk Rock Legend

Et toute la magie est là : The Garden composent un peu tout le temps le même morceau, mais il n’y a qu’eux qui sachent le faire, alors peu importe. Comment on explique Orange County Punk Rock Legend ? Générique de sitcom 90’s qu’on aurait laissé fondre au soleil alors qu’une basse dans le fond essaie de sonner comme le moteur grippé d’un Monster Truck, c’est une explosion débile et incandescente, un capharnaüm magnétique, un tube de l’été pour rats d’égouts. Et tout l’album est à l’avenant, improbable, extatique. Le morceau-titre ressemble à du funk-rock californien, si la Californie était devenue un no man’s land suite au passage d’une ogive nucléaire. X in the Dirt balance le son de guitare le plus crasseux possible sur trois accords maniaques avant de virer drum & bass. Sur OC93, Wyatt Shears nous montre l’étendue de sa tessiture, entre loner désabusé et clown qui beugle.

Une photo de The Garden
The Garden

Mais alors pourquoi vouloir rester là ? Pourquoi se complaire dans un tel charnier ? C’est que derrière les déflagrations punks, il se dégage de Horseshit On Route 66 une sorte de chaleur étrange, un incompréhensible sensation de douceur. Comme une soirée marshmallow au coin du feu avec des tueurs en série (At The Campfire – guitares acoustiques toutes douces et rires maniaques qui tournent en boucle), comme un pique-nique au milieu d’une décharge publique par un beau jour d’été, The Garden ont cette faculté à créer des chez-soi chaleureux dans les plus improbables environnements. Tout est là dans Freight Yard, morceau parfait s’il en est, avec son riff de basse buté, sa batterie devenue boite à rythme qui tambourine, et puis soudain, sur le refrain, ses guitares rachitiques aux cordes détendues, appuyant une douce mélodie éteinte de cowboy mélancolique qui veut juste qu’on lui foute la paix : « I keep my door closed shut in case you motherfuckers ».

Photo de The Garden, par Cowgirl Clue
The Garden, photographiés par Cowgirl Clue

C’est peut-être cette attitude-là qui fait la beauté tendre de Horseshit On Route 66, et lui donne des allures de version cramée du Grand Roman Américain : une ode toute conne à la liberté, à l’indépendance («I wanna get a hold of some peace and quiet/Smog-filled junk, I guess I’ll buy it »), sans aucune prétention ni leçon à donner (« But now it raises the question, and I don’t have a answer for you »), à l’image de cette carrière de musiciens indépendants qui n’ont, semble-il, jamais fait une seule concession artistique de leur vie. The Garden, c’est une façon d’habiter le monde, de le traverser en bétonnant un chemin à soi, toujours à la recherche d’une autre perspective, jamais sédentaires, toujours incertains. « When I see that closed door I’m gonna chainsaw through it/The only question now is what is on the other side » répètent les jumeaux sur le refrain du lumineux Chainsaw The Door avec son synthétiseur paraissant dessiner un coucher de soleil de carte postale, en se demandant à quoi pourra ressembler demain. Peu importe la destination, l’important, c’est le fier détritus qu’on est devenu en chemin.


Horseshit On Route 66 par The Garden est disponible sur leur Bandcamp.

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