Cinq après leurs débuts, deux ans après leur signature chez Matador (Interpol, Guided By Voices, Pavement, Yo La Tengo, Car Seat Headrest…), le trio de Chicago Lifeguard sort Ripped and Torn, son premier album. Affilié à un prestigieux label indépendant étatsunien, Lifeguard affiche pourtant à peine vingt ans de moyenne d’âge en moyenne. Composé d’Asher Case, Isaac Lowenstein et Kai Slater, ces jeunes musiciens sont solidement implantés dans la scène underground locale. Les deux premiers ont ainsi joué dans le backing band de Horsegirl (avec la sœur d’Isaac, Penelope Lowenstein) à ses débuts, tandis que le dernier a son propre projet, l’excellent groupe powerpop The Sharp Pins. Accompagné par Randy Randall (No Age) à la production, Lifeguard n’a pas renâclé à la tâche. Ripped and Torn est un coup de poing dans le plexus, un disque intense et sans concession. Bruyant, agressif, Lifeguard ne cherche pas à plaire à tout le monde.

Ce 33 tours est un antidote à la musique de vibe que défend Spotify et consorts. Certains d’entre nous seront, en revanche, happés par cet album âpre. Post-punk, noise rock, post-rock, no-wave, peu importe le genre, le groupe de Chicago fait du vacarme mais pas n’importe comment. Il y a un certain raffinement dans ce boucan. Chaque morceau développe des idées différentes, prend des chemins de traverse. Le groupe s’inscrit dans une famille, dysfonctionnelle, qui unirait Sonic Youth, Fugazi, Wipers, Mission of Burma ou Hüsker Dü. Paradoxalement, Lifeguard aurait aussi sa place dans les années 2010 quand Parquet Courts, Jay Reatard, Cloud Nothings ou Male Bonding signaient chez les gros indépendants et arpentaient les festivals, en haut de l’affiche. Tout cela rend Ripped and Torn unique et réjouissant. Pas de pudeur inutile, le trio fonce et nous embarque dans ce déluge d’électricité.
Dès A Tightwire et sans sommation, Lifeguard fulmine de rage. À l’inverse, It Will Get Worse a un coté plus pop et léger malgré ses zébrures de feedback, comme si Teenage Fanclub reprenait les Strokes. Les maléfiques Under Your Reach et Like You’ll Lose surprennent avec leurs lignes de basse dubby quand How To Say Deisar aurait eu sa place dans le catalogue de Dischord. L’album se conclut sur TLA, à peine moins bruitiste que le reste. Si le groupe s’éprend parfois d’expérimentations un peu superflues, Ripped and Torn est un sacré album, du genre à ne pas vous lâcher la grappe. À ceux qui doutent du rock indé, la réponse peut désormais être Lifeguard.