Le grand chemin – Beachwood Sparks, Ryusuke Hamaguchi, Steve Tesich

Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

"Drive My Car" Ryusuke Hamaguchi
« Drive My Car » de Ryusuke Hamaguchi

Que vous arrive-t-il lorsque vous faites vos fonds de tiroirs et que vous vous apprêtez à apprendre à conduire? C’est la découverte de nouveaux continents. On aère des textes, on imagine la future liberté glanée sur les routes. Cela ouvre l’appétit et l’imagination culbute en avant sans grand sens de l’orientation. Dans le fond de tiroir de Beachwood Sparks, des chansons vieilles de plus de vingt ans. Autant dire, une éternité mélodique. Mais la poussière n’adhère pas à tout et on ne parcourt pas les chansons de ce Sandbox Sessions avec une oreille fébrile. Pas de visite du musée Grévin, pas de toiles d’araignées entre les cordes et de voix sombres comme la plus profonde des nuits. Ici, rien que du vivant, du solaire. Time est une splendeur sans pareil ; ouvrage digne d’une des périodes les plus honorifiques chez les Byrds, la composition s’étire dans des mineurs remarquables. Que retire-t-on d’une telle chanson? Certainement ce genre de mélancolie astucieuse qui s’amuse à singer l’immensité du ciel dans une flaque d’eau. Avec quoi poursuit-on la route? Avec un film qui devient, intimement, ce type de chemin qui nous fait volatiliser tout idée de rétroviseur mais aussi toute appréhension de l’après, du prochain virage. Temps en suspension, abstrait – c’est toute la tension du film de Ryusuke Hamaguchi. Le cinéaste, comme l’avait fait un Rohmer auparavant, met en opposition la parole et son flux face à une forme de l’indicible. Drive My Car fait se croiser des frontières lointaines: l’intime et le collectif, le désir et l’énigme. Hamaguchi se réfère avec délicatesse à la pièce de théâtre de Tchekhov, Oncle Vania. On retrouve un parfum de solitude, la jouissance de la parole et les illusions amoureuses. Fond de tiroir pour conclure, coincé entre les piles de la rentrée littéraire – je parlerai bientôt du prochain Tanguy Viel – je retombe sur Karoo de Steve Tesich. Livre incendiaire et terrible. Stesich s’amuse comme un fou à faire flamber toute vanité, à broyer tout sentimentalisme – cela avec l’humour aigre d’un Saul Bellow. Karoo, c’est monter dans un ascenseur qui dévisse dangereusement vers les tréfonds de la planète, en compagnie d’un poète raté qui vous répèterait sans cesse une de ses élégies merdiques. C’est drôle, angoissant et blindé de lumières agonisantes. Après une lecture pareille, prendre la route est le plus sain des antidotes. Allez, je m’en retourne à mon code de la route.


Sandbox Sessions de Beachwood Sparks est disponible chez Curation Records
Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi est actuellement en salles (Diaphana Distribution)
Karoo de Steve Tesich (Éditions Points) est toujours en librairie.

 

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