Le club du samedi soir #24 invite Le Gospel

Antonio Julio Duarte
Photo : Antonio Julio Duarte

Nous avions déjà parlé du travail de fourmi d’Adrien Durand et son fanzine Le Gospel dans l’interview donnée pour notre série Papivole, menée par Renaud Sachet. Presque deux ans plus tard, il était logique de prendre quelques nouvelles d’un fanzine né presque au même moment que nous, avec cette idée à priori tout aussi dingue de se reconnecter avec l’essentiel, à savoir nos obsessions musicales sans qu’elles soient perverties par le marketing, et une envie d’écrire de la façon la plus indépendante possible. Refaire de la passion pour la musique une histoire humaine, avec un lien simplifié entre l’auteur et le lecteur. Le Gospel est tout cela, un fanzine qui en est à son septième numéro (double : Une autre histoire du DIY / Musique et lutte des classes – en cours d’envoi), un site qui publie régulièrement du contenu indépendant du fanzine, un shop où on trouve des cassettes, des t-shirts, un beau livre pour enfants… J’ai posé cette après-midi même quelques questions à Adrien pour résumer tout ça, mais ses réponses m’ont semblé témoigner si justement de la situation complexe que nous traversons tous, avec un optimisme revigorant, qu’on a décidé de les publier. Alors pendant que vous écouterez cette mixtape qu’il nous a offerte, lisez ses propos, puis Le Gospel. Nous sommes si peu à défendre nos idéaux aussi librement.

Comment se porte le titre ?

Adrien Durand : Plutôt bien je crois ! Il évolue de manière très organique, en fonction des idées qui viennent, de mon temps libre et de certaines rencontres avec des contributeurs et contributrices. Il est conçu sans aucune autre pression, sauf celle de me faire utiliser mon cerveau et parler de choses que j’aime. Avec des gens que j’aime et j’apprécie.

Après quelques numéros, as-tu trouvé ton rythme de croisière ? Logistiquement, financièrement et éditorialement ?

Adrien Durand : Oui, carrément, mais je ne m’impose pas grand chose niveau timing. Le fait de ne pas vraiment suivre l’actualité mais d’être dans une réflexion qui prend un peu plus de hauteur et de distance aide pas mal à faire les choses sans pression. Logistiquement, j’ai un peu atteint une certaine limite avec ce dernier numéro papier pour lequel j’ai beaucoup écrit et qui marche bien (ce qui fait beaucoup de paquets à envoyer etc…). J’ai prévu de me faire aider un peu plus pour le prochain, notamment sur le côté SR que je fais un peu seul, et n’étant qu’un être humain… Et financièrement, ça tient bien grâce au merch que je produis et aux dons sur le site. Je suis un peu contre le crowdfunding et le fait de pousser les gens au cul (« si vous ne payez pas, on ne sort pas le numéro », etc…). J’arrive à faire des piges symboliques ici et là c’est cool !

Le Gospel #7
Le Gospel #7, numéro double (décembre 2020).
Qu’est-ce que tu es fier d’avoir accompli depuis le début de Le Gospel ?

Adrien Durand : Je crois que Le Gospel a un peu une place à part, et j’ai l’impression que les gens qui suivent ce que je fais y sont vraiment attachés, ça me fait super plaisir. Quand je l’ai créé en arrivant à Bordeaux, c’était un peu en réaction à un climat que je trouvais un peu stérile et stressant à Paris autour de l’écriture et de la musique, et certaines expériences que j’ai eu là bas. Tu écris un papier, il sort douze heures plus tard, vingt-cinq neuneus t’insultent alors qu’ils n’ont lu que le titre et tu passes ta journée à te défendre ou t’attraper avec des gens qui ne comprennent pas que tu ne parles pas de leurs disques. Tu es coincé entre ton analytics et les réseaux sociaux, et c’est un peu une vie de con, quand même. J’ai un peu repris de zéro ce qui me faisait aimer la musique et l’écriture, et du coup, ça m’a beaucoup rééquilibré à la fois psychologiquement, sur le plan de l’ego et sur mon rapport aux autres. Mais sinon, un truc dont je suis fier, c’est de bosser avec des contributeurs qui ont entre 25 et 50 ans, d’horizons différents mais qui souvent se retrouvent dans leurs papiers à défendre des intérêts communs et une même vision de la vie que j’ai envie de défendre. Et qui me font sans cesse découvrir des trucs.

Comment est-ce que tu te positionnes désormais dans le monde assez vaste de la presse musicale, sérieusement abîmé depuis la crise sanitaire (toi qui est en plus sur le terrain indépendant avec Le Gospel, et plus grand public dans Les Inrocks) ?

Adrien Durand : Je pense que j’y ai répondu un peu plus haut :). Je ne me positionne pas vraiment. J’aime sincèrement la presse en général et musicale en particulier. Ça me manque un peu, cette époque des blogs, et je suis un peu triste que les réseaux sociaux aient gagné cette bataille et que journalistes et bloggers nourrissent la bête quotidiennement – je le fais aussi, hein. Je me place donc plutôt dans une position d’outsider qui me va très bien et qui était déjà la mienne quand j’étais musicien ou quand je bossais dans le business de la musique dont je me méfie énormément. Même quand j’écris sur Kanye West ou pour Les Inrocks sur Marilyn Manson ou Billie Eilish, j’essaie de défendre cette vision un peu “à côté des choses”. Sortir de la culture du choc et du clivage pour proposer une réflexion posée, qui prend du recul, fun mais pas décérébrée (j’espère que ça ne parait pas trop pédant, dit comme ça). Et surtout écrire pour les gens qui aiment la musique, pas seulement pour flatter les autres journalistes et pros (tu auras compris que je ne suis pas très fan de l’entresoi en général …)

Comment vois-tu évoluer la situation ?

Adrien Durand : Un peu bizarrement, honnêtement. Voir un média comme FACT arrêter de publier des articles pour ne faire que de la vidéo et ensuite lancer un magazine papier, je trouve ça agaçant. J’ai l’impression que le support papier va devenir la même chose que le vinyle pour les majors et le grand public, une sorte de produit de luxe, un peu quali pour les privilégiés. Mais il y a pas mal de trucs qui se lancent, le podcast et la webradio sont en plein boom en ce moment, je trouve ça génial. La presse rap est hyper dynamique, les médias féministes aussi, plein de maisons d’éditions se montent. Il y a du positif.

Quelles sont les choses que tu imagines développer ces prochains temps (avec Le Gospel, mais peut-être aussi dans d’autres domaines) ?

Adrien Durand : On va continuer de sortir des thémas sur le site, la prochaine sera en ligne en décembre. Et l’an prochain, on aimerait sortir un second livre pour enfants et peut-être un roman graphique. En plus d’un nouveau zine avec un tirage un peu plus gros. Je ne suis pas encore sûr de développer plus le truc commercialement et augmenter la distrib. J’ai peur de tomber dans les mêmes considérations chiantes qui font que tu fais plus de tableaux excel que d’articles… Et hors Le Gospel, un nouveau bouquin avec Playlist Society !

Et pour finir, parle-moi un peu de tes choix sur cette mixtape (en diagonale bien sûr)…

Adrien Durand : J’ai construit ce mix comme si je le faisais dans un bar ou sur une terrasse pour la sortie d’un numéro. Il y a tout ce que j’aime avec des montées et des descentes. Mais je me suis quand même censuré sur mon amour pour Rihanna et Mariah Carey (même si j’ai mis un super morceau de Boyz II Men !)

TRACKLIST

01. The Necessaries, Rage
02. The Lemonheads, Bit Part
03. Minor Threat, I Don’t Wanna Hear It
04. Sahara, Europa
05. Sun City Girls, Blue Mambo
06. Earth, Tallahassee
07. Mazzy Star, So Tonight That I Might See
08. Gun Club, Mother Earth
09. Alex G, Kicker
10. R.E.M., Tongue
11. Anna Domino, With The Day Comes The Dawn
12. Cindy, 2y & 6m
13. Geneva Jacuzzi, The Walk 2
14. Q. Lazzarus, Goodbye Horses (KRIKOR edit)
15. Type O Negative, My Girlfriend’s Girlfriend
16. Salem, Sears Tower
17. Timothée Joly, Le Parfum Des Filles
18. Jessica93, Poison
19. The Radio Dept., Committed To The Cause
20. Molly Nilsson, Not Today Satan
21. Boyz II Men, U Know
22. CCFX, The One To Wait
23. Arthur Russell, Big Moon
24. Amen Dunes, Song To The Siren
25. Funkadelic, Good Thoughts, Bad Thoughts
26. Elisabeth Moss, Heaven

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