Jonathan Richman, I, Jonathan (Rounder, 1992, réédition Craft Records 2020)

 

Jonathan Richman, I, JonathanJojo, le héros.

Le vôtre, le mien, le nôtre, le tout un chacun, chacun sait, chacun a sa version.

C’est un homme qui sort un brin de l’ordinaire.

Faire court ? Lui sait, moi pas. Cette réédition en vinyle d’un album de 1992 permet toutefois d’en dire pas mal. Car c’est le moment où il est notre idole absolue (sur les bons conseils des Pastels, de Galaxie 500, des oubliés Rockingbirds et de Duglas des BMX Bandits) et même s’il ne sait pas trop où il en est lui-même, il sait toujours où nous trouver. Il sort d’ailleurs régulièrement des disques relativement excitants à l’époque, à l’inverse d’un Lou Reed*.

Un précédent album (Jonathan Goes Country (1990) et je viens de vérifier : j’en ai plus de deux exemplaires au format compact disc, c’est donc sans doute un disque important) le montre au comble d’un doute existentiel intense :

Jonathan Richman, Jonathan Goes Country“Je les prends les santiagos en rouge, vraiment ?”

Il n’a pas tous ses amis pour lui dire :

“Oh oui mais bien sûr !”

ou

“Mais non, Dude, ne fais surtout pas ça, misère !!!”

Mais il le fait quand même, ce merveilleux couillon. 

Jonathan Richman, Jonathan Goes Country

C’est aussi l’époque où nous y allons enfin. Au New Morning.

Il sera tout à fait possible de se lasser des prestations du Jojo en concert, d’oublier la première en revanche, jamais.

J’étais avec Fred Paquet, nous étions saouls comme des verrats, on s’est bien marré. On a pleuré un peu aussi à un moment, je crois, d’émotion, de bonheur, de l’ivresse un peu surnaturelle d’avoir vu notre idole et que ce soit bien passé.

Et pourtant nous (enfin moi, François Gorin, le guitariste à besacles des Wampas qui jouera avec Jaunie plus tard et mon barbu Philippe Dumez surtout), nous y serons, presque toujours. Une fois l’an ou presque. Jonathan aime Paris au mois de mai. On fête le gus, on flatte le gars, on vénère le bonhomme et des activistes bordelais de sinistre mémoire y vont même de leur tribute album.

On s’en congratule encore aujourd’hui.

On est fou de lui, jusqu’à la débilité, j’irai même jusqu’à débourser 178 francs à la FNAC pour un cd japonais en import de l’album Jonathan Sings !  (1983) que je chérirais toujours moins que les k7 qu’Alban m’avait fait des deux albums sur Rough Trade, Rockin’ and Romance (1985) et It’s Time For… (1986), alors rigoureusement introuvables et qui mériteraient eux aussi de belles rééditions.

C’est que Jojo est bien commode. N’ayant jamais eu un soupçon de succès public (enfin, cela reste relatif), ni la moindre appétence pour les drogues cool de naguère, il n’a jamais eu la chance d’être un Lou Reed, il a par contre écrit des chansons. Dont au moins deux qui restent à des hauteurs inégalées au panthéon de la chialade, la vraie : Hospital et Affection.

C’est pas rien.

Bref, on est au comble de la félicité (parfois moqueuse, j’avoue) et Jojo sort ce disque. On s’en fout complètement, on l’achète comme les autres. On ignore alors que ce sera le dernier qui comptera, vraiment. Qui sera à nous. Que ce sera juste un peu avant le come-back via un excellent film sur la frustration des frères Farrelly. Une autre histoire, plus forcement la nôtre.

La musique de danse et les blancs étant une constante en ces pages (le célèbre groupe néo-nazi New Order, enfin vous savez bien…), ce disque n’est pas sans attrait, pas loin du génie d’un Bill Callahan découvrant Fela un peu plus tard (Bloodflow, sur l’album Dongs Of Sevotion, vers l’an 2000). Jojo commet un pur chédeuvrabsolu intitulé I WAS DANCING IN A LESBIAN BAR, une merveille de funk mou, idiot, absurde, contrarié. Du funk de bras cassé.

Dont vous m’apprendrez par cœur les paroles sur le prieuré pour demain en saignant des genoux :

Well I was dancing at a night club one Friday night
And that night club bar was a little uptight
Yeah, I was dancing all alone a little self conscious
When some kids came up and said, « for dancing come with us. »
And soon

I was dancing in a lesbian bar.
I was dancing in a lesbian bar.

Well I was dancing in the lesbian bar
In the industrial zone.
I was dancing with my friends
And dancing alone.
Well the first bar things were alright
But in this bar, things were Friday night.
In the first bar things were just alright.
This bar things were Friday night.

I was dancing in a lesbian bar.
I was dancing in a lesbian bar.

Well I was dancing in the lesbian bar
Way downtown
I was there to check the scene
And hang around
Well the first bar things were stop and stare
But in this bar things were laissez faire
In the first bar things were stop and stare
In this bar things were lassez faire.

I was dancing in a lesbian bar.
I was dancing in a lesbian bar.

In the first bar folks were drinking sips
But in this bar they could shake their hips,
In the first bar they were drinking sips
In this bar they could shake their hips.

I was dancing in a lesbian bar.
I was dancing in a lesbian bar.

I was dancing in a lesbian bar.
I was dancing in a lesbian bar.

Well in the first bar, things were okay
But in this bar things were more my way
In the first bar things were just okay
But in this bar things were done my way.

I was dancing in a lesbian bar.
I was dancing in a lesbian bar.

Well in the first bar things were controlled
But in this bar things were Rock and Roll
In the first bar things were so controlled
In this bar things were way way bold.

I was dancing in a lesbian bar.
I was dancing in a lesbian bar.

Jojo vient d’inventer le Pulp (où nous découvrons les drogues cool d’hier avec trente ans de retard) et nous n’en savons rien.

Jojo vient d’inventer le badge (©Dave Haslam) THE LESBIANS SAVED MY LIFE et nous n’en savons rien.

Dave Haslam, The Lesbians saved my life

Jojo met le doigt (en restant bien dans son rôle de mec un peu candide, voire volontairement benêt) sur le reste et nous ne sommes pas encore en mesure de piger.

Jojo vient d’inventer tout ce qui sera bon dans nos vies et nous n’en savons encore rien.

Jojo est décidément bien prophète.

Et puis, mu par une force jamais démentie de l’enthousiasme rétrospectif mais néanmoins prégnant, Jojo nous dresse l’un de ses plus beaux chants d’amour. Un morceau biblique sur le Velvet Underground, cet emplâtre. Je n’ai jamais rien entendu ou lu de mieux sur le sujet, voyez plutôt :

They were wild like the USA
A mystery band in a New York way
Rock and roll, but not like the rest
And to me, America at it’s best
How in the world were they making that sound?
Velvet Underground.

A spooky tone on a Fender bass
Played less notes and left more space
Stayed kind of still, looked kinda shy
Kinda far away, kinda dignified.
How in the world were they making that sound?
Velvet Underground.

Now you can look at that band and wonder where
All that sound was coming from
With just 4 people there.

Twangy sounds of the cheapest types,
Sounds as stark as black and white stripes,
Bold and brash, sharp and rude,
Like the heats turned off
And you’re low on food.
How in the world were they making that sound?
Velvet Underground.
Like this…

Wild wild parties when they start to unwind
A close encounter of the thirdest kind
On the bandstand playing, everybody’s saying
How in the world were they making that sound?
Velvet Underground.

Well you could look at that band
And at first sight
Say that certain rules about modern music
Wouldn’t apply tonight.

Twangy sounds of the cheapest kind,
Like « Guitar sale $29.99 »
Bold and brash, stark and still,
Like the heats turned off
And you can’t pay the bill.
How in the world were they making that sound?
Velvet Underground.

Both guitars got the fuzz tone on
The drummer’s standing upright pounding along
A howl, a tone, a feedback whine
Biker boys meet the college kind
How in the world were they making that sound?
Velvet Underground.

Wild wild parties when they start to unwind
A close encounter of the thirdest kind
On the bandstand grooving, everybody moving
How in the world are they making that sound?
Velvet Underground.

Excusez du peu mais c’est quand même un moins contrit du fion que la muséographie mortifère de Rudolph Burger**.

Rock and roll, but not like the rest.

Qu’est-ce que tu veux de plus ?

Il n’y a que quelques grands stylistes dans l’art immortel du Rock’n’Roll : Bo Diddley, Chuck Berry, Eddie Cochran, Buddy Holly et un petit juif un peu tout nul de la Nouvelle Angleterre.

L’essentiel de la foi tient en peu de choses, vous savez.

Donc, Moi, Jonathan. Je, Jonathan.

Le dernier album important de Jojo, avant qu’il ne devienne vraiment, selon les propos moqueurs nonobstant prophétiques de mon cher oncle, rien qu’un « humoriste américain ».

Un disque important ? Non, tu crois ?

Pas grand chose, en fait. Une chouette marinière sur la pochette, aussi.

Mais il le fait quand même, ce merveilleux couillon. 

Jojo, quoi.

Et toi qui ne le connais que trop peu, achète donc cette réédition sans aucun bonus avant que je ne te course en sandales sur la route de Damas en te jetant violemment des pierres à la tête, je te prie.

* Je parle ici de manière rétrospective, j’ai vraiment une hâte insensée, quasiment urinaire, presque sournoise d’écouter, comme tout un chacun, le coffret 18 cd des sessions de New York, pas vous ? 🤓
** Qui a du les voir un peu moins en concert, ce que je ne puis lui reprocher en aucun cas.

(Article originalement publié le 1er septembre 2020)

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