Après deux compilations dédiées à Pierre Vassiliu (Face B et En Voyages), le label Born Bad et le musicien Guido Cesarsky (Acid Arab) s’attaque à un autre monument inattendu de la chanson française : Henri Salvador. Trésor bien gardé de la production francophone des années 60/70, la bien nommée Homme Studio apporte un éclairage nécessaire sur l’œuvre d’un des musiciens les plus iconoclastes de son époque. Déjà quarantenaire et sacrément expérimenté au moment de l’explosion yéyé du début des années soixante, Henri Salvador navigue dans les décennies avec un recul que n’ont pas toujours ses contemporains. Souvent mal compris voir détesté pour son caractère bien trempé ou ses errances (la reconnaissance tardive de son fils biologique Jean-Marie Périer), il monte avec l’aide essentielle de sa femme Jacqueline, un des premiers labels indépendants français en 1964 : Rigolo. L’idée de souveraineté artistique et financière aboutit à la création d’un Home Studio dans l’appartement de la Place Vendôme, à la fin des années soixante. Il comporte notamment une des premières boîtes à rythmes (à presets), un clavier Moog, une console sur mesure ou un magnéto à bandes. Henri Salvador est ainsi en total autonomie pour enregistrer, produire et distribuer sa musique à une époque où l’idée relève plus de l’utopie que de la pratique courante. Il signe même quelques artistes sur son label : Tiny Yong, Jacky Moulière ou encore Baris Manço. La compilation Homme Studio couvre une période d’une dizaine d’années (1969-1978) mais s’intéresse particulièrement à la première moitié des années soixante dix, apogée de cette démarche pour le musicien guyanais. En marge du système, il jouit d’un succès populaire incontestable. Son contrat avec les studios Disney (suite à une chanson sur Zorro) et son émission télévisée Salves d’Or lui assure de confortables ventes. Il enregistre ainsi plusieurs albums autour de la marque américaine (Les Aristochats, Pinocchio, Robin des Bois etc). Mais le décès de sa femme Jacqueline en 1976 marque le coup d’arrêt de cette période si particulière. Avant ce triste événement, n’ayant pas de compte à rendre, Henri Salvador explore les possibilités offertes par ces nouvelles méthodes d’enregistrement de façon très prolifique. Le rendu est unique, quelque part entre Shuggie Otis, William Onyeabor ou Timmy Thomas. Il combine une approche instrumentale minimaliste à un goût pour les accords riches de la musique brésilienne ou du jazz. La rigidité de la boîte à rythme est ainsi contrebalancée par le groove de la guitare, instrument de prédilection d’Henri Salvador. Les sublimes Et des Mandolines (1974) ou Pauvre Jésus Christ (1972) sont de merveilleuses portes d’entrée à ce son singulier. La compilation offre quelques autres délicates déclinaisons de musique chaloupée comme Siffler en Travaillant (1971), Marjorie (1971) ou L’Amour va, ça va (1977). Le cinquantenaire ne se contente cependant pas de répéter inlassablement la même formule, il expérimente et s’amuse réellement. Il parodie les tubes du moment (la reprise J’aime tes g’noux), écrit sur les actualités politiques (Kissinger, le Duc Tho) ou signe le fascinant Sex Man, pastiche fascinant du générique de Batman à la sauce lo-fi. Mentionnons aussi l’étonnant On n’est plus chez Nous (1969), morceau traitant du racisme sur un rythme binaire minimaliste auquel répond une ligne de scat répétée comme un mantra. En seize morceaux, Homme Studio réhabilite le travail unique d’Henri Salvador au début des années soixante dix. La sélection, personnelle, offre un angle intéressant sur la production du musicien. La prochaine étape sera peut-être un second volume explorant les années soixante (Bêta Gamma l’Ordinateur, Carnaby Street, Personnalisé, Socialement Parlant, etc). Pour les archéologues et amateurs de brocantes, il reste aussi quelques petites merveilles des années soixante dix à découvrir (Erotico Vieillot, La Vallée, Un Chagrin d’Amour, Duke Basie et Louis) en complément de cette excellente compilation.
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