Gwendoline, C’est à moi ça (Born Bad Records)

« Merci la Ville, je m’ennuierai plus jamais »

Un premier rendez-vous manqué :  Gwendoline est à l’affiche d’une soirée pas loin de chez moi, je m’y rends, je regarde le premier groupe puis m’enfuis pour me rendre un peu plus loin pour voir les Oi Boys enflammer la plaine des Bouchers. Peu inspiré par le patronyme des Brestois qui me rappelait juste ce film d’aventure vaguement SM et un peu guez de Just Jaeckin avec Zabou (salut la génération Starfix), j’ai préféré opter pour l’autre duo, donc. Second rendez-vous : l’hiver dernier, Gwendoline se produit à nouveau près de chez moi, et je me dis que c’est un signe, je vais rattraper le temps perdu. Enfin perdu, pas pour tout le monde, puisqu’ils ont depuis enchaîné des centaines de dates dans toute la France, se sont construit un public acquis à leur cause, et ont signé chez Born Bad, excusez du peu. J’allais voir ce que je j’allais voir. Bingo. Je vais pas refaire la chronique de leur excellent concert (elle est ), mais pour résumer, dès leur entrée en scène, leur présence rayonne, leur esthétique s’impose d’elle-même, on sent le travail et l’expérience engrangée qui n’entament pas la fraîcheur du propos. C’est minimal (encore que derrière, les deux musiciens de l’ombre s’activent pas mal) et ultra efficace.

Justement, c’est quoi ce propos et que vaut-il une fois gravé dans le plastique du CD ? Gwendoline se place d’emblée dans une tradition post millénaire de la scansion ou du slam. Même si on peut trouver des ancêtres plus lointains, on peut dire que c’est ce qui s’est passé quand le rock s’est hybridé au contact du rap, pour aller vite. On peut aussi dire que c’est une des particularités du chant en français d’emprunter cette voie, quand la voix a du mal à se coltiner une mélodie – ce à quoi Gwendoline ne renonce jamais, cf. les refrains chantés lâchés ça et là et qui apportent un air pop à leur sombre diction. Mais bref, cet art ourdi dès le tournant du millénaire par l’école Lithium, Programme, Experience (sur les cendres de Diabologum et de leur #3 fondateur qui s’ouvre quand même sur De la neige en été et Il faut) et Mendelson (Pascal Bouaziz s’étant fendu dans Le Monde Diplomatique d’une petite recension du premier album de Gwendo, Après c’est gobelet ). Cet art, donc, a enfanté une décennie plus tard de l’énorme (et bref) succès public de Fauve, toujours étrangement suspect (de quoi, on se demande). Adopté depuis par une ribambelle de groupes identifiés « rock » comme Nonstop, Rhume, Olivier Depardon ou Gontard (et d’autres, le groupe se réclamant de la schlagwave, cf la Triple Alliance et ses descendants) en parallèle bien sûr d’innombrables formations « rap » qui en même temps jouaient avec les frontières des styles. Encore récemment, j’écoutais Amour fou d’Omerta d’ailleurs ou le super morceau d’ouverture de l’album Toutes ces horreurs de Satan, Confiture pour cochons, pour voir le chemin parcouru et l’imprégnation de cette façon d’amener un texte.

Alors avant qu’on me prenne la tête, oui, ce genre de scansion était déjà présente dans le free jazz, dans la poésie sonore aussi, dans les libertés de Colette Magny ou Léo Ferré ou même Gainsbourg qui eux jouaient avec les frontières de la chanson, puis dans la cold wave ou le punk qui ont toujours joué les cartes de l’atmosphère ou de l’énergie contre celle de la mélodie. La contestation dans la parole, l’envers de la pop. Il y aurait un truc à creuser, parce qu’on le sait maintenant, les effluves se sont croisés, et c’est mal, la parole a pris le pas sur tout le reste et est devenu le langage principal du pop.

Gwendoline
Gwendoline

Gwendoline est un groupe pop, évidemment. Dans le sens où ils rassemblent, ils font la synthèse. Il faut se retrouver au milieu de leur parterre de fans qui dansent et bougent et chantent en chœur pour voir des jeunes étudiants, des punkettes, des minets, des vieux anars, des vétérans de l’indé, des anciens alterno, des rockeuses prendre leur pied. Au milieu de cette petite tempête amicale, on a eu le temps de réfléchir à l’Histoire (voir ci-dessus), mais on a eu surtout le temps de kiffer sur cette musique qui parle aux jambes avec des pistes instrumentales toujours bien senties qui n’ennuient jamais et qui surtout proposent un envers mélodique (cette guitare Shadows obsédante qui hante les instru et qui leur vaut sans doute ce rapprochement avec Indochine) et motorique au flot de paroles du duo. Le duo justement, Pierre Barrett et Mickaël Olivette, explore cette poésie de la zone grise, quand l’inconscience de l’adolescence se termine et que les responsabilités de l’âge adulte sont encore lointaines, éloge de la déglingue et des bars, des moments d’amitié, de la déception amoureuse et de constats au bord du zinc du village globale, vu de Brest d’ailleurs dont ils semblent incarner (certains habitants le disent) un reflet parfait, comme sans doute Miossec en son temps. De l’innocence, de la déprime, de la revanche aussi. Les mots restent simples, les deux MC alternent au micro, porte-voix de leurs manifestations intérieures. Album carton à venir, après, gobelet ? On verra, en attendant, dans les festivals à venir,  les fameux drapeaux Gwenn ha Du, pourront continuer de flotter au vent, en l’honneur de Gwendoline, mais tout repeints en noir du coup, ça serait pas mal.


C’est à moi ça par Gwendoline est sorti chez Born Bad Records.

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