Travailler sur le label Lithium, c’était approcher une grande partie de l’œuvre de Programme. Et avoir une nouvelle occasion de répéter mon admiration sans borne pour les musiques et les mots du duo Arnaud Michniak – Damien Bétous. Si le premier m’avait précisé sans surprise et très rapidement qu’il lui serait impossible de répondre à mes questions, j’avais grand espoir de pouvoir échanger avec Damien Bétous, architecte des fresques sonores de deux disques majeurs, Mon cerveau dans ma bouche (2000) et L’enfer tiède (2002) et d’un appendice intrigant, Génération finale (2001), disponible gratuitement par correspondance auprès du label. Suite à la parution de son EP sur Bandcamp en 2017, j’ai écrit pour les amis de Musique Journal un texte sur cette œuvre discrète post Programme et Damien a écrit au journal qui m’a fait suivre. C’est durant le premier confinement que nous avons échangé par téléphone, longuement. Extraits.
Quel matériel as-tu utilisé pour Mon cerveau dans ma bouche ?
Damien Bétous : Avant de m’investir dans Programme, je m’équipe en analogique, le jour où l’analogique est fini, où le monde musical bascule dans le numérique. Je me ruine en gros matériel qui ne va pas servir, parce qu’il faut de l’ordi, de l’ordi, de l’ordi. Donc pendant Mon cerveau dans ma bouche, on achète un ordi avec Arnaud, mais le son est pourri, les cartes sons sont minables et les logiciels ne sont pas performants. En plus, je n’ai pas envie de me lancer dans l’informatique musicale, j’ai envie de continuer à explorer l’électro acoustique… Mais on est poussés à travailler avec son temps. On utilise un sampleur, mais très limité, on est en 97 – 98, le matériel d’occasion date de 90 – 92. Les capacités c’est 100 Mo, tu fais une minute de son en stéréo, et le sampleur est saturé. Arnaud adore les échantillons et les boucles. Moi, je déteste, je trouve ça anti-musical. Je démarre un groupe avec du matériel qui ne va pas me servir et à essayer de bricoler avec du matériel déjà obsolète dans un univers que je n’aime pas. J’essaie de trouver une bonne façon de m’en sortir. C’est un peu bancal. Sur L’enfer tiède, je m’équipe avec une station Pro Tools, je commence le montage, le micro-montage. Ensuite, comme je travaille avec des orthophonistes, je me mets à la programmation, Max/MSP. Je fais des logiciels pour la rééducation auditive, pour l’enregistrement et la transformation de la voix. Je deviens électro-acousticien et je travaille avec des personnes handicapées du côté de Bordeaux. J’utilise ça pour Programme dans Bogue : « J’veux trop, j’veux trop, j’veux trop…. », une boucle qui se décale, puis sur Agent Réel, notamment. À partir de là, on enregistre plus avec des bandes, il n’y a plus rien d’analogique, mon studio prend la poussière. Je vends du matériel, à tort, parce que ça vaut une fortune maintenant (rires). Et sur Agent réel, il n’y a plus aucun sample. C’est mon son, c’est moi, de A à Z.
De quoi vous viviez pendant Programme ?
Damien Bétous : Ça a toujours été une galère insupportable. Avec Arnaud, tu ne peux pas travailler autrement qu’en profondeur. Pour accoucher d’un album, il faut deux ans, en travaillant 24 heures sur 24, ça nous a compliqué la vie, forcément. Entre temps, j’ai fondé une famille… J’ai la chance de pouvoir donner des cours, de faire de l’intermittence, de la technique, mais c’était galère.
Et comment vous envisagiez les concerts, tu parlais d’ »opérations sonores » ? Je vous avais vus à Strasbourg, Arnaud avait ce micro sur lequel était fixé un appareil qui lui envoyait des flashs sur le visage en rythme avec la musique ou son chant, je ne sais plus, c’était assez dingue…
Damien Bétous : On ne voulait pas faire de concerts, point barre. On voulait faire des installations sonores, des situations sonores dans lesquelles les gens se retrouvent piégées. Arnaud avait du mal à assumer la scène suite à ses précédentes expériences, il ne voulait pas être l’ex-Diabologum qui remonte un groupe. Il voulait trouver une démarche contemporaine, d’artiste, et moi je le suivais là-dessus. Notre première sortie a été la Biennale de Lyon, où on a présenté Génération finale.
La bande-son de cette installation est sortie en CD sur Lithium…
Damien Bétous : C’est ça. On s’est dit, on ne va faire que des installations. Et là, pressions d’un peu tout le monde : « Vous faites n’importe quoi, les gars, vous vous tirez deux balles dans chaque pied. Arrêtez vos conneries, donnez-nous un concert, Boomerang, je veux le voir sur scène… » À part que Boomerang, c’est de la merde, c’est le seul morceau qu’on ne voulait pas jouer (rires), il était « fait » pour passer à la radio… On ne voulait pas jouer. Mais à la Biennale, ils nous disent : « On a une salle, faites ce que vous voulez ». Du coup, on fait un concert devant une vingtaine de journalistes, un truc un peu privé. On a pris un éclairagiste, et avec lui, comme je suis aussi éclairagiste, on a construit la totalité des projecteurs, à la maison. Ce que tu as vu à Strasbourg, c’était construit par nous. On a fait cette lampe placée à l’intérieur du micro, des cubes lumineux qui changeaient d’intensité, tout en analogique, pas de leds… On a tout bricolé, on voulait que ça sente le Meccano. On voulait que ça sente la bricole bionique, un peu à la Pierre Bastien, mélangé au Cronenberg d’Existenz. Du cerveau, de l’humain, du blob. On met aussi la console derrière la scène, le concert est déstructuré, les morceaux sont coupés en deux, il y a des pauses sonores entre les morceaux… Vincent avait aussi convié des tourneurs. C’est plutôt enthousiaste, on nous dit de sortir de notre trou, qu’on pourrait faire facilement deux cents dates en simplifiant un peu les choses. On joue aux Transmusicales direct, on fait de suite des gros concerts. Du coup, on se dit, on fait ces concerts, et en parallèle, on continue des installations, des trucs plus bizarres, qu’on laisse tomber plus ou moins, on se fait happer, il faut qu’on ait notre intermittence. Mais on a trouvé notre plaisir dans nos concerts, très courts, pas de rappel, avec des choses étonnantes au niveau visuel et sonore. C’était des concerts à la hauteur de nos disques, je pense. (La suite dans Les Années Lithium !)
HIT HIT HIT 8/8 : Arnaud Michniak après Lithium
01. Programme, Plus fort + Je veux trop + Etranger
02. Programme, Agent réel
03. Arnaud Michniak, Appel ça comme tu veux
04. Arnaud Michniak, J’attends
05. Nonstop, Robot à la viande
06. Michniak, Le grand plan
07. Michniak, Souvenirs
08. Michniak, Avant la mémoire choisie
JE ME SOUVIENS DE LITHIUM
L’anecdote de Philippe Dumez
Je me souviens que moins de deux ans après la séparation de Diabologum, Arnaud Michniak est le premier à reprendre la parole. Et pas à moitié : “Je prétends pouvoir parler sans précaution ni détour pour affirmer ce que j’ai vérifié. Ce sur quoi on ne pourra pas revenir avec des doutes. C’est le disque de quelqu’un qui sait et qui n’en retire aucune fierté. Parce que la vérité distribue la honte, la honte d’être minable, égoïste et sans projet, si ce n’est celui de continuer à cultiver la seule chose qui ait porté ses fruits : l’idéalisme. Ce disque est son fruit et aussi la preuve que je suis égoïste et minable et aussi une grosse merde. Tous les disques sont de la merde. La seule chose qui n’est peut-être pas de la merde, c’est de savoir apprécier le silence.”
Les Années Lithium, Langue Pendue n°11
Sortie : mai 2021
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