Lloyd Cole – Hors Catégorie

Discographie commentée pour la sortie de « Collected Recordings 1983-1989 » chez Tapete Records.

Lloyd Cole and The Commotions, période « Rattlesnakes » / Photo : Peter Anderson

Une silhouette à l’allure à la fois distinguée et nonchalante, une voix empreinte d’ironie et de sensualité, une manière si particulière et nuancée de dépeindre les élans romantiques et les tourments amoureux : la présence de Lloyd Cole dans le cercle étroitement délimité de notre intimité musicale n’a jamais cessé de demeurer, au fil des décennies, si évidente et si familière qu’elle finit parfois par passer presque inaperçue. Cet été, il a suffi que Tapete Records réédite une luxueuse version vinylique de l’intégrale augmentée de l’œuvre des Commotions pour que, gros craquage oblige, resurgissent les souvenirs d’une rencontre en 2013, à l’occasion de la sortie de l’album Standards, cure de jouvence en compagnie de quelques vieux complices – Blair Cowan, Fred Maher –  qui nous avait permis de renouer en sa compagnie les fils épars d’une œuvre bien plus audacieuse et considérable que ce que sa réputation réductrice de chanteur cérébral laisse parfois penser.

Lloyd Cole

Il y a tout d’abord ce titre, glissé comme un clin d’œil à la fois laconique et presque provocateur, que l’on est inévitablement tenté de saisir au rebond. C’est que, en matière de Standards, Lloyd Cole sait trop bien qu’il a fixé depuis longtemps la valeur de référence à l’aune de laquelle on mesure chacune de ses œuvres à un niveau tragiquement indépassable. Celui qu’il parvint à atteindre il y a presque 30 ans de cela, grâce à un coup d’essai génial avec ses compères de The Commotions. Et dès qu’on évoque l’inusable Rattlesnakes (1984), les souvenirs ne tardent pas à défiler. Ceux, notamment, d’une époque où une petite bande d’étudiants écossais fans de T-Rex et de Television, dirigée de main de maître par une réincarnation terriblement séduisante du jeune Elvis, incarnaient l’un des seuls refuges romantiques accueillant, dans un monde de plus en plus hostile à la délicatesse. En entendant pour la première fois ces Perfect Skin, 2 CV ou Are You Ready To Be Heartbroken ? puis en les usant à force d’écoutes attentives et répétées, on découvrait tout un monde presque irréel, où l’avènement des guitares archaïques au détriment des synthétiseurs en vogue symbolisaient le triomphe d’une forme révolue d’humanité, où l’intelligence et la sensualité semblaient enfin pouvoir cohabiter sans heurt contradictoire et où se glissaient, comme autant de points de passage prometteurs vers de nouveaux horizons artistiques, les noms alors mystérieux et oubliés de Leonard Cohen ou Arthur Lee.

Même Forest Fire, ce slow poisseux que n’aurait sans doute pas renié Robert Palmer, parvenait à résister aux poids des clichés surimposés et aux répétitions des diffusions publicitaires. Forcément, la suite ne pouvait être aussi glorieuse. Deux albums et quelques tournées plus tard, Cole est parti poursuivre son propre rêve américain du côté de New-York où, de succès initiaux prometteurs en désillusions inévitables, il finit par renoncer presque définitivement à la gloire pour se tourner vers une carrière plus confidentielle et artisanale de singer / songwriter à l’ancienne. Moins flamboyante mais, à de très rares exceptions près, toujours aussi estimable, cette seconde partie de son existence et de sa discographie est souvent demeurée injustement sous-évaluée. La faute, sans doute, à une personnalité à la fois trop discrète et trop intelligente pour prêter le flan à l’entretien des cultes et des mythes. La faute également à cette ombre portée des années de jeunesse au lustre insurpassable. La preuve : quelques mois seulement après une collaboration aussi surprenante qu’inaperçue avec Hans-Joachim RoedeliusSelected Studies Volume 1 (2013) – il aura simplement suffi que Lloyd Cole glisse aujourd’hui ça et là quelques références un peu plus appuyées à ses premiers faits d’armes – des parties de guitares sous forte influence velvetienne, comme à la belle époque ; la présence d’une équipe de choc où un ancien Commotion, Blair Cowan, côtoie deux autres des membres de la Dream Team de 1990, Fred Maher et Matthew Sweet – pour que l’on s’abandonne à nouveau au charme velouté de cette voix intacte et de ces compositions au classicisme intemporel, et que l’on prête enfin l’attention qu’il mérite à ce neuvième album solo. Standards est-il pour autant meilleur ou simplement aussi bon que tous ceux qui l’ont précédé depuis une quinzaine d’années ? Il est sans doute urgent de ne pas trancher. Souvent victimes, au moment de leur publication, d’erreurs d’appréciations voire d’incompréhensions flagrantes, les œuvres de Cole se bonifient souvent avec les années. Don’t Get Weird On Me Babe (1991) ou Music In A Foreign A Language (2003) en constituent d’ailleurs les deux meilleurs exemples. A l’instar de leur auteur qui, lui-même, se montre capable d’analyser avec une lucidité critique dépourvue de la moindre trace d’amertume les méandres d’un parcours qui, bien qu’ayant débuté à des altitudes presque irrespirables, apparaît finalement comme une tentative permanent et accomplie de résistance au déclin.

RATTLESNAKES (1984)

Toutes les chansons de ce premier album ont été écrites moins d’une année avant l’enregistrement. A vrai dire, le groupe lui-même n’existait sous cette forme que depuis une dizaine de mois à peine. J’avais commencé à jouer avec Neil Clark et Blair Cowan environ deux ans avant mais Stephen Irvine et Lawrence Donegan, le batteur et le bassiste, ne nous ont rejoints qu’à la toute fin de 1983, tout juste avant que nous n’enregistrions Perfect Skin. C’est sans doute pour cela que nous avons pas mal tâtonné en studio. Nous avions loué un local très bon marché dans l’Est de Londres, dans un quartier assez sordide où, à l’époque, les seuls points de ravitaillement accessibles étaient un restaurant indien et une camionnette qui vendaient d’ignobles sandwiches à emporter. Mais, malgré quelques désastres culinaires, je me souviens surtout de cette énergie collective très positive qui imprègne l’album et qui contribue sans doute encore aujourd’hui à son charme. Je crois que nous avions d’emblée conscience que nous étions en train de réaliser quelque chose de spécial et, en tous cas, que nous étions sur le point de réussir ce que nous avions souhaité faire au départ. Je reste globalement satisfait de la plupart des chansons même si, pour certaines, je me demande vraiment de quoi j’ai bien pu vouloir parler. On m’a beaucoup reproché de pratiquer systématiquement le name-dropping dans ces premiers textes et ce n’est sans doute pas complètement faux. Mais, dans le contexte de l’époque, il y avait une dimension volontairement provocatrice à affirmer de manière aussi explicite qu’il ne fallait pas à avoir honte d’être cultivé. En général, les Britanniques ont toujours eu tendance à préférer les gens ordinaires et, quand j’ai commencé la musique, j’avais vraiment comme ambition de mener une lutte solitaire contre la médiocrité. Depuis, je suis sans doute devenu plus réaliste ou plus modeste. Mais, bon, je continue à faire de mon mieux. Avec le temps Rattlesnakes est devenu une sorte d’icône musicale aux yeux de certains mais je ne l’ai jamais vraiment ressenti comme un fardeau. Après tout, mes chanteurs et mes groupes préférés ont aussi enregistrés des albums cultes et je suis très content d’être parvenu au moins une fois à rentrer moi aussi dans cette catégorie.

EASY PIECES (1985)

C’est certainement l’album qui a le plus souffert de la comparaison à chaud avec Rattlesnakes et j’ai toujours pensé qu’il avait été jugé trop durement par la critique. La tragédie de The Commotions, même si le terme est certainement excessif, c’est que nous ne nous sommes jamais accordé le temps de savourer notre succès. Nous n’avons jamais arrêté de travailler, de tourner et quand nous avions fini de tourner, nous retournions en studio pour enregistrer l’album suivant. Nous étions dans un état permanent d’insécurité, probablement entretenu par notre entourage professionnel et notre maison de disques. Nous étions encore jeunes et certaines personnes nous ont fait croire que, si nous ne sortions pas un deuxième Lp très vite, le public allait nous oublier ce qui est évidemment stupide et faux. Les gens ont attendu le deuxième album de The Blue Nile pendant sept ans et cela a conféré, non seulement à Hats (1989) mais aussi au premier Lp, A Walk Across The Rooftops (1983), un statut beaucoup plus légendaire qu’ils ne le méritent. En plus, nous avons eu beaucoup de chance avec Rattlesnakes : nous n’avions qu’une dizaine de chansons en stock et elles étaient presque toutes bonnes. Pour Easy Pieces, nous sommes revenus à un ratio simplement normal : nous avions également une dizaine de chansons sous la main, mais seulement la moitié d’entre elles étaient véritablement réussies, ce qui n’est déjà pas si mal. Malheureusement, plutôt que de prendre le temps d’en écrire d’autres, nous sommes tout de suite rentrés en studio et nous les avons toutes conservées en l’état. Nous savions juste que nous ne voulions pas refaire 2 fois la même chose et nous avions en tête quelques références assez précises : nous avions envie d’utiliser des cuivres dans un cadre plutôt pop, comme T. Rex ou The Rolling Stones avaient pu le faire. Et, à mon avis, c’est le plus gros point faible de l’album : les arrangements de cuivres sont complètement ratés et ont très mal vieillis. La plupart des chœurs qui étaient supposés originellement accentuer ce côté un peu gospel ou soul ne sont pas non plus très bien mixés. J’en ai longtemps voulu aux producteurs, Clive Langer & Alan Winstanley mais, aujourd’hui, je pense que c’est surtout de ma faute : je les ai laissés faire ce pourquoi ils étaient payés, à savoir formater le son de The Commotions dans un registre plus lisse et plus commercial. Je conserve aussi quelques regrets par rapport au choix de certains titres. Pendant que nous terminions de mixer Easy Pieces, nous avons enregistré quelques b-sides qui étaient meilleures que plusieurs des morceaux figurant sur l’album. Franchement, si on avait remplacé James et Minor Character par ces chansons, je crois vraiment qu’on aurait obtenu au final un très bon album.

MAINSTREAM (1987)

Certains journalistes prétendent parfois que Mainstream est un grand disque. Je ne suis pas du tout d’accord. Avec le recul, je crois vraiment que chaque album de The Commotions est nettement moins bon que le précédent. C’est d’autant plus regrettable que, sur scène, nous avions considérablement progressé tout au long de cette période. Entre 1985 et 1986, nous avons donné plusieurs concerts, notamment à Glastonbury, où la cohésion du groupe et le son étaient vraiment remarquables. Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à transposer cette évolution sur le plan discographique. La seule chose positive qui me vienne en tête à propos de cet album concerne ma technique de chant : en réécoutant les deux premiers Lp’s, j’ai été particulièrement frappé par ce vibrato incessant de ma voix et j’ai réalisé que je n’aimais pas du tout cela. Le gros problème, c’est surtout que les chansons ne sont globalement pas très bonnes et l’écriture un peu bâclée : beaucoup de morceaux se terminent par de longues séquences un peu délayées, comme si nous étions en train d’improviser. Je déteste ça. J’ai vraiment honte. (Sourire.) Pourtant, le climat au sein du groupe était plutôt bon et nous ne songions pas vraiment à nous séparer pendant que nous travaillions en studio. En revanche, j’étais tellement épuisé et déçu à la fin de l’enregistrement que j’ai décidé que je ne voulais plus jamais revivre une telle expérience.

LLOYD COLE (1990)

Je suis parti m’installer à New-York immédiatement après la fin de la dernière tournée de The Commotions, en 1988. J’ai quitté simultanément le groupe et ma copine de l’époque. Je me sentais profondément en danger parce que je voyais que j’étais sur le point de devenir un très vieil homme de 27 ans ! (Sourire.) Je me suis dit qu’il était temps de repartir à zéro, de découvrir une ville et un pays que je ne connaissais presque pas et de voir un peu ce qui pouvait se passer. J’ai emménagé dans un petit appartement, j’ai commencé par déplacer le lit dans la cuisine pour transformer la pièce principale en studio de répétition et je me suis mis sérieusement au travail. Au début, je n’étais pas certain d’arriver à écrire tout seul et, au bout d’un mois environ, j’étais persuadé que ça allait fonctionner. En fait, les 5 années passées avec The Commotions m’avaient permis d’absorber presque inconsciemment énormément de choses qui sont ressorties à ce moment là : je me suis aperçu que je savais jouer de la guitare mieux que je ne l’aurais pensé, que j’étais capable de programmer une boîte à rythmes et même d’écrire des arrangements de cordes, ce que je n’avais jamais vraiment fait auparavant. J’ai ressenti ce même sentiment assez exaltant et euphorique que j’avais pu éprouver à l’époque de Rattlesnakes. Mais, cette fois, j’étais également décidé à faire tout ce qui était en mon pouvoir pour me débarrasser de l’étiquette d’intello prétentieux qui m’avait été collée depuis mes débuts. Alors j’ai laissé poussé mes cheveux, ma barbe et je me suis mis à boire beaucoup trop. C’était très amusant pendant un petit moment. Les 6 premiers mois de ma nouvelle vie à New-York m’ont ainsi fourni la matière de pas mal de chansons tout au long des années qui ont suivi, y compris Women’s Studies sur le nouvel album. Mais, si ça avait duré davantage, ce serait devenu pathétique et ennuyeux. J’ai toujours été assez sensible au ridicule et, en particulier, à tous les clichés qui peuvent être rattachés à la vie d’artiste ou de rockstar. Mais, pendant le temps qu’a duré l’enregistrement de ce premier album, je me suis senti pour une fois complètement libéré du poids des regards extérieurs. Je me fichais complètement de savoir ce que les gens allaient penser de moi et de mes chansons. Je voulais simplement m’investir dans un projet musical différent de The Commotions et qui soit surtout un peu plus facile d’accès. Neil (Clark, ndlr.) est un très grand guitariste mais si je lui demande de jouer un riff très basique, à la T. Rex, il s’arrange toujours pour y introduire un élément plus complexe, moins évident. Je voulais aussi que ces chansons soient plus douces, sans aucune de cette trace d’amertume qui imprégnait en permanence les disques du groupe.

DON’T GET WEIRD ON ME BABE (1991)

Pour moi, c’est le parfait symétrique de Mainstream : autant je trouve que ce dernier a été très surestimé, autant je continue à penser que Don’t Get Weird On Me Babe reste profondément sous-évalué. A l’origine, le but en publiant un album composé d’une moitié de titres rock et d’une autre de chansons dotées d’arrangements classiques était simplement d’affirmer que j’étais capable de me sentir à l’aise dans ces deux univers musicaux différents tout en restant la même personne. En y réfléchissant un peu, je pense que ce dilemme est à la fois ce qui a plombé ma carrière et ce qui a contribué à la rendre intéressante tout au long des décennies et qui m’a empêché de devenir un cliché vivant. J’aime les New York Dolls, comme Morrissey, mais j’aime aussi Jimmy Webb et Kris Kristofferson dont il n’a probablement jamais entendu parler. Don’t Get Weird On Me Babe est aujourd’hui devenu un disque culte aux yeux de pas mal de fans. Cela m’agace un peu car j’aurai vraiment aimé qu’il ait davantage de succès au moment de sa sortie. Selon moi, cet échec commercial est largement dû au fait que la maison de disques a délibérément refusé de promouvoir toute la partie orchestrale. Au départ, nous avions un conclu un accord avec Polydor : j’avais accepté que She’s A Girl And I’m A Man soit le premier single à condition que There For Her ou un des autres titres de la face b soit le second. Mais, au moment de sortir le second, ils sont revenus me voir en me disant que je ne passerai jamais dans les émissions de télévision américaines avec une de ces chansons. J’ai donc décidé de quitter Polydor à ce moment là, parce qu’il me paraissait inacceptable que les programmateurs TV choisissent les singles à ma place. De surcroit, en Europe, la partie enregistrée avec l’orchestre symphonique est au début de l’album. Et, au nom des exigences du marché américain, les responsables ont décidé unilatéralement d’inverser le tracklisting aux USA et de placer les titres rock avant les autres. En dehors de ces quelques problèmes, je pense que je n’ai jamais aussi bien chanté de toute ma vie, même si ma voix manquait sans doute encore un peu de la maturité d’un Scott Walker pour supporter la confrontation avec un grand orchestre. Je renouvellerai peut-être l’expérience un jour, mais ce sera quand je serai vraiment vieux et que ma voix sera affaiblie. A ce moment là, ça pourrait devenir vraiment intéressant. Il faudrait aussi que je puisse me le permettre. A l’époque, je disposais d’un budget quasiment illimité. C’est loin d’être le cas aujourd’hui.

LOVE STORY (1995)

Mon opinion à propos de Love Story a changé au cours de ces dernières années. Jusqu’il y a 4 ou 5 ans, j’en pensais plutôt du bien, parce que j’étais flatté et influencé par l’opinion des autres. C’est l’album préféré de ma femme et de mon fils. Ce n’est plus du tout le cas pour ce qui me concerne. Ce n’est même plus vraiment l’un de mes favoris. Il y a quelques bonnes chansons mais, mises bout à bout, elles ne forment pas un ensemble très réussi. Unhappy Song est sans doute un morceau charmant. Trigger Happy est une de mes meilleures compositions. Mais il y a quelque chose qui me déplait vraiment au niveau des arrangements. Les parties de basse et de batterie sont souvent trop répétitives et assez ennuyeuses. En Fait, je crois bien que si tant de gens aiment ce disque, notamment en Angleterre, c’est précisément parce qu’il est ennuyeux. (Sourire.)

THE NEGATIVES (2000)

The Negatives est un groupe qui s’est formé à mon instigation, et que j’ai conçu un peu comme un antidote pour me protéger de la tournure un peu pathologique que prenait ma carrière à la fin des années 1990. En tant qu’artiste solo, je commençais à en avoir assez de devoir d’abord recruter des musiciens pour jouer sur mes albums et d’être obligé d’en trouver d’autres ensuite pour m’accompagner en tournée, parce que les premiers n’étaient jamais libres au bon moment ou qu’ils étaient déjà repartis pour vaquer à d’autres occupations. A chaque fois, il fallait réadapter les morceaux, inventer de nouveaux arrangements car les musiciens qui assuraient la promotion de l’album sur scène n’étaient jamais les mêmes que ceux qui l’avaient enregistré. Fred Maher n’était jamais disponible. Matthew Sweet n’a participé qu’à la première moitié de la tournée du premier album et m’a ensuite planté pour retourner aux USA et enregistrer Girlfriend (1991). Dans ces conditions, l’atmosphère en tournée était aussi un peu particulière : je me retrouvais entouré de mercenaires ou d’employés ce qui est extrêmement différent d’un groupe. Et je détestais ça. J’avais envie de retrouver une ambiance plus conviviale, un peu dans l’esprit de la Rolling Thunder Revue de Bob Dylan. A cette époque, vers 1998, je suis allé voir Ron Sexsmith qui jouait au Arlene’s Grocery, une salle à New-York où l’on entrait sans même payer de ticket pour écouter des artistes qui étaient rémunérés uniquement sur un pourcentage de la recette du bar. Tout le monde avait l’air de s’amuser et de passer un bon moment. J’ai donc décidé de former un groupe pour jouer dans cet endroit. C’est ainsi qu’est né The Negatives. Nous avons commencé à jouer en live avant d’entrer en studio. Je conserve des souvenirs assez pénibles de l’enregistrement : les relations avec Polydor puis Universal étaient devenues très tendues au fil des ans. Ils avaient refusé de sortir un Lp que je leur avais proposé. Nous étions en procès pour les droits d’édition de certains titres. Je crois que personne n’a jamais gagné d’argent avec cet album à part les avocats. En revanche, les concerts avec le groupe m’ont vraiment fourni un espace de respiration pendant cette période difficile. Nous avons travaillé régulièrement ensemble pendant 4 ou 5 ans et nous ne sommes pas disputés une seule fois.

MUSIC IN A FOREIGN LANGUAGE (2003)

Après mes démêlés avec Universal, j’ai essayé de ne plus écrire de chansons pendant quelques années, juste pour voir ce que pouvait m’apporter cette pause. Je suis parti en tournée acoustique tout seul assez longtemps pour gagner de l’argent. A mon retour, j’ai quitté New-York pour m’installer dans le Massachussetts où je vis depuis lors. J’ai donc commencé à travailler sur cet album dans un climat plus solitaire et plus apaisé, uniquement dans mon home studio. J’avais en tête une idée assez précise du résultat que je souhaitais obtenir. Je voulais enregistrer un disque assez folk avec quelques touches d’électronique, sans pour autant que cela sonne comme une mauvaise parodie de Tricky ou de Massive Attack. J’ai presque tout réalisé par moi-même ce qui s’est révélé long, fastidieux et très complexe. En même temps, c’est sans doute l’album dont je suis le plus satisfait aujourd’hui et dont j’assume le plus aisément tout le contenu.

STANDARDS (2013)

J’avais déjà envie d’enregistrer un album plus rock mais l’impulsion finale m’est venue quand un magazine m’a demandé de rédiger une chronique du dernier album de Dylan, Tempest (2012). J’ai été particulièrement frappé par l’énergie et l’intensité qu’il est encore capable de mettre dans ses chansons, même si certaines d’entre elles sont complètement ratées. La moitié de l’album est vraiment magnifique. Et surtout, il est évident qu’il se fiche complètement de savoir ce qui est convenable ou pas pour un homme de 70 ans. Je me suis dit que j’avais tendance à me poser un peu trop de questions et à m’inquiéter de mes erreurs potentielles au lieu de me concentrer sur ce que je pouvais encore réussir. C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé à travailler. Sans que ce soit toujours délibéré, certaines boucles semblent s’être bouclées naturellement. Lorsque nous avons débuté avec The Commotions, l’un des tout premiers morceaux que nous avons répété était une reprise de Glory de Television. Et Opposites Day, l’une des chansons du nouvel album, est construite autour d’un riff qui ressemble de très prêt à celui de Marquee Moon. J’ai toujours pensé que, si on veut jouer de la guitare électrique, Television reste le point de référence indépassable. On peut éventuellement y ajouter The Byrds, et encore. Le son de Marquee Moon (1977) et d’Adventure (1978) incarne une forme de perfection absolue, si l’on fait abstraction du chant. La seule raison pour laquelle ce groupe n’a pas eu davantage de succès, c’est que Tom Verlaine est un chanteur abominable, c’est aussi simple que cela. D’ailleurs, mon morceau préféré a toujours été The Dream’s Dream parce que c’est celui qui s’apparente le plus à un instrumental. J’ai choisi de travailler avec des musiciens que je connais bien, pour la plupart. Cela n’a rien à voir avec de la fidélité ou du sentimentalisme. Je considère simplement que ce sont les meilleurs, qu’il s’agisse Neil Clark ou de Fred Maher. Quant à mon fils Will qui joue de la guitare sur plusieurs titres, c’est un immense fan de Robert Quine. Ce dernier étant malheureusement disparu, je lui ai proposé de reprendre en quelque sorte le flambeau. Je commence à avoir l’habitude. Tous les 2 ans depuis 1984, quelqu’un vient me dire que mon nouvel album est le meilleur depuis Rattlesnakes. Alors disons que Standards est sans doute mon meilleur album depuis mon meilleur album depuis Rattlesnakes. (Sourire.)

Collected Recordings 1983-1989 de Lloyd Cole & The Commotions est sorti le 31 juillet dernier chez Tapete Records.

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