Comment apprécier avec l’illusion de posséder une ouïe toute neuve une musique qui transporte –intentionnellement ou pas, ce n’est pas vraiment le problème – plusieurs décennies de références ? Un premier album d’indie-rock enregistré en anglais par un groupe français : il y avait tout à craindre des obstacles pour qui ne bénéficie plus depuis bien trop longtemps des privilèges de la virginité musicale. Les associations charriées par la mémoire surgissent en premier : on n’y peut rien. Autant les laisser affluer avant d’apprécier ce qui leur survit. L’homonymie d’abord : Eggs était demeuré pendant près de trois décennies cette éphémère formation américaine emmenée par Andrew Beaujon, co-fondateur avec Mark Robinson du label Teenbeat qui n’avait laissé comme seul testament méconnu que deux albums. Dont Exploder, 1994, un fourre-tout génial, un mini-monument à la gloire de la spontanéité bricoleuse et de la prise de risque semi-improvisée pas toujours contrôlée. On y croisait toute une série d’éléments hétéroclites : des harmonies vocales en dérapages contrôlés, des solos de synthétiseurs et des mélodies merveilleuses assemblées à la va-vite. On retrouve, par hasard, un peu de cette bizarrerie splendide sur A Glitter Year. Mais aussi beaucoup d’autres choses et c’est bien mieux.
Les souvenirs fusent et les comparaisons aussi. Inutile de revenir sur les plus fréquemment évoquées, au cours des trois dernières années de gestation. Certaines semblent pertinentes – souvent celles qui sont revendiquées par le groupe lui-même (The Replacements, notamment) – d’autres un peu moins, comme par exemple celles qui demeurent associées à une forme musicale teintée de maladresses fragiles ou de timidité (les groupes Sarah ? on cherche encore). Miraculeusement, elles tendent instantanément à s’effacer dès les premières écoutes d’un premier album qui fonctionne comme un antidote à toute forme d’esprit blasé, balayées par l’urgence communicative qui transparaît dans le carillon des guitares et le chant de Charles Daneau, qui s’affirme haut et fort sans jamais cesser complètement de vaciller. C’est que, contrairement à certains de ses contemporains de la même génération, EggS ne laisse rien transparaître d’une éventuelle malice érudite ou de ces craintes qui se dissimulent parfois sous les apparences confortables du second degré. C’est avec la même fougue dépourvue d’arrière-pensée apparente que le groupe s’aventure dans les registres de l’indie-pop échevelée (Local Hero, Walking Down The Cemetery Road) ou des balades apaisées (Turtle Island, Masquerade). Même les éléments esthétiques les plus – a priori – incongrus, telles ces parties de saxophone que Camille Fréchou interprète avec l’énergie combinée de Lisa Simpson et de Clarence Clemons, ne détonnent pas un seul instant tant elles semblent imprégnées d’une même conviction collective et inébranlable. Nulle trace perceptible de ces clins d’œil décalés qui traduisent trop souvent l’absence d’un groupe à sa propre identité. C’est bien cet engagement viscéral dans chacune des douze compositions qui ravit et l’emporte d’emblée sur toutes les entraves générationnelles.