Les années 90, si proches et si loin de nous… Fun Radio passe les hits de Nirvana, Pearl Jam ou Soundgarden tandis que les ados pointus écoutent en boucle les albums de Fugazi, Guided By Voices, Teenage Fanclub, Blonde Redhead ou The Breeders. Il n’était pas cependant que question de rock ! La musique électronique connaissait aussi ses premiers grands succès populaires avec les Daft Punk, Underworld, Basement Jaxx ou Laurent Garnier. Dans cette ambiance parfois presque psychédélique (Deee-Lite), des formations tentèrent de créer un pont entre la musique indépendante (rock, pop) et la dance music électronique.
Au baggy (Stone Roses, Happy Mondays, Mock Turtles, The Charlatans) des rockeurs répondent ainsi le big beat (Fatboy Slim, Chemical Brothers, Prodigy, Propellerheads) des producteurs. Des groupes comme Saint Etienne ou Dubstar participent aussi à cet enthousiasme général. Dans leur musique, l’indie-pop dialogue avec des programmations électroniques. Paru en 1995, Graceful de Dubstar est ainsi un formidable témoignage de cette période d’expérimentation. Fondé en 1992, à Newcastle-upon-Tyne, le groupe se stabilise l’année suivante autour de Chris Wilkie, Steve Hillier et la chanteuse Sarah Blackwood. Repéré par Andy Ross, l’A&R de Food Records, ex-label indépendant rattaché à EMI (Blur), le trio est envoyé en studio avec Stephen Hague (Pet Shop Boys, New Order etc.). Il en découle un très bel album, d’une grâce intacte, presque trente ans plus tard.
Sur un tempo assez modéré, le disque ne souffre guère de temps mort, une anomalie dans une décennie où prime les albums beaucoup trop longs. Dubstar s’autorise même deux reprises, des emprunts à Brick Supply et Billy Bragg. Les excellentes Not So Manic Now et St. Swithin’s Day s’insèrent ainsi parfaitement dans Graceful. L’album s’ouvre sur la chanson la plus connue du trio, Stars. Le chant de Sarah Blackwood scintille sur la production aux effluves dub de ses compères. Cette influence jamaïcaine est un filigrane rouge de Disgraceful. Le mélodica d’Elevator Song offre un clin d’œil à Augustus Pablo tandis que des scories du son rave se font entendre sur la très réussi Anywhere (et son amen break). La guitare jangly de Popdorian contraste avec la mélancolie de Not Once, Not Ever. Enfin l’album se conclue sur la chanson-titre. Disgraceful dénoue l’affaire d’une bien jolie manière avec sa ligne de basse dub et son piano millésimé 90s. Aujourd’hui cet album semble un peu oublié, au-delà de sa pochette originale un peu particulière, pourtant certaines de ses qualités résonnent particulièrement bien avec l’époque. La voix très aérienne de Sarah Blackwood plane au dessus de cette musique terrienne. Les fragrances 90s, quelles soient rave ou trip hop, conversent particulièrement bien avec la pop actuelle. Si Stars est l’évidente locomotive de Discgraceful, l’album surprend par sa cohérence et sa consistance. Il révèle ses richesses au fur et à mesure des écoutes. Il y a derrière ce disque, un vrai amour pour la pop bien écrite, celui-ci saisit toujours autant presque trente ans plus tard.