Teenage Fanclub : « Il n’y a jamais de moment idéal pour enregistrer un album »

Teenage Fanclub
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Le concert parisien a été annulé, alors on est un peu triste. Eux aussi, même s’ils ont affronté la déception de manières bien différentes. Raymond McGinley est rentré à l’hôtel à l’heure des poules et s’est endormi tôt devant la télévision. Norman Blake a profité des instants de liberté nocturnes, accidentellement dérobés au planning exigeant d’une tournée européenne, pour écluser les pintes dans les bars de la capitale en compagnie du batteur Francis McDonald. Les deux arborent pourtant, de bon matin, un teint aussi frais que possible et des sourires de jeune homme. Pour ce qui nous concerne, reste donc en lot – plus que copieux – de consolation, le plaisir d’une conversation du lundi matin avec ces musiciens à la passion intacte, autour d’un album dont le titre apparaît plus que jamais comme une antiphrase. Nothing Lasts Forever, donc. Sauf Teenage Fanclub.

Deux ans seulement sont passés entre les sorties de Endless Arcade, 2021 et Nothing Lasts Forever, 2023. C’est un délai exceptionnellement court dans l’histoire du groupe, et ce d’autant plus qu’ils ont été écrits à quatre mains et non plus à six.

Norman Blake : Endless Arcade, notre précédent album, avait fini par sortir dans une période encore très perturbée par la crise sanitaire. En général, un jour de sortie d’album correspond plutôt à un moment festif : on guette les réactions de la presse et du public. Et puis on part en tournée juste après pour observer les réactions des gens lorsqu’ils entendent pour la première fois les nouvelles chansons sur scène. Cette fois-là, c’était complètement différent. Nous avions commencé la tournée un peu avant, la sortie de l’album avait dû être décalée pour cause de confinement et la suite de la tournée avait également été reportée. C’était vraiment un moment très bizarre : cet album est sorti et puis le lendemain… il n’y avait rien. Ni concert, ni promo, ni fête. Nous avions donc hâte de reprendre un cycle un peu plus normal.

Raymond McGinley : C’est une des conséquences assez curieuses de cette crise de la COVID : tout a semblé noyé dans une sorte de brouillard. J’ai l’impression que même notre perception du temps a été altérée. Quand j’y repense, j’ai vraiment du mal à m’y retrouver dans les dates au point que je me demande parfois si certains événements se sont réellement produits. En tous cas, nous avons éprouvé un fort sentiment de frustration quand Endless Arcade est sorti parce que rien n’a pu se passer normalement. Nous en avons discuté tous les deux dans les semaines qui ont suivi et, sans vouloir paraître trop complaisants, nous étions assez déprimés de nous retrouver dans cette espèce de néant. Nous nous sommes dits qu’il fallait absolument trouver un moyen de réagir et que la meilleure chose à faire était sans doute de commencer à écrire un nouvel album le plus vite possible afin de remplir ce vide qui nous envahissait l’esprit.

NB : En discutant, nous avons évoqué les délais entre nos albums depuis les années 1990 et, en y réfléchissant, cela nous a paru complètement absurde de continuer à laisser autant de temps s’écouler – quatre ans, cinq ans, six ans cela n’a aucun sens. Nous essayions de nous souvenir de ce que nous avions bien pu faire pendant toutes ces années et, franchement, à part quelques concerts en festival, je serai bien incapable de dire ce qui s’est passé quand le temps passait si lentement. Nous avons donc décidé de faire les efforts nécessaires pour être désormais plus productifs.

RMG : Rétrospectivement, le plus dur à digérer est que, en réalité, nous n’avons jamais vraiment mis ce temps à profit pour déconnecter complètement ou nous investir dans des activités passionnantes en dehors de la musique. Ce sont des années qui s’écoulaient comme dans un goutte à goutte : il y a toujours une petite chose à faire pour le groupe, même si c’est pour quelques heures et que cela n’a pas vraiment d’importance. C’est dommage et je me dis que, quitte à faire une pause de cinq ans ou six ans, j’aurais au moins pu retourner passer un diplôme à l’université. Même pas ! Quand on a autant de temps devant soi, cela favorise la procrastination. J’hésitais, je me disais que je pourrais faire ceci ou cela la semaine prochaine ou dans deux mois. Et puis, avant-même d’avoir pris la moindre décision, je m’apercevais que les années s’étaient écoulées sans que je m’en rende vraiment compte. Ce n’est pas une manière très satisfaisante d’organiser son existence.

Qu’avez-vous fait concrètement quand vous avez décidé de réagir ?

NB : Dès que nous sommes rentrés en studio avec le reste du groupe pour commencer les répétitions, tout s’est mis en place très rapidement. C’est aussi ce qui nous a permis d’avancer plus vite : Nothing Lasts Forever est un album qui a été extrêmement facile à enregistrer.

RMG : C’est aussi une des choses qui a rendu cet album un peu différent du précédent. Endless Arcade avait été enregistré très peu de temps après les concerts et la tournée commémorative de nos albums enregistrés pour Creation et pendant lesquels nous avions invité sur scène tous les musiciens qui avaient fait partie du groupe dans le passé. Gerry jouait encore avec nous alors que nous savions qu’il allait partir. C’était une période assez particulière et, par certains aspects, très déstabilisante. Cette fois-ci, nous sortions tout juste d’une tournée complète avec les mêmes musiciens dans des rôles stabilisés et bien définis : Dave McGowan à la basse et Euros Childs aux claviers. Nous avions pris nos habitudes et nos repères ensemble. Cela nous a permis d’avancer beaucoup plus rapidement, sans avoir à trop y réfléchir.

Norman, J’imagine que le fait que revenir vivre à Glasgow a également facilité cette dynamique collective ?

NM : Oui, c’est évident. Je suis revenu m’installer à Glasgow après avoir vécu huit ans au Canada. Cela nous a permis de nous retrouver beaucoup plus facilement pour répéter tous ensemble. J’ai eu l’impression que tout le monde partageait ce même état d’esprit. A la fin d’une tournée, on peut parfois se sentir un peu fatigué ou lassé de fréquenter toujours les mêmes personnes. En l’occurrence, ce n’était pas le cas du tout. Je crois que tous les membres du groupe avaient envie de continuer à jouer ensemble, un peu comme on retourne au travail et qu’on est content de retrouver des collègues avec lesquels on s’entend bien. C’est notre travail à nous, tout simplement et nous avons la chance de pouvoir continuer à le faire.

RMG : Je suis de plus en plus convaincu qu’il n’y a jamais de moment idéal pour enregistrer un album. Ça ne sert à rien de tergiverser en prétendant qu’il faut attendre d’être prêt : ça n’arrive jamais. On peut patienter pendant dix ans sans pour autant être prêt. Il vaut mieux se dire :  » Allez, tout le monde se retrouve au studio la semaine prochaine à 11h ! « . On sera toujours bien assez prêt à ce moment-là et, au moins, s’il y a des problèmes à régler, ce seront des problèmes utiles. Je préfère largement ce genre de pression à celle qui résulte de l’inactivité prolongée.

Cette cohésion au sein du groupe s’entend davantage, je trouve, que sur Endless Arcade. L’équilibre entre les guitares et les claviers, notamment, semble plus clairement établi.

NB : Par le passé, il arrivait assez souvent que l’un d’entre nous arrive en studio avec une idée assez précise et assez ferme des arrangements qu’il souhaitait entendre pour la chanson qu’il avait composée. C’est de moins en moins le cas : plus le temps passe, plus l’ambiance est devenue collaborative. Personne ne se prend pour Brian Wilson dans le groupe. Sur le dernier album, Raymond ou moi arrivions au studio en disant aux autres :  » Bon, voici la chanson. Voilà le couplet, voilà le refrain. Maintenant, au boulot ! «  Pendant les quelques heures qui suivent, chacun peut proposer ce qu’il veut, discuter des arrangements et, à la fin de la journée, la chanson est prête et enregistrée. C’est aussi simple que ça. Nous avons la chance de travailler avec d’excellents musiciens. Dave est un super bassiste, très créatif. Francis est un batteur très musical et qui joue aussi de la guitare et du piano. Euros possède son propre style et beaucoup d’idées. Il a un don unique pour les contre-mélodies. Il ne se contente pas de décliner la mélodie de base sous forme de boucle : il propose toujours de superposer ses propres lignes mélodiques. Nous avons enregistré l’essentiel de Nothing Lasts Forever dans les studios de Rockfield. Euros n’apporte jamais aucun de ses claviers en studio : il préfère s’adapter aux instruments qu’il peut trouver sur place. Le premier jour, il a aperçu un vieil orgue Hammond et un Fender Rhodes : il a décidé qu’il jouerait toutes les parties de claviers de l’album sur ces deux modèles et c’est ce qui a fini par donner une partie de leur style à ces nouvelles chansons.

RMG : L’ingénieur du son nous a aussi prêté un Mellotron dont nous nous sommes un peu servis. C’était intéressant de revenir à Rockfield : c’est là que nous avions enregistré Howdy ! (2000) le dernier album que nous avons publié chez Creation. A l’époque, c’était Finlay McDonald qui jouait du clavier et c’était la première fois que nous travaillions à cinq musiciens plutôt qu’à quatre pour tout un album. Avant, quand nous étions quatre, c’était Norman qui enregistrait les parties de claviers en overdub la plupart du temps. Finlay et Euros sont deux musiciens totalement différents mais, à vingt ans d’écart, j’ai ressenti la même impression très agréable en les entendant jouer en temps réel, dans la même pièce que les autres membres du groupe.

NB : La plupart de ces chansons ont été enregistrées en peu de temps. Un ou deux jours maximum. Et nous avons ajouté très peu d’éléments après coups : quelques parties de guitares ou de cordes sur certains morceaux. Mais, dans l’ensemble, la spontanéité du travail de groupe a été respectée.

Comment s’explique la récurrence du thème de la lumière dans ces chansons : I Left A Light On, See The Light, Back To The Light ?

NB : C’est une métaphore qui est, somme toute, assez fréquente dans les chansons pop. La lumière, l’opposition avec les ténèbres. Nous l’avons simplement utilisée, chacun à notre façon, pour essayer de retranscrire des émotions un peu plus intimes. Nous essayons de continuer à progresser dans l’écriture, un peu à chaque album, à la fois dans la forme et dans le fond, en exprimant ce qui nous tient à cœur à un instant donné de la manière la plus sincère possible. Ni Raymond ni moi n’écrivons spontanément des paroles d’une manière narrative. Il faut bien que nous passions par l’intermédiaire des images. Au fur et à mesure que nous vieillissons, nos expériences de la vie sont différentes. La mort se rapproche, et pas uniquement la nôtre. Cette année, le conjoint de ma sœur est mort et d’autres amis proches aussi. Cela fait partie de ce qui colore désormais notre inspiration, c’est inévitable. C’est normal que nos chansons deviennent plus mélancoliques. Ça serait absurde de faire semblant ou de continuer d’exprimer les sentiments d’une bande d’adolescents insouciants.

RMG : On peut toujours chercher à progresser dans l’écriture, quel que soit l’âge, en s’efforçant de ne pas se contenter de formules confortables et en essayent d’être le plus possible connecté à ses émotions du moment. C’est un travail de perfectionnement qui n’a jamais de fin.

Ça ne doit pas être toujours commode d’exprimer ce type de préoccupations dans une forme musicale qui, à ses origines, était plutôt associée à la jeunesse.

NB : C’est vrai. J’ai quand-même l’impression que les gens – en tous cas ceux qui nous écoutent et qui, pour beaucoup, ont vieilli avec nous – sont moins gênés par ces questions d’âge qu’ils pouvaient l’être autrefois. J’ai été au concert de Bob Dylan il y a quelques mois et c’était génial. Et les gens n’étaient pas uniquement venus pour l’entendre jouer ses classiques : ils étaient aussi émerveillés par les chansons du dernier album. J’ai tendance à croire qu’on peut donc continuer de se montrer créatif, quel que soit l’âge que l’on a.

RMG : J’ai l’impression que, avec les années, les gens ont pris l’habitude de dissocier la forme musicale et le style de vie auquel elle était mélangée à ses origines. On peut continuer à jouer dans un groupe de rock sans avoir l’impression de tricher ou de déchoir parce qu’on n’en adopte pas les stéréotypes juvéniles ou les excès. Ce serait effectivement pathétique. Comme dans n’importe quel métier, on n’est pas obligé de se conformer aux clichés de sa profession quand on est musicien.


Nothing Lasts Forever du Teenage Fanclub est disponible chez PeMa records

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