Depeche Mode, nec plus ultra

Depeche Mode
Depeche Mode

Des trois, c’était sans doute celui qu’on ne s’attendait pas à voir partir en premier… Il était celui qui paraissait le plus mesuré, celui que la débauche n’excitait guère, le seul capable de ramener à la raison ses compagnons, le véritable ciment entre le performeur Dave Gahan et le compositeur Martin Gore. Mais voilà. Andrew Fletcher a tiré sa révérence jeudi dernier, le 26 mai 2022, alors que rien ne l’y prédestinait. Avec sa disparition, c’est bien sûr l’avenir de l’un des groupes les plus influents / importants de la génération post-punk qui prend l’allure d’un point d’interrogation, d’autant plus à la réplique donnée par celui que tout le monde surnommait Fletch à la dernière question d’une interview réalisée à la toute fin de l’année 1996 pour la RPM…

Alors, le groupe, croisé en chair et en os pour la première fois trois ans plus tôt sur les routes américaines pour un article “en coulisses” destiné au mensuel Rock & Folk, entamait sa quatrième vie, après les tournées Devotional marquées par les excès et au moins une résurrection de Gahan (à La Nouvelle Orléans, le 8 octobre 1993, pour être précis) : un cerveau en moins – Alan Wilder – avant un album en plus – Ultra, neuvième disque studio qui allait paraitre le 14 avril 1997, il y a donc vingt-cinq ans. Dans la nuit d’un hiver londonien, dans un hôtel d’une modernité dépouillée, Martin Gore, Dave Gahan et Fletch avaient répondu à ces questions qui se voulaient un moyen d’évoquer le passé, de parler du présent et d’envisager le futur d’un groupe qui fêtait alors sa presque majorité – dix-sept ans d’existence. Dix-sept années au cours desquelles il aura perdu deux membres a priori essentiels, flirté avec le ridicule – les accoutrements de Gore période berlinoise –, influencé la techno et la house, réalisé déjà une bonne dizaine de hits imparables… Mais dont on ne savait pas encore qu’il allait encore traverser plus de deux décennies, sans jamais perdre de son pouvoir de fascination.

Interview par Christophe Basterra, parue en mars 1997

Comment avez-vous réagi au départ d’Alan Wilder ?
Andrew Fletcher : Je n’ai jamais compris pourquoi il a pris une telle décision à ce moment là (ndlr. en juillet 1995). Nous n’avions encore rien décidé quant au futur du groupe. Martin venait juste de se mettre à écrire de nouvelles chansons. Si cette résolution était intervenue juste après la tournée Songs Of Faith And Devotion, cela m’aurait semblé plus normal. On lui a demandé de revenir sur sa décision, sans succès…
Martin Gore : Ça n’a pas été un choc ou une énorme surprise pour autant. Il était vraiment devenu bizarre, il essayait toujours de nous éviter depuis quelque temps. Avant la réunion où il devait nous annoncer son départ, on a essayé de le contacter pour dîner avec lui, essayer de discuter, de trouver des solutions si jamais il y en avait. Et le jour où cela devait avoir lieu, il a fait appeler sa petite amie pour nous dire que son père était malade et qu’ils devaient quitter Londres. Tu vois, un peu comme lorsque tu es gamin et que tu fais appeler ta petite sœur pour dire que tu ne peux pas aller au collège…
Andrew Fletcher : De toute façon, la situation était vraiment devenue étrange : lorsqu’Alan était encore avec nous, on ne le voyait plus du tout en dehors des activités du groupe. Maintenant, il vit à la campagne et personne n’a eu de ses nouvelles. Ce départ était peut-être nécessaire : en quelque sorte, il a donné une nouvelle impulsion au groupe, tout a semblé à nouveau très excitant.

Je suppose que vous allez rester en trio dorénavant ?
Martin Gore : Il serait étrange de chercher un quatrième membre aujourd’hui, vu où nous en sommes. Et surtout vu la façon dont nous travaillons. La plupart des instruments sont programmés. En revanche, pour les concerts, il est évident que nous intégrerons de nouveaux musiciens.
Dave Gahan : Aujourd’hui, il semble plus facile d’appartenir à Depeche Mode. On travaille mieux à trois… J’ai un souvenir épouvantable de l’enregistrement de notre album précédent. Tout le monde essayait de tirer la couverture à soi, l’ambiance était détestable : nous n’arrivions jamais à tomber d’accord sur la musique, ni sur rien d’ailleurs… Pour Ultra, nous avons passé beaucoup plus de temps à discuter, à réfléchir ensemble sur les orientations à donner à tel ou tel morceau.

Le choix de Barrel Of A Gun comme premier single, c’était pour surprendre votre public ?
Andrew Fletcher : Je ne crois pas, pas quand Martin a composé la chanson en tout cas… Il ne l’avait pas envisagée comme un single, ce n’était pas une déclaration d’intention, du style : “Voilà, Depeche Mode est enfin de retour !” Il y a quelques chansons sur l’album qui sonnent plus comme du Depeche Mode, disons… traditionnel. Au départ, on pensait sortir It’s No Good qui est certainement bien plus commercial. Mais on a tous pensé que Barrel Of A Gun était un choix plus intéressant.
Martin Gore : On était arrivé au stade où It’s No Good était mixé et prêt à sortir. Mais on a commencé à se sentir mal à l’aise parce qu’elle sonnait trop… Depeche Mode ! Il n’y avait plus aucun challenge car on savait que le morceau était assuré de connaitre un certain succès, auprès de nos fans en tout cas. Quel intérêt pouvait-il y avoir ? Il me semble que Barrel Of A Gun peut intéresser d’autres gens que notre public habituel…

Pourquoi le choix de Tim Simenon comme producteur ?
Martin Gore : Dès les démos, les morceaux avaient pris l’orientation d’un groove assez lent. On a commencé à réfléchir à des gens qui étaient intéressés par cet aspect de la dance. Je crois que c’est Daniel Miller qui nous a suggéré Tim, que nous connaissions déjà. On a trouvé l’idée excellente car il est toujours important de connaître quelqu’un, de savoir que tu t’entends avec lui avant d’entrer en studio.

Mais quel est le rôle exact d’un producteur au sein de Depeche Mode : on a l’impression que vous savez exactement ce que vous voulez en entrant en studio…
Martin Gore :
Oh, non, détrompe-toi ! Et puis là, ce qui nous séduisait, c’est que Tim travaille toujours avec la même équipe : un musicien, un programmateur et un ingénieur. C’est la première fois que nous travaillons dans ces conditions et c’était très intéressant car on pouvait vraiment prendre nos distances par rapport à ce qui se passait en studio. Parfois, Tim et moi donnions des directives au clavier et il travaillait de son côté, tout comme le programmateur. Ensuite, on écoutait les différents résultats, on confrontait les idées respectives. En fait, je ne crois pas que Fletch, Dave ou moi sachions exactement ce qu’on veut en entrant en studio. On a toujours envie d’expérimenter, on a parfois trois ou quatre directions pour un même titre…
Andrew Fletcher : Le fait de travailler avec une véritable équipe était une bonne chose pour cet album. L’atmosphère était très détendue. Malgré tous les problèmes que nous avons pu rencontrer en 1996, l’ambiance en studio a toujours été excellente.
Dave Gahan : Depuis longtemps, Depeche Mode, ce sont les chansons de Martin et ma voix. Il était important pour nous de dépasser aujourd’hui cet état de fait en faisant appel à des musiciens extérieurs, comme Keith Leblanc, et à un producteur avec énormément d’idées. Nous avions déjà travaillé avec Tim par le passé pour des remixes de Everything Counts et Strangelove. C’est un grand fan du groupe depuis de longues années. Son point de vue a été des plus intéressants : il a essayé de tirer de nous, aujourd’hui et avec ces nouvelles chansons, ce qui lui a toujours plus chez nous depuis nos débuts. Il a fait un travail de fan. Nous nous sommes beaucoup reposés sur lui, ses idées, ses choix. Ce qui nous a permis de nous concentrer sur la musique et les chansons.

Comment avez-vous choisi les remixeurs qui ont travaillé sur Barrel Of Gun ?
Martin Gore : C’est un habile mélange… Ce sont des amis, des gens que Tim connaît et qui sont sur son label. En fait, on voulait surtout compter sur des artistes qui ont chacun leur propre style.
Dave Gahan : Certains vont penser que nous avons choisi des artistes… “à la mode”. C’est n’importe quoi car nous ne nous posons aucune question de ce genre. Depuis toujours, nous faisons de la musique pour nous, sans jamais penser si cela va plaire ou non. Dès qu’un groupe a du succès, il devrait faire de la musique pour son immense public ? C’est débile ! Qu’un groupe marche ou pas, on fait toujours de la musique pour soi. Le succès, la reconnaissance n’interviennent qu’après. Ce genre de procès n’est fait qu’aux musiciens. Pourquoi un musicien serait-il différent d’un peintre ? Un peintre travaille toujours pour lui. Il n’imagine pas une seconde, lorsqu’il peint, ce que va en penser le public.

En général, vous laissez une entière une liberté à ces remixeurs ?
Martin Gore : Souvent… Des fois, ça fonctionne très bien, parfois, ça peut être… catastrophique ! On a récupéré trois remixes d’Underworld. Le premier, le plus “ambiant”, était excellent et le deuxième, beaucoup plus dance, était également impressionnant : il durait neuf minutes et il n’y avait aucun son ou ligne de chant de notre version ! Ils avaient tout changé. Alors, on leur a juste demandé s’ils pouvaient rajouter un peu de voix de temps à autres… (Rires.) Parce que l’idée était bien d’avoir un remix de notre morceau et non pas d’avoir un titre d’Underworld. Maintenant, le mix est, comment dire… plus acceptable ! Le travail de DJ Shadow était un peu décevant… Même s’il était très intéressant. Il a utilisé beaucoup de samples de voix : parfois ça sonne vraiment comme du James Brown mais apparemment, ce n’est pas lui… Il a utilisé la moitié d’un couplet d’un morceau rythm and blues. On ne pouvait vraiment pas sortir une telle version sinon on allait tout droit vers un procès ! On adore sa version mais je pense qu’on ne la sortira que sur un maxi promo. Parce qu’on ne peut pas te poursuivre en justice si le disque n’est pas en vente. Et on a passé l’âge de jouer avec le feu !

Vous avez vous-mêmes utilisé des samples sur Ultra ?
Martin Gore : Pour les démos, la plupart des chansons naissent de boucles rythmiques que l’on essaye de recréer ensuite, que ce soit avec un batteur ou en les triturant. Il y a quelques samples sur le disque mais ils sont assez déguisés et retravaillés pour qu’on les considère comme une véritable création.
Andrew Fletcher : On a samplé également énormément de sons, c’est surtout une idée de Tim d’ailleurs. On a même re-samplé certains morceaux de nos vieux albums, ce qui nous a semblé une démarche vraiment intéressante…

Vous pensez partir en tournée ?
Martin Gore : En fait, à cet instant précis, nous ne pensons même pas donner de concerts… Après chaque album, nous sommes toujours partis en tournée. Et celle de Songs Of Faith And Devotion a semblé durer une éternité, elle a failli avoir raison du groupe : même si elle remonte à près de deux ans maintenant, les mauvais souvenirs sont encore présents.
Andrew Fletcher : Maintenant, nous voulons prendre les choses comme elles viennent plutôt que de planifier quoi que ce soit. Si nous nous sentons en pleine forme, il n’est pas impossible que nous repartions sur la route. On verra bien… Mais peut-être préférerons-nous retourner en studio pour enregistrer de nouvelles chansons…
Martin Gore : Je crois que personne n’imagine à quel point la dernière tournée fut pénible… Chacun d’entre nous, à un moment ou à un autre, a dû être hospitalisé. Andy n’a même pas voulu la finir… Si nous nous décidons à tourner, ce sera pour les bonnes raisons. Là, nous allons préparer un set live pour quelques émissions télé. Et si ça nous plaît, peut-être que nous envisagerons autre chose…
Andrew Fletcher : Le problème avec Depeche Mode, c’est que nous avons des fans dans le monde entier : en Chine, en Russie, en Amérique du Sud, en Europe… Comment prendre la décision de ne faire que dix concerts dans dix villes différentes, comment les choisir, pourquoi ?
Martin Gore :  A notre niveau, on est également obligé d’envisager une énorme production. Personnellement, je hais l’idée d’aller voir juste quatre types sur une scène en train de jouer de leurs instruments… Quoique, cette fois, nous pourrions peut-être faire appel à un batteur… Ça ferait cinq personnes. Mais je ne trouverais toujours pas ça intéressant ! (Rires.) Une production comme la nôtre coûte si chère qu’il faut être prêt à rester plusieurs mois sur la route.

Cette dernière tournée a justement donné naissance à un album vraiment à part dans votre discographie, Songs Of Faith & Devotion Live
Martin Gore :  J’étais complètement opposé à cette idée ! Mais comme les trois autres semblaient plutôt intéressés, j’ai dû m’y résoudre. Au sein de Depeche Mode, nous travaillons comme une vraie démocratie et, là, j’ai été démenti !  Mais ils s’en sont tous mordu les doigts.
Andrew Fletcher : L’idée originelle paraissait intéressante, d’autant que cela n’avait jamais été réalisé auparavant…
Martin Gore :  J’avais l’impression que tout le monde était devenu complètement fou. On a fait plusieurs réunions à propos de ce projet et je m’y suis toujours opposé… Cette décision était vraiment pathétique.
Andrew Fletcher : Oui, mais d’un autre côté, ça illustre parfaitement l’intérêt d’être dans un groupe où tu peux confronter les idées. Martin pensait que nous avions tort. Et il avait sans doute raison… Mais tout le monde a commis des erreurs et ces erreurs sont nécessaires. C’est grâce à elles que tu peux continuer à avancer.
Martin Gore :  Tout n’est que compromis. (Rires.) Je suis vraiment content aujourd’hui car il y a trois ou quatre mois, le reste du groupe, les gens qui travaillaient avec nous, Daniel Miller étaient persuadés que la dernière chanson que j’ai composée pour Ultra était de loin la meilleure et s’imposait comme premier single. Et encore une fois, même si j’adore ce morceau, j’étais convaincu que cela ne devait surtout pas être le cas ! Et j’étais là : “Mon Dieu, ça les reprend”.
Andrew Fletcher : Mais il faut aussi connaître la raison de Martin : il trouve cette chanson trop commerciale ! Or moi, j’adore la pop commerciale.
Martin Gore : J’ai toujours pensé qu’il existe une frontière dans le genre commercial que nous avons réussie à ne jamais dépasser… Réaliser ce titre comme premier single aurait été une grave erreur. Heureusement, un par un, j’ai réussi à ramener tout le monde à la raison.

Vous pensez avoir pris beaucoup de mauvaises décisions depuis vos débuts ?
Andrew Fletcher : Je crois que, surtout en Angleterre, nous nous sommes trop montrés à une époque. Mais on ne pouvait pas le savoir avant, il a fallu que nous puissions prendre du recul pour nous en apercevoir. Mais c’est sans doute pour cela que Depeche Mode n’est pas plus populaire aujourd’hui en Grande-Bretagne. Ce qui n’est pas plus mal car ça nous a toujours permis de pouvoir vivre plutôt normalement ici, ce qui n’est pas le moindre luxe.
Martin Gore : Nous étions jeunes et nous ne savions pas vraiment ce que nous faisions. Surtout au niveau de l’image. Aujourd’hui, lorsque je regarde quelques vieilles photos, elles me dérangent terriblement… Il n’était pas évident après ça de gagner un certain respect !

De tous les groupes à succès des années 1980, vous êtes l’un des rares à avoir su négocier le virage 1980/1990…
Andrew Fletcher : Oui mais on a complètement perdu la tête ! Et cela fait quelques années déjà ! En fait, ce sont les autres groupes qui ont eu raison : ils n’ont peut-être plus de succès mais ils sont encore sains d’esprit ! Plus sérieusement, l’une des raisons pour laquelle nous avons continué à avoir du succès est que nous avons toujours essayé de surprendre le public. Nous n’avons jamais joué sur nos acquis.
Martin Gore : Effectivement, de nombreux groupes préfèrent se reposer sur leurs lauriers : après après avoir connu le succès, ils se sont raccrochés à une formule qu’ils pensaient pouvoir utiliser à chaque fois.
Andrew Fletcher : Parfois, certains groupes ont trop de pression imposée par leurs maisons de disques, ce qui peut vraiment devenir malsain. Nous, nous avons toujours été maîtres de nos décisions. Bien sûr, Daniel Miller a toujours souhaité que nous soyons énormes mais…
Martin Gore :  Je crois qu’une partie du public de nos débuts a grandi avec nous, sans jamais nous perdre réellement de vue. Ceci dit, je crois aussi que nous sommes un des rares groupes du début des années 1980 à séduire, année après année, de nouveaux fans. Et nos plus jeunes supporters sont plus ouverts d’esprit que leurs aînés. La musique a beaucoup évolué en quinze ans et il est amusant de constater que certaines barrières sont tombées. La musique électronique, en devenant grand public, a beaucoup fait avancer les choses. L’arrivée des synthétiseurs a marqué un tournant important. Auparavant, l’instrument dont tu jouais révélait très souvent ton style musical. Certains genres musicaux sont intimement liés à des instruments particuliers. À partir du moment où le public a compris qu’avec un clavier, on pouvait jouer de tous les instruments, les musiciens ont peu a peu mélangé les genres. Et c’est ainsi que la musique s’aventure toujours un peu plus loin.

Je suppose que les majors n’ont cessé de vous faire des offres mirobolantes…
Andrew Fletcher : Non, même pas ! Tout le monde sait quelle a toujours été notre position. Personne pratiquement n’a essayé de nous appâter avec des millions et des millions. Nous n’avons jamais eu de contrat longue durée avec Mute, ça n’a jamais été nécessaire. Aux États-Unis, la situation est un peu différente parce que nous avons signé un contrat à long-terme avec Warner. Nous avons toujours travaillé avec Daniel Miller. Mais ne nous demande pas pourquoi nous l’avons choisi… Je crois que nous devions déjà être complètement fous à l’époque ! Ça n’avait rien avoir avec l’argent. On était au chômage, lui commençait Mute… Il y a certaines décisions que tu prends dans ta vie, sans savoir véritablement pourquoi… Et elles s’avèrent être décisives. L’instinct, je suppose. Voilà peut-être pourquoi nous sommes encore là aujourd’hui, grâce à notre instinct…

Pour vous, Speak & Spell est toujours à inclure dans la discographie de Depeche Mode ?
Andrew Fletcher : Oui, tout à fait. C’est un classique pop. Il y a quelques excellentes chansons. Bien sûr, presque tout était composé par Vince, mais bon. Regarde, A Broken Frame avait un côté très pop également : il a servi de transition. Dès lors, pour revenir au sens de ta question, je pense que Construction Time Again est le premier véritable album du Depeche Mode deuxième formule.
Martin Gore : J’avais composé beaucoup de chansons de A Broken Frame avant la sortie de Speak & Spell… Il m’a semblé normal de les utiliser. Si nous étions tout de suite arrivés avec Construction Time Again, on aurait perdu tout notre public. Mais le fait d’avoir sorti un titre comme Leave In Silence en single a préparé les gens à la suite. Ça me fait toujours rire d’imaginer que quelqu’un, découvrant Depeche Mode avec le nouvel album, décide de s’intéresser à notre passé et achète Speak & Spell : ça doit faire un sacré choc !
Andrew Fletcher : Et alors, comme pour les Beatles : leur premier album ne contient que des morceaux pop de deux minutes qui n’ont rien à voir avec I Am The Walrus

Et Violator est aussi important à vos yeux qu’à ceux de votre public ?
Andrew Fletcher : Il occupe certainement une place particulière car tout y semble parfait…
Martin Gore : C’est la première fois que l’on travaillait avec Flood : et la première fois que tu travailles avec quelqu’un, il y a toujours plus d’énergie… La seconde, tout le monde est plus dissipé.
Andrew Fletcher : Avec Violator, nous avons atteint un succès dingue : bien sûr, nous étions déjà populaires mais ce n’était pas le même niveau.
Martin Gore : Cela dit, ça n’empêche pas certains de penser encore que Speak & Spell reste notre meilleur album…

Les principaux précurseurs des scènes techno ou house vous citent souvent comme une grande influence…
Martin Gore : C’est un compliment… Il m’est toujours difficille d’imaginer que nous ayons pu influencer une scène d’une façon ou d’une autre. Mais d’un autre côté, tu te sens forcément trahis : les musiciens de ces scènes oublient souvent que nous avons toujours écrit des chansons… J’aime bien la techno, elle a des côtés très positifs . Mais nous, on choisira toujours la mélodie et le texte plutôt que le côté purement rythmique.
Andrew Fletcher :
Je suis sûr que l’on a encouragé d’une manière ou d’une autre certaines personnes à faire de la musique, comme tout artiste avec un tel succès, mais je ne sais pas si nous faisons partie des pionniers de la musique électronique ou si nous avons eu une réelle importance sur l’explosion de la scène dance au sens large du terme. Ce dont je suis sûr, c’est que nous avons autant donné à la musique que ce que nous lui avons pris. Le principal intérêt de Depeche Mode a toujours été la chanson avant le son. Nous ne sommes pas des bêtes de studio. La nouveauté des sons nous a toujours intéressés mais ce n’est qu’un complément à la chanson. De temps en temps, j’entends des gens dire que la révolution électronique, les synthétiseurs, puis les échantillonneurs permettent aujourd’hui à n’importe qui de faire de la musique. De la musique, c’est évident mais pas forcément des chansons et sans elles, je ne vois pas très bien l’intérêt. Tu sais, Martin compose toutes nos chansons sur une guitare… Les claviers ne sont là que pour créer une atmosphère, pas la mélodie.

Lorsque vous avez commencé Depeche Mode, vous imaginiez pouvoir être encore là dix-sept ans plus tard ?
Martin Gore :
Certainement pas ! Nous n’avions aucune ambition à l’époque. Pour nous, c’était juste une occupation comme une autre : une répétition par semaine, un concert de temps à autres, c’était aussi simple que ça.

Aujourd’hui, pourquoi Depeche Mode pourrait s’arrêter ?
Andrew Fletcher :  Si l’un d’entre nous venait à mourir… Si ne nous entendons vraiment plus.
Martin Gore : Quoique, nous avons déjà connu des situations plus que tendues. On est même arrivé au point où en tournée, nous voyagions séparément. Si on ne peut plus être dans la même pièce, ensemble, je pense qu’il sera temps de mettre un terme à l’aventure et de rentrer chez nous.
Dave Gahan : À plusieurs reprises, Depeche Mode a failli se séparer et lorsque je vois tous les problèmes que nous avons connus, je crois que seul un désintérêt pour la musique peut avoir raison du groupe. Mais je ne nous imagine pas dans dix ans… Cela étant, j’ai toujours vécu et pensé au jour le jour, ce n’est pas aujourd’hui que cela va changer. Ces derniers temps, je me suis débarrassé de quelques mauvaises habitude mais pas de celle-là…


Cette interview a été originalement publiée dans le #13 (mars/avril 1997) de la RPM.

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