Nous avons déjà clamé haut et fort notre amour pour For Those We Met On The Way, premier album solo de David Christian & The Pinecone Orchestra. La cinquantaine passée et échappé de Comet Gain, Christian a décidé d’assumer pleinement son ambition de singer-songwriter sur ce bijou de pop acoustique et harmonique. Ayant quitté Londres pour s’installer dans la campagne française, toutes les conditions étaient réunies pour enregistrer un album plus personnel que jamais à la mélancolie contagieuse. Nous vous mettons au défi de ne pas considérer Goodbye Teenage Blue ou When I Called Their Names They’d Faded Away comme des classiques instantanés sur lesquels le temps n’aura aucune prise. Après une date annulée à Paris il y a quelques mois, David Christian sera de passage ce soir, le jeudi 22 septembre dans le cadre du Paris Popfest. Profitez-en, il se fait rare en concert. C’est dans le cadre de sa prochaine venue que nous avons échangé sur ce premier album solo, sa nouvelle vie, ses futurs projets, sa collection de disques et ses premiers amours musicaux.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de sortir un album solo ?
David Christian : Étant coincé en France pendant la période de pandémie, je n’avais pas la possibilité de sortir un nouvel album de Comet Gain. Je suis un grand fan des albums solo, j’ai toujours gardé cette idée dans un coin de ma tête. A chaque fois que ma compagne prenait une photo de moi au bord de la mer ou dans les bois, je lui disais : “je vais l’utiliser pour mon album solo”. C’était devenu une blague récurrente. J’avais déjà gardé quelques chansons trop personnelles pour un projet à part. Il m’est arrivé par le passé d’avoir le sentiment qu’un album de Comet Gain était proche d’un projet solo. Sans doute parce que j’écris les chansons. J’ai contacté notre maison de disques en leur demandant si un disque sous mon nom pouvait les intéresser. Ils étaient partants. J’ai pu laisser libre cours à toutes mes fantaisies.
Quelles étaient ces dernières ?
David Christian : Je ne voulais surtout pas sortir un album punk rock. J’ai la cinquantaine, il fallait que le disque s’adresse aux gens de mon âge. Je n’allais tout de même pas me lancer dans la dance music. Je me suis inspiré des albums solos des 60’s et des 70’s qui m’ont marqués. Mais à chaque fois que j’essaie de faire un plan sur le son d’un nouvel album, il part dans une direction différente. En partie parce que je n’arrive pas à retranscrire ce que j’ai en tête, mais aussi parce que tout évolue pendant le process de création. Le résultat n’est pas toujours ce que l’on désirait, mais parfois c’est pas mal quand même. Je voulais des chansons calmes, du piano et des harmonies. Je me suis aussi lâché sur le côté personnel des textes, ils sont moins universels.
Pourquoi préfères-tu les albums solos d’artistes qui jouent normalement dans des groupes ?
David Christian : Parce qu’ils peuvent partir dans des directions inattendues. Si l’on prend l’exemple de Paris 1919 de John Cale, les paroles sont presque abstraites. Un autre de mes favoris est Fried de Julian Cope. Il venait de quitter The Teardrop Explodes. Même si l’on retrouve des pop songs, l’humeur générale est plus langoureuse, plus décontractée. On sent qu’il a envie d’aller à son rythme. Les albums solos sont souvent plus harmonieux et introspectifs. De par leur nature solitaire, ils sombrent souvent dans la mélancolie. Un groupe, c’est un gang avec de l’adrénaline. On a souvent envie de faire du bruit. Créer For Those We Met On The Way était un travail en solitaire plutôt agréable.
Tu as pourtant un palmarès d’invités plutôt surprenant qui joue sur l’album !
David Christian : C’est vrai (rire). Mais j’avais besoin de musiciens ! Comet Gain n’est pas vraiment connu pour ses talents musicaux, même s’il y a d’excellents musiciens dans le groupe. Je voulais que les titres de l’album soient joués le mieux possible, et que ça s’entende. J’ai eu la chance d’avoir des amis talentueux à proximité qui ont pu remonter le niveau des parties un peu pourries (rire). Les bases ont été enregistrées en pleine campagne française dans une ferme avec Mike Targett qui a produit l’album et joué du piano et de la guitare, et Cosmic Néman de Zombie Zombie à la batterie. Le reste a été fait à distance, échangeant des fichiers. Il fallait parfois attendre deux semaines pour avoir un retour… A un moment j’ai été coincé par deux solos de guitare que je voulais superposer. J’ai envoyé des fichiers à Ben Phillipson de Comet Gain et à Alasdair MacLean de The Clientele et Comet Gain, deux guitaristes épatants. J’espérais secrètement qu’ils allaient se contacter pour travailler ensemble, mais ça n’a pas été le cas. Pourtant, quand ils m’ont envoyé leurs fichiers, la magie opérait comme s’ils avaient joué en live.
As-tu eu peur de ne pas arriver à mener le projet à terme ?
David Christian : Quand tu es en groupe, si ça ne fonctionne pas, tu peux accuser les autres. Là j’étais bien embêté (rires). C’est probablement l’enregistrement pendant lequel j’ai été le plus détendu. Tout s’est déroulé facilement. Si j’ai toujours une idée en tête du résultat que je veux obtenir, je n’y arrive que rarement. Avec cet album, ça n’a pas été le cas. Je n’avais pas l’angoisse qu’on le compare aux disques de Comet Gain. Je savais qu’il n’y avait pas d’enjeux, que j’allais sûrement en vendre 500 exemplaires. C’est presque comme si je l’avais enregistré pour moi, pour mon plaisir personnel.
Tu habites maintenant dans le sud de la France. Ce nouvel environnement a-t-il joué sur l’humeur de l’album ?
David Christian : Je vais te sortir de gros clichés, mais c’est la vérité. Si l’on prend l’exemple du dernier album de Comet Gain en date, Fireraisers, Forever!, il sonne comme le Londres de cette époque, agressif, énervé. Ce serait encore pire aujourd’hui. On subit son environnement. Il affecte ton humeur. Je ne pourrais pas enregistrer un album dans cette veine alors que j’habite au calme. Ça se ressent aussi lorsque j’écoute la musique des autres. Je lutte pour écouter un album de The Fall ou des Swell Maps depuis mon déménagement. Ça me paraît incongru, parce que ça ne colle pas au calme de ma vie quotidienne. Entendre les oiseaux chanter pendant une journée ensoleillée ne me donne pas envie de poser Dragnet sur la platine. J’ai besoin que la musique soit partie intégrante de ce que je ressens.
Tu habites en France depuis quelque temps, la rupture avec la vie Londonienne n’a pas été trop difficile ?
David Christian : J’habite pas très loin de Bordeaux, à 10mns de l’océan. Ayant grandi à Londres, ça me fait bizarre de me retrouver dans un petit village. Je suis retourné pour la première fois au Royaume-Unis, à Glasgow, il y a quelques jours pour jouer un concert. Le pays ne me manque pas. Les amis par contre, oui. Et des choses comme les magazines ou les currys. C’est d’ailleurs la première chose que j’ai faite en arrivant à Glasgow, aller dans un restaurant indien. Je suis très content de ne plus habiter en Angleterre, surtout en ce moment, avec tout ce cirque autour du décès de la reine.
Les musiciens de la scène indés ne sont généralement pas très fan de la monarchie. On en voit pourtant beaucoup rendre hommage à la reine. Comment as-tu vécu l’annonce de sa disparition ?
David Christian : C’est arrivé soudainement. Ça ne m’a pas affecté initialement. Puis ils ont annulé les matchs de foot du weekend en Angleterre, ça m’ennuie plus que sa disparition. Elle avait tout de même 96 ans, elle a eu une longue vie. Je ne vais rien dire de méchant sur elle car elle ne semblait pas être une personne horrible. Ce qui m’agace, c’est d’entendre des gens dire qu’elle a apporté beaucoup au pays. La réalité, c’est qu’elle n’a rien fait pour les gens normaux durant son règne alors qu’elle avait énormément de pouvoir et d’argent. Je ne l’accuse pas vraiment pour ça, elle n’était qu’un objet décoratif. Comme un superbe bouquet de fleurs posé sur une étagère. Les gens trouvent que ça fait joli, mais ce n’est pas d’une grande utilité. Ce n’était pas une sainte non plus, elle a protégé son fils Andrew lors de l’affaire Weinstein en lâchant de grosses sommes d’argent.
La scène musicale britannique ne te manque pas trop ?
David Christian : J’ai traversé une phase où l’Angleterre me manquait. Je suis un gros fan de Freakbeat anglais des 60’s. C’est de la pop psychédélique. Je ne jouais plus que ça. Etrangement, ça n’a eu aucun effet sur For Those We Met On The Way.
Il me semble que tu as beaucoup de disques. Es-tu un collectionneur compulsif ?
David Christian : J’ai dû me calmer. J’ai principalement travaillé dans des magasins de disques. J’en ramenais à la maison presque tous les jours. Avant de quitter Londres, j’en avais beaucoup trop. Mais comme nous partions dans un autre pays, je me suis séparé de la moitié de ma collection. En partie pour financer le déménagement, mais aussi parce que c’est un cauchemar à transporter. J’ai évité de trop y penser, même si d’un autre côté je n’ai pas besoin de l’intégrale de Badfinger alors que je n’écoute que deux de leurs albums. Je me suis fait à l’idée que je n’avais pas besoin d’être un complétiste. Avoir les meilleurs albums est suffisant. Ça a été une libération. J’ai dû en vendre d’autres depuis notre arrivée car je n’ai pas réussi à trouver un travail. J’espère ne pas arriver à 75 ans et me mettre à pleurer car je n’ai plus l’intégrale de Badfinger (rire). De toute façon je ne joue plus trop mes disques pendant la journée car ça énerve tout le monde.
Tu sors des raretés sur Bandcamp. Est-ce important pour toi de garder un contact régulier avec les fans ?
David Christian : C’est récent car je ne savais pas vraiment que ça se faisait. C’est ma maison de disques, Tapete, qui m’a ouvert les yeux sur l’importance des réseaux sociaux. Mes labels précédents, comme Fortuna Pop!, s’en moquaient. Je suis parti de zéro. Pour être honnête, j’ai démarré Bandcamp car j’avais besoin d’argent. Par contre, je ne veux proposer que de la qualité, pas des fonds de tiroirs. J’y prends du plaisir, je m’amuse. J’ai eu l’idée d’une chanson sur Billy Childish et je suis allé jusqu’au bout. Je fais tout avec mon ordinateur. Je ne suis pas un expert, mais je fais de mon mieux. C’est dans l’esprit de ce que j’ai toujours réalisé : techniquement pas au top, mais je fais des efforts pour essayer. Si les gens qui me connaissent achètent quelque chose auquel je suis associé, ce ne sera pas une surprise pour eux.
Tu as même sorti un deuxième album solo il y a quelques jours sur Bandcamp.
David Christian : Oui, ce sont en partie des chansons que j’avais composées pour un deuxième album solo qui n’aurait sans doute jamais été sorti sur un label. Je fouille également dans le catalogue de Comet Gain pour proposer des raretés. Je vais probablement m’arrêter là pour l’instant car j’en ai sorti beaucoup en peu de temps. Je me suis replongé dans de vieux cd, et des enregistrements live. J’y ai pris du plaisir. Je suis content que les fans puissent les trouver quelque part.
Il n’y a pas de projet de sortir ces raretés de Comet Gain sur un format physique ?
David Christian : Si, beaucoup de gens me l’on demandé, et Tapete va sans doute s’en occuper. Il y a beaucoup d’autres idées de projets en cours : ces inédits de Comet Gain, un album de sessions radio. Si on me demande de faire un deuxième véritable album solo, je n’hésiterai pas. J’essaie d’avancer mois par mois pour concrétiser ces idées. Je ne veux pas trop planifier, ça finirait en désastre. C’est plus fun de voir ce qui va se passer au fur et à mesure.
Jouer en live ne te manque pas trop ?
David Christian : La réponse n’est pas facile. Ça a toujours été compliqué avec Comet Gain. Réunir tout le monde en même temps est un casse-tête. Nous n’aimons pas répéter. Il y a donc toujours cette crainte avant de monter sur scène que ça soit pourri. Sans compter que la moitié du groupe sera complètement bourrée. Nous jouons surtout à Londres alors que nous avons des propositions plus aventureuses à l’étranger. Mais nous n’avons jamais eu de manager et personne dans le groupe n’est suffisamment organisé pour gérer tout ça. J’ai reçu des mails auxquels j’ai oublié de répondre. Je pense que nous n’avons pas réalisé 70% des demandes de concerts. J’ai parfois quelques regrets. Les raisons étaient souvent stupides. J’ai régulièrement l’impression que nos concerts sont mauvais parce que je fais des erreurs. Pourtant les gens me disent qu’ils ont adoré nos prestations. J’arrive malgré tout à m’amuser en jouant en live. Je préfère avoir des incertitudes avant de monter sur scène, plutôt que de jouer nos chansons note pour note. J’ai toujours détesté ce genre de concert. Je préfère parler de n’importe quoi pendant dix minutes au micro avant de me lancer dans une chanson qui a des risques de ne pas fonctionner en live. Nous avons un batteur et un bassiste suffisamment solides pour nous lancer sur un coup de tête dans une chanson jamais jouée sur scène avant. En solo, je n’ai pas cette sécurité.
Dans le selectorama que tu as compilé pour Section 26 tu parles de ton amour des TV Personalities. Quels sont les autres groupes qui t’ont profondément marqués dans ta jeunesse et pourquoi ?
David Christian : Un de mes premiers souvenirs remonte à mes 13 ans. Je me trouvais dans un marché aux puces avec 50p dans ma poche. Je voulais absolument acheter un disque. Je suis tombé sur un best of de The Byrds qui avait une pochette horrible. Il m’a semblé reconnaître le titre Mr Tambourine Man, que ma mère avait dû jouer. Je suis reparti avec. Et j’ai bien fait car le son des guitares et des harmonies m’a laissé bouche bée. J’écoutais chaque titre en boucle pendant trois jours avant de passer au suivant. Il n’y avait rien à jeter. J’ai aussi eu une période The Jam, même s’ils étaient trop machos et masculins. C’était pour moi un croisement punk entre The Beatles et The Who. The TV Personalities ont eu plus d’impact sur moi car ils étaient comme The Jam au niveau de l’imagerie 60’s, mais sans le côté macho. J’ai aussi adoré The Style Council, le second groupe de Paul Weller. Il a assumé sa part de féminité avec cette formation. Orange Juice, les Dexys, The Specials m’ont aussi marqué, sans oublier The Teardrop Explodes, qui était le premier album que j’ai acheté. A part les TV Personalities, tous étaient dans charts et faisaient de la musique joyeuse. D’où mon attachement particulier à Dan Treacy. Je pouvais m’identifier plus facilement à ce groupe parce qu’il était obscur. Ecouter les TV Personalities était comme recevoir un câlin de la part d’un mec aussi bizarre et timide que moi. Quand les Smiths sont arrivés, je n’avais plus besoin d’un autre groupe qui me comprenait. J’avais déjà le mien.
Revenons à ta nouvelle vie en France. Es-tu un amateur de la culture française ?
David Christian : Mon français est encore mauvais car ma femme et mon fils me parlent en anglais. C’est un peu comme avec la guitare, j’ai appris seul et très lentement (rire). Ça me limite un peu, mais pourtant j’adore la littérature et le cinéma français. A juste titre, vous accordez une grande importance à la culture et à votre patrimoine culturel. Ici personne ne trouve ça étrange qu’un adulte lise une bande dessinée. Vous n’y prêtez sans doute pas attention, mais des choses comme les droits d’auteurs sont mieux gérés en France. En Angleterre, c’est une lutte constante. Les artistes sont mieux lotis ici. Et puis je suis tombé dans le pays idéal, car j’aime tellement me plaindre de tout que je me sens moins seul (rire). J’aime l’esprit de rébellion des Français. Si vous n’êtes pas contents, vous allez manifester dans la rue.
For Those We Met On The Way est disponible chez Tapete, les inédits de David Christian et Comet Gain sur leur Bandcamp. David Christian sera en concert à L’International dans le cadre du Paris Popfest le 22 septembre.