Climats #26 : Built To Spill, Hélène Ling et Inès Sol Salas

Photo : VDPJ

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Doug Martsch semble seul – plutôt, il suinte la solitude. Et c’est bouleversant de sentir cela chez lui, alors qu’il est la personne qui sait le mieux s’entourer au monde. Tenace paradoxe qui raconte assez justement Built To Spill. Ce groupe a ses mystères. Je me souviens, en lisant leurs différents line-up, me demander si tous ces gens existaient vraiment. Le batteur s’appelait Scott Plouf, le bassiste et le guitariste avaient des noms étrangement proches : Brett Nelson et Brett Netson. Sans parler du fascinant Tae Won Yu qui se chargeait des visuels…tout cela ressemblait à une vaste intrigue défiant le réel. Il y a, aussi, la puissante saveur des titres qui ne cessait de me fasciner : There’s nothing wrong with love ou le saisissant Keep it like a secret. Doug Martsch revient avec un nébuleux When the wind forgets your name. Toujours poétiques et définitifs, les albums de Built To Spill font honneur à leurs titres. Ce nouveau disque est une offrande bienvenue. Doug Martsch est allé au Brésil piocher quelques musiciens dans un groupe de jazz psychédélique nommé Oruã. Il en retire de parfaits accompagnateurs qui ne changent pas grand chose à l’identité sonore du groupe. Car Doug Martsch est seul à rêver son groupe et cela, pour toujours. Il chante les yeux fermés, se lance dans des séries d’accords inusités et possède une voix fragile et coupante à la fois. Sur scène, il présente ses nouvelles comètes mélodiques avec une sublime section rythmique composée de Mélanie Radford à la basse et Teresa Esquerra à la batterie. Ces trois là sont incroyables.

Elles sont un peu mon remède à la rentrée littéraire et signent un essai exigeant et terriblement clairvoyant. Hélène Ling et Inès Sol Salas proposent avec Le fétiche et la plume, une critique indispensable pour comprendre ce qui est entrain de se produire au sein même de l’horizon faussement serein du livre. Car si l’objet livre provoque des rituels et autres sacrements immuables, la métamorphose a bien eu lieu. Concentration du pouvoir de diffusion et de la densité éditoriale qui menace frontalement l’écriture et le récit du monde, poison des réseaux sociaux où le livre devient cet outil formaté, totalement inoffensif et vain. Le constat est amer. C’est souvent ce que je pense lorsque je vois ces piles de livres à lire débitées sur Instagram, postées fièrement…oui, le livre est devenu un bien culturel quelconque. Le bilan sombre de cet essai, reprenant la dignité formelle et discrète de Maurice Blanchot, ne désespère pas pourtant. Il incite à l’exigence, à la pudeur aussi. Des qualités assassinées par ces temps d’expositions permanentes, où l’on se doit de montrer sa lecture et de courir après une autre – encore et encore. Toute cette énergie dépensée pour rien ou pour simplement reproduire. L’illusion est grande et le danger de la mort de la littérature tout autant.


Le fétiche et la plume par Hélène Ling et Inès Sol Salas est disponible aux Éditions Rivages.
When the wind forgets your name par Built To Spill  est sorti chez Sub Pop, distribué en France par Modulor.

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