Bill Callahan, YTI⅃AƎЯ (Drag City)

Ce que je retiendrai du scoutisme, au-delà d’un paquet de nerfs, du savon noir, de l’odeur, à la longue écœurante, des feux de bois et de petites humiliations, c’est que le danger n’est jamais loin et qu’il faut rester à l’affût. Et j’avoue volontiers avoir baissé ma garde à propos de ce sacré Bill. Mais, bien au-delà du confort souvent majestueux que ses disques récents m’ont toujours apporté, la lassitude rentrant peu à peu en ligne de compte, vous n’avez pas idée de mon vrai métier, et l’ennui n’est pas forcément étranger à la félicité. Bien au-delà de ça, dans ces disques jolis, et loués unanimement par les professionnels de la profession, ô combien je m’ennuyais. Parfois, pas toujours (Apocalypse quand même), mais souvent. Mais je restais à l’affût, en vain mais pas toujours. Et aujourd’hui, me voilà bien récompensé.

Bill Callahan
Bill Callahan
Bill Callahan est enfin, bien qu’il y ait eu quelques précédents, sorti de l’ornière un peu trop confortable de sa fixation sur la niche et le repenti, sa volonté d’être un petit Leonard Cohen du riche. Mais ce n’est pas que ça, pas vraiment. Et c’est tant mieux. Parce que franchement, vous n’y pensez pas tous les jours mais moi souvent, et je sais que je ne suis pas le seul. Et ça ne date pas d’hier, cet homme sous couvert de rock américain sensible mais irrégulier a bien réalisé l’illustration d’un ouvrage France Loisirs, le couple et l’amour. Un des meilleurs dans le genre, sachez-le. Je parle de Bill, pas du livre. Des disques de Smog, surtout. On n’écrit pas des choses comme All Your Women Things, Your Wedding, Be Hit, A Hit, To Be Of Use, Your New Friend et surtout I Break Horses. Bill l’a fait pour nous. Et personne, pas même Leonard Cohen ou Lou Reed, ni même Bob Dylan n’a été aussi près de l’immense gouffre entre le vice et la tendresse qui sépare les gens qui s’aiment et puis ne s’aiment plus. Personne sauf probablement Pascal Bouaziz.
Callahan est un faux traditionaliste, un séditieux qui fait tout pour ne pas se faire entendre, ni remarquer mais franchement nous sommes quelques uns à l’avoir vu de nos yeux vus. Dans le sérieux et l’affliction géniale, Bill est Lou et pas encore un Léo, un Loup pour l’homme, une défaite permanente à la médiocrité, un sur Loup, un Hulk Reed, rien de moins.
À mesure des rides, Bill devient donc Lou, enfin le Loulou Ferrigno que Loulou aurait pu être s’il avait éventuellement décroché de son sympathique nombrilisme vain et exclusivement new yorkais. Lou Reed (t’avais la ref, j’ose espérer) a toujours finalement plus ou moins voulu faire un disque de free jazz à l’heure du thé. Un truc de pointe mais cool, un truc lettré mais pas trop. Le seul problème de Lou Reed c’est qu’après avoir libéré le rock il n’a jamais vraiment pu s’en libérer lui-même. On ne peut pas tout faire. Ce disque, Bill vient d’y penser, voire de le faire.

Bill Callahan c’est un peu l’inverse, la recherche sans hâte et souvent affinée d’un classicisme dolent, de la respectabilité en pantoufle. YTI⅃AƎЯ (à l’envers pour mieux rendre un éventuel hommage à Bowie, qui sait ?) c’est pourtant pas inintéressant. Voire mieux encore. Bill n’a jamais fait semblant. Quand il chante, il met beaucoup de tension et de spasmes inassouvis dans son visage, on hésite entre les élans du cœur et une constipation qui ne saurait être que passagère. Aujourd’hui, Bill relâche un peu sa position de sacristain, comme il avait commencé les obsèques de Smog sur Dongs of Sevotion, sur Bloodflow, ce moment où (au milieu de choses très sérieuses, entendons-nous bien) il arrivait à conjuguer ses contraintes et ses libertés. C’est exactement la même libération qui est à l’œuvre sur ce disque, plus de vingt ans plus tard. Mais sans forfanterie, sans frime, avec ce sens de la mesure qui n’est qu’à lui, et ceux qui ont patienté en savent l’immensité.
Ce disque, et je crois bien qu’il est génial, sortira le 14 Octobre.

D’ailleurs, ça tombe bien, c’est aujourd’hui.


YTI⅃AƎЯ par Bill Callahan est disponible sur le label Drag City.

3 réflexions sur « Bill Callahan, YTI⅃AƎЯ (Drag City) »

  1. Non, Étienne, non. Non non, je t’assure.
    Moi aussi j’aimerais bien, hein. Moi aussi il m’a cueilli à froid et chaud (je complète ta liste avec « Chosen One », « It’s Rough », « You Moved In », « Blood Red Bird », « Sweat Treat » et leurs soeurs), et moi aussi depuis et moi aussi depuis plus de vingt ans (Knock Knock) je me demande s’il va refaire un bon album. Il l’a fait une fois (Sometimes I Wish We Were An Eagle) et c’était absolument miraculeux, sur le coup comme rétrospectivement. Mais là, non.
    Alors repose ce verre et cette bouteille, bois un peu d’eau, voilà, et regarde: ce nouvel album est un solide bloc d’ennui bien flemmard, comme les huit ou neufs précédents. C’est triste mais c’est comme ça.

  2. sinon, si tu veux vraiment continuer à déblatérer inutilement, je te proposes le libre journal de Serge De Beketch sur Radio Courtoisie, bisou ma couille

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