Big Star est le groupe préféré de vos groupes préférés (The Posies, Teenage Fanclub, REM, The Replacements, Wilco, Primal Scream, The Bangles, Elliott Smith, etc). Comme Nick Drake ou le Velvet Underground à d’autres époques, la formation de Memphis est culte, avec ce que cela comporte de gloire et de tristesse. Pourtant, il est très facile de passer à coté de la beauté de Big Star tant leur approche a quelque chose de modeste et d’épurée. L’épiphanie ne viendra peut être pas à la première écoute, mais si vous aimez une certaine idée de la musique pop, elle finira fatalement par arriver. Nous vous gardons bien au chaud une carte de membre du fan club zélé.
Big Star est, en effet, le genre de formation dont la découverte vous donnera envie de harceler votre entourage pendant des semaines, des mois, voire des années. La musique du groupe américain touche à l’intime. Il est plus facile de se projeter dans une formation au talent sous-estimé qu’aimée de tous. Le génie des Beatles n’a pas besoin d’être défendu ; celui de Big Star, si. La carrière du groupe fut en dents de scie (problème de distribution, départ, etc) et ce, malgré le pédigrée de l’un de ses membres fondateurs : Alex Chilton. Star à l’adolescence avec les Box Tops, le chanteur a 16 ans quand The Letter devient un tube international (et depuis un classique des sixties). Sa voix rauque y fait merveille et convoque des chanteurs blue eyed soul tels que Joe Cocker ou Eric Burdon. Paradoxalement avec Big Star, Chilton adopte un timbre beaucoup plus doux, léger, voir fluet, loin du gosier rocailleux de ses pérégrinations adolescentes. Après le split des Box Tops en 1970, le chanteur entame l’enregistrement d’un album solo. Il se rapproche surtout de Chris Bell. Les deux traînent souvent dans les studios Ardent à Memphis.
Ils partagent un amour inconditionnel pour les Beatles. Chris Bell joue alors avec le groupe Icewater, également composé du batteur Jody Stephens et du bassiste Andy Hummel. Les quatre unissent alors leurs forces et entament l’enregistrement de #1 Record avec l’aide de John Frye (fondateur des studios Ardent) et Terry Manning. Pour le nom du groupe, les quatre garçons s’inspirent du lieu où ils font des pauses pendant leurs sessions, la chaîne de supermarché Big Star. Le disque sort en 1972 et reçoit un bon accueil critique mais malheureusement les ventes ne suivent pas, faute d’une bonne distribution de la part de Stax qui déposera d’ailleurs le bilan en 1975. Ce ne sera que le début des galères pour Big Star. #1 Record a heureusement traversé les époques. Des générations de copies en cassette, puis des rééditions, le disque a su trouver un fidèle public. En moins de quarante minutes, Big Star navigue entre chansons acoustiques et morceaux rock nerveux, posant les bases de la powerpop. La succession entre titres calmes et moments plus énervés pourrait initialement paraître un peu forcée mais elle suit aussi la répartition du chant entre Alex Chilton et Chris Bell. Les deux musiciens se partagent également la majorité de la composition en co-signant onze titres à deux, dans la tradition des partenariats à la Lennon-McCartney. Le bassiste Andy Hummel arrive cependant à placer l’étonnante et enjouée The Indian Song en fin de face A. En dehors d’un séquençage un peu cliché, #1 est une merveille dont nous aimons même les défauts. La qualité d’écriture est stellaire. Les morceaux acoustiques plairont même aux réfractaires de l’exercice. Thirteen est un trésor de délicatesse et une des meilleures chansons sur l’adolescence. Elle a toutefois tendance (comme September Gurls) à occulter la qualité générale de cet album. In The Street et la divine The Ballad of El Goodo portent ainsi tout autant la première partie du disque, vers de sacrées hauteurs. #1 Record atteint même les cimes avec un final somptueux. L’enchaînement Give Me Another Chance / Try Again / Watch the Sunrise / ST100/6 est d’une beauté irradiante. Il embrasse le sublime et la perfection. Si la musique est une forme de religion, alors Big Star est une révélation. Touché par la grâce, Big Star est un groupe en pleine possession de ses moyens, porté par deux génies trop méconnus. La suite sera malheureusement aussi chaotique que la distribution d’ #1 Record. Le groupe se sépare temporairement avant de se reformer (sans Chris Bell) et d’enregistrer un second chef d’œuvre (Radio City, 1974). Chilton et Stephens ouvragent ensuite à la création de Third/Sister Lovers. L’album, beaucoup plus sombre que les deux précédents, ne connaît une sortie commerciale qu’en 1978 (il existe une version promotionnelle de 1975). Les étoiles ne s’étaient pas alignées pour le succès commercial de Big Star. Il n’empêche, presque cinquante ans plus tard, des nouvelles générations de passionnés de pop continuent de découvrir l’inouï #1 Record, passerelle vers beaucoup d’autres albums, vers la réévaluation des années soixante-dix aussi. Souvent associé à la powerpop, Big Star en contribue à en définir les contours, pourtant leur musique dépasse largement ce cadre et touche à une forme d’harmonie universelle.