Machines #8 : DX7, squatteur de la bande FM

Yamaha DX7

Souvent honni, le DX7 n’en a pas moins marqué les eighties à coup de rutilants cuivres plastiques et de pianos électriques aujourd’hui datés, mais particulièrement impressionnants vers 1983. Qu’il soit détesté (souvent pour de mauvaises raisons) ou adoré, le synthétiseur culte de Yamaha a complètement bouleversé le marché des claviers et indirectement la production de la musique pop de cette époque et ce, grâce à une nouvelle forme de synthèse, inventée quelques années plus tôt à Stanford… Il y a un avant/après DX7, et l’impact de ce clavier fut incommensurable. Essayons de comprendre pourquoi.

Yamaha

Yamaha GX-1, 1973

Face à d’autres sociétés japonaises du secteur comme Korg ou Roland, toutes les deux nées dans les années 60-70 grâce aux développement des orgues à transistors, Yamaha fait figure d’ancêtre. La compagnie japonaise née au XIXe siècle construit au départ des harmoniums avant de s’intéresser aux pianos au début des années 1900. Pendant la seconde guerre mondiale, Yamaha participe à l’effort de guerre en fabriquant des hélices. Après la capitulation, la société est portée par le boum économique des années cinquante et se diversifie notamment dans la moto. Son activité principale reste la manufacture d’instruments, notamment de pianos , elle est actuellement l’un des deux plus grands fabricants du domaine. Bien que plus âgée que ses consœurs, Yamaha ne rate pas le train de la modernité et développe des synthétiseurs analogiques dans les années soixante-dix. La société conçoit même l’un des premiers modèles commerciaux de synthétiseurs polyphoniques avec le GX-1 en 1973. Le fleuron de la compagnie dans le genre est incontestablement le CS-80 sorti quatre ans plus tard. L’instrument figure parmi les plus beaux synthétiseurs polyphoniques analogiques jamais produits, un monstre aussi bien en terme de prouesse technique pour l’époque, de prix que de poids ! Vous pouvez notamment l’entendre entre les mains de Vangelis sur la BO de Blade Runner ou des Chariots de Feu. Au début des années 80, Yamaha va prendre tout le monde à revers avec le DX7 sur la base d’une technologie en laquelle personne ne croyait jusqu’ici…

La FM dans les synthétiseurs

John Chowning, développeur de la synthèse FM

John Chowning développe au sein de l’université de Stanford les algorithmes de la synthèse FM dans les années soixante. La synthèse FM est une approche radicalement différente de la synthèse analogique et permet de créer des sons inédits et inenvisageables avec les traditionnelles ondes carré, scie, triangle etc. Les constructeurs américains tels que Hammond ou Wurlitzer ne montrent pas d’intérêt à l’inverse de Yamaha. Ces derniers signent un contrat d’exclusivité avec l’université américaine (qui leur rapportera énormément d’argent) pour dix ans et se mettent au développement d’un prototype de synthétiseur FM monophonique en 1973. Il est encore à l’époque difficile d’envisager un modèle commercial car les microprocesseurs n’ont pas la puissance nécessaire pour effectuer les calculs nécessaires au fonctionnement des algorithmes de la synthèse FM. En 1980 la firme japonnais édite enfin commercialement ses premiers instruments à partir de synthèse FM: le GS-1 qui sera notamment utilisé par Toto. Ce premier instrument se veut, comme l’était d’ailleurs le GX-1, orienté vers le musicien, lui offrant une lutherie assez classique et conforme aux attentes des pianistes. Le look du DX7 en prendra le contre-pied total ! Si Yamaha est un des premiers à entrevoir l’intérêt commercial de la FM, ils se font griller la priorité par le Synclavier (qui a acheté une licence à Yamaha) en ce qui concerne le premier modèle disponible commercialement (1978).

La singularité de la synthèse FM

FM signifie Frequency Modulation ou Modulation de Fréquence. Cette une technologie radicalement différente de la synthèse soustractive analogique classique. Dans cette dernière le principe consistait à générer un signal riche (avec une onde sonore avec beaucoup d’harmoniques comme une onde carrée) et à le sculpter en retirant de la matière (d’où le terme de synthèse soustractive). La FM est basée sur des algorithmes et est numérique, calculée à l’aide de DSP. Le principe en est assez simple : des formes d’ondes sinusoïdales (la plus simple qui n’a pas d’harmonique) modulent d’autres formes d’ondes sinusoïdales. Le nombre d’opérateurs et les algorithmes définissent la manière dont chaque onde peut interférer sur une autre onde. Par conséquent, en synthèse FM, il faut oublier des concepts comme celui du filtre ou de la résonance. La programmation est également beaucoup plus ardue qu’en analogique et les résultats souvent imprévisibles. Tout cela (coût technologique, difficulté de programmation etc.) peut donc laisser un peu circonspect sur l’intérêt de développer cette nouvelle forme de synthèse, pourtant sur un plan sonore elle surpasse en réalisme dans certains domaines la synthèse soustractive de très loin, d’où le succès énorme du DX7.

DX7

À sa sortie, en 1983, le DX7 fait un tabac. Il devient un best-seller avec plus de 200 000 unités vendues (1). Et pour cause, les sons ont un réalisme époustouflant pour un synthétiseur accessible aux musiciens. Certes, le sampling permet encore d’avantage de s’approcher des instruments acoustiques mais il est inabordable pour le commun des mortels (2). Le DX7 en comparaison offre une palette inédite dans un clavier transportable pour un prix très modique par rapport à la concurrence (14 000 francs à l’époque, tout de même). Les musiciens peuvent se déplacer avec pour les concerts. La clarté des sons, le brillant, des pianos électriques, orgues et des cloches hallucinantes (les percussions mélodiques sont le point fort de la synthèse FM), tout concourt à faire de l’instrument un tube instantané. Le son est souvent décrit comme cristallin voir métallique, cependant, la FM est aussi capable de sortir des basses bien groovy ou des cuivres délicieusement kitsch. Il va en tout cas devenir un marqueur important de son époque.

Phil Collins et le DX7

Les 32 presets de base (extensible grâce à des cartouches) vont être utilisés dans tous les succès des années 80, créant un son FM qui sera détesté dans la décennie suivante. L’interface brille aussi par son minimalisme et marque une rupture avec l’orgie de commande des synthétiseurs analogiques. En dehors de l’évident aspect financier, l’objectif est d’offrir au musicien un synthétiseur avec des presets prêt à l’emploi et où il n’est pas nécessaire de mettre les mains dans le moteur pour obtenir le son désiré. Par conséquent, le DX7 contribue à développer un marché d’éditeur tiers qui fourniront des patchs aux musiciens, ces derniers les entrant en tapant les commandes indiquées ou grâce aux Sysex. Il dispose de surcroît des toutes nouvelles prises MIDI, une innovation amenée à devenir le protocole standard des instruments de musique électroniques pour les décennies suivantes (3).

E. Piano 1

Le succès commercial du DX7 se traduit par son omniprésence dans les tubes de l’époque. À n’en pas douter, le preset E.Piano 1 est un standard des années 80. Cette interprétation du piano électrique est à la musique ce que serait les Reebok Freestyle ou les épaulettes à la mode de cette décennie :  inévitables et omniprésents dans l’inconscient collectif. Propulsant les slows guimauves, le preset est généralement associé à un piano acoustique pour former le combo maléfique du L.A. Piano. Si vous étiez ado dans les années quatre vingt, ce son vous rappellera à n’en pas douter des galoches – ou des râteaux si vous êtes plutôt la team banquette. Nous pourrions citer des dizaines d’utilisation du sirupeux preset, au hasard : One More Night de Phil Collins, Greatest Love of All de Whitney Houston, Hard habit to break de Chicago, Beauty and the Beast de Céline Dion, Funny How Time Flies de Janet Jackson, The First Time de Surface

Mais pas que…

Si l’E. Piano 1 peut rappeler de mauvais souvenirs aux ados qui écoutaient The Smiths dans leur chambre, le DX7 a bien plus d’un tour dans son sac. Très apprécié chez 4AD il apparaît régulièrement dans les disques de Clan of Xymox ou des Cocteau Twins. Les presets de basse furent très populaires, en particulier BASS 1 et BASS 2 de la banque interne et E. BASS 1 de la ROM 3A. Nous les entendons chez New Order (Bizarre Love Triangle / E. BASS 1), Janet Jackson (When I’m Think Of You ), A-Ha (Take On Me / BASS 1), , Kool and the Gang (Fresh / BASS 1), Berlin (Take my breath away / BASS2), Desireless (Voyage Voyage), Sandra (Maria Magdalena / BASS1), Partenaire Particulier (Partenaire Particulier), Michael Jackson (Smooth Criminal), Madonna (Who’s that Girl associé – layer – avec un minimoog), Rick Astley (Never Gonna Give You Up) notamment. Le piano électrique et les basses ne furent pas les seuls presets du DX7 à faire les bonheur des producteurs de l’époque. Nous retrouvons les marimbas un peu partout (Tchiki Boum de Niagara ou Axel F d’Harold Faltermeyer), les cuivres (Pas Toi de Jean Jacques Goldman), les cloches (Self Control de Laura Branigan / Tub Erupt ROM3A), les cordes (I Want to Break Free de Queen / SYN ORCH ROM2B) ou encore la harpe (Smalltown Boy de Bronski Beat) et bien d’autres exemples (4). Au delà des presets utilisés par tout le monde, des musiciens comme Brian Eno créèrent leurs propres patches et participèrent à démontrer l’étendue et les possibilités presque infinies de la synthèse FM et DX7. Nous pouvons notamment entendre la machine de Yamaha sur l’album Apollo: Atmospheres & Soundtracks de 1983.

L’après DX7

Le DX7 ringardise presque instantanément la synthèse analogique. Yamaha développe la synthèse FM à toutes les sauces dans la série DX et au delà. Les concurrents éprouvent de nombreuses difficultés à rebondir. Certains d’entre eux (5) sont mêmes rachetés par Yamaha ! Il s’en suit une période trouble mais passionnante pendant laquelle les marques concurrentes réagissent comme elles peuvent au DX7. L’influence sur les interfaces est évidente. Aux sliders et potentiomètres, succèdent des looks austères et minimalistes avec peu de contrôles en façade. Technologiquement, Yamaha ayant le monopole de la synthèse FM, les autres sociétés explorent des voies alternatives. Roland reste temporairement à l’analogique (Alpha-Juno, JX8P etc.). Korg s’intéresse à une synthèse hybride entre numérique et analogique (la série DW) tout comme Ensoniq (ESQ1). Casio, de son coté, développe une synthèse proche de la FM pour sa série CZ: la distorsion de phase. Il faut attendre l’arrivée du Roland D-50 (1987) puis du Korg M1 (1988) pour que le DX7 perde son trône. Ces synthétiseurs explorent une nouvelle forme de synthèse (numérique) rendue possible grâce à la baisse des coûts de la mémoire…

Le M1, réponse de Korg à Yamaha

Le DX7 aujourd’hui

Le DX7 arrête sa carrière en 1989 (pour la version II). La synthèse analogique fait un come back dans les années 90 suivi de la VA. Dans les années 2000, Native Instrument lance le FM7 (puis le FM8). Sans nécessairement être à l’origine de l’intérêt renouvelé pour la synthèse FM, elle contribue à réhabiliter un instrument qui a été largement dévalorisé à cause de son usage omniprésent dans les eighties. Récemment de nouveaux synthétiseurs FM ont été lancé. Yamaha a sorti un Reface DX, suivi par la Volca FM de Korg (compatible avec les presets du DX7 !). Aujourd’hui la synthèse n’est plus autant décriée par les amateurs et fait parti de l’arsenal à la disposition des producteurs de musique, autant pour ses qualités nostalgiques que ses possibilités en terme de création sonore (6).

Yamaha Reface DX

Notes

(1) Le top 3 a longtemps été Korg M1, Roland D-50 et Yamaha DX7. Comme nous le disions dans le texte sur le MicroKorg, il ne serait pas étonnant que ce dernier les dépasse désormais grâce à sa longévité (presque 20 ans !) et son succès non démenti au cours des années. Pour le DX7 nous trouvons plusieurs chiffres allant de 160 à 200 000 exemplaires. À titre de comparaison le Minimoog ou la TR-808 c'est moins de 15 000 unités !

(2) Si aujourd'hui les musiciens recherchent à travers les synthétiseurs des textures spécifiques, historiquement il n'en était rien. L'objectif premier des synthétiseurs (et encore avant des instruments électromécaniques) était de s'approcher le plus possible des instruments acoustiques qu'ils imitaient. Bien sûr, les musiciens s'éloignèrent pour certains de ces standards mais la pratique majoritaire était belle et bien d'avoir des pianos, cordes, cuivres réalistes.

(3) Le MIDI reste un standard en 2020. Ce protocole permet d'utiliser des instruments qui ont presque quarante ans avec du matériel moderne. Si le sujet vous intéresse, nous l'avions évoqué plus longuement dans l'article sur l'Atari ST.

(4) Nous vous recommandons de consulter cet excellent site.

(5) Il s'agit de Korg et Sequential Circuits. Notons que le succès du M1 permettra à Korg de redevenir indépendant, tandis que Dave Smith travaillera pour Yamaha et Korg avant de pouvoir aussi récupérer sa marque en 2015.

(6) Pour les musiciens, il existe une version gratuite virtuelle qui est compatible avec les patches originaux intitulée DEXED. Il existe également une émulation un peu plus sophistiquée (mais aussi compatible avec les sysex) chez Arturia.

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