Warpaint porte dans ses inflexions mélodiques le soleil et le sable californiens, Warpaint flirte avec des amoureux people s’appelant Chris Cunningham, Josh Klinghoffer, John Frusciante ou James Blake, mais si Warpaint balance de prime abord des paillettes à la sauce hollywoodienne, le groupe ne doit son succès qu’à sa musique subtilement élaborée et repoussant sans cesse ses limites hippie-easy listening ; il faut savoir tendre l’oreille et repérer les ralentissements et noirceurs mélancoliques d’une neo new-wave introspective et d’un rock shoegaze à la puissance voluptueuse.
Je me souviens avoir entendu la musique des quatre filles de Warpaint être étiquetée de soupe girly ; je n’en croyais pas mes oreilles. Les fleurs et les oiseaux peuvent sans doute aussi être qualifiés de soupe biologique passablement ennuyeuse. Je n’en croirais pas mes oreilles. Ulysse n’a qu’à bien se tenir et enfoncer ses boules Quiès un peu plus dans son conduit auditif car les sirènes de Warpaint ont encore pas mal de mélodies addictives dans leur sac.
Depuis The Fool en 2010 et jusqu’à Heads Up en 2016, les quatre musiciennes ont semé le trouble au pays évident du quatuor rock-basse-batterie-guitares-voix-et continuent leurs explorations sonores dans la mythologie du rock indé contemporain. Atalantes ou Érinyes, elles mènent leur barque, veillent à la course du soleil et défendent sans rougir la puissance de leurs désirs. Avec une composition fauchée en plein vol par deux années chaotiques, ce quatrième album s’est fait bien désirer. Nos dames ont retourné le destin en poursuivant tout simplement la vie et sa temporalité-bébé, projets musicaux, picturaux ou vestimentaires, bref du créatif en tout genre – la notoriété du groupe pouvait bien attendre encore un peu. Radiate like This vient finalement et encore un peu plus déstabiliser l’auditoire puisque c’est d’une certaine légèreté dont s’habillent cette fois les filles. La voix frémissante et vaporeuse d’Emily Kokal revendique sans trembler une joyeuse fragilité, vaste programme soutenu par la basse sensuelle d’une Jenny Lee Lindberg sautillante comme un feu follet, et appuyé par la guitare ciselée de Theresa Wayman, acolyte de Kokal depuis leurs débuts, et par la batterie assurée et impérieuse de Stella Mozgawa.
Les morceaux en contrastes de Radiate Like This créent une harmonie déroutante, une apparente et subtile évidence qui cache quelque chose d’insaisissable, touchant à son paroxysme quand les créatures chantent à l’unisson (Melting). C’est qu’au-delà de la notion de genre ou d’écologie personnelle, ce que me disent les quatre musiciennes fait écho à un daïmôn incarné, réceptif (Hips, Proof, Altar) et sans concession. Le son de Warpaint confirme et module sensiblement un rapport combiné d’étrangeté et d’homogénéité confondante. Résonance à la fois physique et poétique tant certaines évocations mettent en mémoire des vers tels que ceux d’Anna Akhmatova : Au seuil du printemps, il est certains jours…Où les arbres font un bruit gai et sec, Où le vent tiède est tendre et moelleux, Où le corps s’étonne de sa légèreté, Où l’on ne reconnaît plus sa maison, Où la chanson qui déjà lassait, On la chante avec émoi, comme neuve.
Être à l’écoute est une manière d’être au monde et ce que me disent les quatre musiciennes me parle de prières facétieuses, de mélodies délicatement distordues et de subtiles ruptures rythmiques. Poussant au paroxysme l’envoûtement (Send Nudes), elles convoquent l’érotisme lascif d’un Lujon d’Henry Mancini, morceau aux accents tropical à siroter sous un bananier comme on le trouvait déjà dans Go In, sur l’album éponyme Warpaint en 2014. Il y a certes un peu de Madonna dans Hard To Tell You, celle de Mirwais qui aurait fini par épouser Ciccone Youth plutôt que de s’étouffer de botox, il y a un peu de Stevie Nicks chantant Dreams, manifeste lacanien de l’être et de l’avoir, un peu du jardin anglais de PJ Harvey période Is This Desire. De désir, il est question, souvent, toujours. Trouble dit et redit son éternel retour et chante la vacuité d’un combat avec lui perdu d’avance, le passage en accords majeurs célèbre l’envolée de ses réminiscences, de ce que la mémoire nous restitue lors de l’expérience et de ce que nous pouvons en entendre, encore. Et si Champion et Stevie sentent bon l’ambre solaire, ont les mèches blondes délavées par l’océan et le gout du sel sur la peau, ce n’est que pour évoquer la joyeuse persistance d’une pop décalée et célébrer l’immensité du lien et l’infinie sollicitude que nous nous devons d’avoir durant notre danse commune.