Il est rare que les fans de musique pleurent la disparition d’un artiste n’ayant jamais enregistré la moindre note. C’est ce qui s’est passé fin décembre avec le décès du designer Vaughan Oliver. Ses pochettes de disques inventives, intrigantes, parfois dérangeantes pour les Pixies, Cocteau Twins, Lush et tant d’autres ont transporté les auditeurs dans un univers unique. Parfois plus que celui de la musique des artistes pour lesquels il travaillait. Section26 a voulu lui rendre hommage en recueillant les témoignages de quelques-uns de ses collaborateurs, amis ou fans. Autour de leur pochette préférée de Vaughan, ils évoquent pour nous des expériences de travail insensées, les traits de caractère bien marqués de l’un des plus grands graphistes de sa génération, ou simplement le choc de la découverte de son travail.
Martin Phillipps (The Chills) « Des visions merveilleuses et pleines de mystère »
C’est avec les visuels qu’il a réalisés pour les Pixies (particulièrement Trompe Le Monde), que Vaughan Oliver a d’abord attiré mon attention et m’a offert, comme à d’autres, des visions à la fois merveilleuses et pleines de mystère. Mais aussi frustrantes : chacun pouvait interpréter ces énigmes visuelles à sa façon, différente de la mienne mais pas moins valable. Et puis j’ai réalisé que c’était sans doute voulu, qu’à travers ses œuvres Oliver poussait les spectateurs à devenir eux-mêmes créateurs.
Phil King (Lush, Felt, The Jesus & Mary Chain) « L’artwork était attrayant, stimulant et pervers »
Ma mémoire est probablement déformée par un manque de recul, mais il me semble que le département artistique des bureaux de 4AD sur Alma Road à Wandsworth était au centre de tout. Au moins architecturalement, puisqu’il était situé sous des Velux qui diffusaient comme un bain de lumière. C’était révélateur, car le graphisme faisait partie intégrante de la philosophie de 4AD: quand on signait chez eux, on savait que c’était indissociable du label. C’était à la fois attrayant, stimulant et pervers. C’était aussi passionnant de se rendre dans leurs bureaux pour espionner leurs projets en cours. Vaughan et son assistant Chris Bigg étaient comme un sorcier et son apprenti. Cela dit, toutes les discussions sur l’artwork, comme celle que nous avons eue avec Lush pour la pochette de Split, se tenaient au pub d’en face. C’est l’endroit même où la photo de Surfer Rosa des Pixies a été prise. De toute la période pendant laquelle j’ai fait partie de Lush, Split est le seul album sur lequel Vaughan a travaillé. Des designers suggéraient des idées variées. Je me souviens d’une idée très forte lancée par Vaughan – nous étions sous le choc quand il nous a présenté la maquette avec quatre citrons. C’était tellement différent. Il nous laissait le temps de digérer son idée. C’était plus pour nous y habituer qu’autre chose. Mais c’était surtout pour nous laisser réaliser qu’il avait raison.
Comme le précisait Vaughan dans une interview, “Le plus important était de demander au groupe d’accueillir mes idées avec l’esprit ouvert, qu’ils soient réceptifs à la nouveauté et à la différence”.
Il y avait toujours un humour sous-jacent dans tout ce qu’il produisait – il le suggérait en gardant un air impassible, attendant votre réaction. Et la réaction venait toujours, car son travail n’était jamais banal ou ennuyeux. Plutôt que de vous autoriser à entrer dans une infime partie de son monde, il vous transportait dans sa constellation fascinante d’idées visuelles à l’infini.
Pascal Blua (graphiste) « Une source d’inspiration intarissable »
Début 1990. Nous sommes une bande d’amis, nous travaillons dans un studio de création que nous avons créé ensemble, rassemblés par une passion commune pour la musique indépendante et le graphisme. Ce studio, nous l’avons fièrement nommé Public Image Factory, comme un hommage à ce que nous rêvons d’être. C’est la musique et plus spécifiquement les pochettes de disques qui, pour ma part, m’ont amené ici; une passion qui, jour après jour, est devenue mon métier. Je suis autodidacte : ma formation, c’est mon regard. A l’époque d’un internet balbutiant, je lis la presse anglaise comme la bible, j’observe dans le moindre détail les pochettes de disques et surtout, surtout, j’ai les yeux rivés sur Londres. Mes héros s’appellent Jamie Reid, Neville Brody, Peter Saville et Vaughan Oliver.
Je ne sais plus trop bien comment nous avons acquis ce catalogue d’une exposition consacrée à une rétrospective (1988-94) des travaux de V23, le studio de Vaughan Oliver. Par contre, je n’ai pas oublié mon éblouissement la première fois où j’ai parcouru cet ouvrage. D’abord ce grand format, qui soudain envahit le champ de vision. Le papier est épais et lourd, l’impression sublimée par l’utilisation d’une encre métallique en 5ème couleur. C’est une explosion iconographique et typographique : les pages alternent les reproductions de pochettes, d’affiches, les mystérieuses recherches visuelles et les élégantes constructions typographiques. L’ensemble est ponctué de textes qui racontent les artistes, les pochettes, les collaborateurs… Je suis fasciné par le souci apporté au moindre détail graphique, l’utilisation du blanc, l’espace et l’équilibre de la mise en page.
Ce catalogue a laissé une empreinte indélébile en moi et je n’ai jamais cessé d’y revenir au fil des ans. Sans doute en partie pour y retrouver cet émerveillement, mais aussi comme une source d’inspiration intarissable, un ami fidèle que l’on garde près de soi comme un refuge. En 2017, je découvre que Unit Editions lance une souscription pour un ouvrage d’anthologie autour des archives de Vaughan Oliver. C’est un projet auquel je ne peux pas résister, l’irrésistible attraction d’une porte ouverte sur les recherches, les étapes de finalisation, les projets abandonnés, oubliés, refusés d’une œuvre graphique qui me fascine depuis 30 ans.
La force de la signature graphique de Vaughan Oliver est immédiatement reconnaissable et pourtant tellement insaisissable. Ses visuels et la musique des artistes du label 4AD ne font qu’un, comme indissociables. En ce funeste dimanche où Vaughan a fermé les yeux pour toujours, je me suis fait la promesse secrète de toujours garder les miens ouverts, capables d’émerveillement comme au premier jour.
Stuart Moxham (Young Marble Giants, The Gist)
Ma pochette préférée de Vaughan se doit d’être Hypocryte de Lush. L’image abasourdissante d’une bouteille d’eau sur un design clair et épuré. Et il serait “hypocrite” de ne pas vous avouer qu’une reprise d’un de mes titres figure sur cet EP ! (NDLR : Love At First Sight)
Simon Raymonde (Cocteau Twins, label Bella Union) « Tout partait de la musique »
Les pochettes que Vaughan a réalisées pour l’artiste Suédoise I Break Horses en 2011 sont si particulières qu’elles ne ressemblent à rien de ce qu’il a pu faire auparavant. Beaucoup de graphistes ont une forte identité visuelle, qui se reflète dans toutes leurs créations et qu’ils imposent aux artistes. Et pour être honnête, ça fonctionne souvent. Or si les idées de Vaughan était franches et pleines de conviction, il ne laissait jamais sa “marque” prendre le dessus quand il réalisait une pochette. Tout partait de la musique. Il essayait de comprendre les artistes et ce qui les stimulait.
Il a beaucoup écouté la musique d’I Break Horses avant de m’envoyer des idées par e-mail. Toutes tournaient autour du cheval. J’avais des doutes, cela semblait trop évident. Il a pris ma remarque en compte et est revenu avec quelque chose de différent, tout en me demandant de reconsidérer le thème du cheval et de le laisser travailler. Quand j’ai vu le résultat, je n’en croyais pas mes yeux. Il décrivait à la perfection le groupe et sa musique. La palette de couleurs ne correspondait en rien à ce qu’un autre designer aurait utilisé. Nous avions un EP du groupe à publier dans le même laps de temps. Depuis mon expérience avec Vaughan à l’époque où je faisais partie des Cocteau Twins, je savais qu’il pouvait créer un lien unique entre un album et un EP. Les deux vont tellement bien ensemble que lorsque des gens viennent acheter l’album d’I Break Horses dans notre boutique de vinyles, j’insiste pour qu’ils achètent également l’EP car ils doivent êtres vus et ressentis ENSEMBLE. Quand vous regardez une pochette de Vaughan Oliver, il y aura TOUJOURS suffisamment d’intrigue et de mystère pour qu’elle vous divertisse durant toute l’écoute du disque. Les couches de typographie, la mixture d’écriture à la main et de police de caractères uniques, les changements de couleurs subtils et cette superbe manière qu’il avait d’étaler le texte sur les deux côtés de la pochette… Vaughan était un maître en matière de design. Il n’en oubliait pas d’ajouter une touche d’humour pour autant. C’était parfois subliminal, à peine détectable, en dessous de la surface. Ses pochettes offraient aux artistes un côté mystérieux trop souvent absent dans les artworks actuels. Je vois tellement de designs avec une photo anodine. Il y a 20 ans, elles auraient fait office de photos promotionnelles, tout juste bonnes à envoyer aux services de presse.
Les pochettes d’I Break Horses pour l’EP Winter Beats et leur premier album comportaient ces dessins anatomiques de chevaux avec ses épingles autour de la silhouette qui faisaient penser à de l’acupuncture. Je n’avais jamais vu de telles couleurs sur une pochette avant ce jour. C’est pour cette raison qu’elles figurent parmi mes pochettes préférées de Vaughan.
JD Beauvallet (Journaliste, Les Inrockuptibles canal historique) « Cette esthétique précieuse, absurde, fulgurante »
Parfois, dans l’histoire du rock, des pochettes de disques tranchent tellement avec la routine, les habitudes prises de vieux couple qu’ils rendent la musique qu’ils habillent fascinante, mystérieuse. Avant même de l’écouter. La musique de Joy Division aurait-elle suscité telle obsession, telle fascination sans les armures pour elle inventées par Peter Saville ? On peut se poser la question en contemplant le cabinet de curiosités mi-macabre, mi-ludique assemblé par Vaughan Oliver pour la merveilleuse sortie de Monkey Gone To Heaven, immense chanson agrandie, déformée par sa pochette. La vieille esthétique du rock, au désespoir de ses bigots bigleux, allait se trouver fort démunie face à cette esthétique précieuse, absurde, fulgurante. On ne pourrait plus faire de pochettes-à-papa après tel souffle.
Mick Conroy (Modern English) « Une amitié et une relation de travail qui allait s’étaler sur quatre décennies »
En 1980, Modern English signe chez 4AD, récemment lancé par Ivo Watts-Russell. Quelques mois après la sortie de Swans On Glass, notre premier single, nous nous apprêtions à lui donner une suite. Pour sa pochette, Ivo a contacté un jeune graphiste. Son nom était Vaughan Oliver. Lors de notre première rencontre, il est arrivé avec son portfolio. Jusque là, Modern English avait déjà réalisé ses propres flyers et posters pour pour promouvoir les concerts du groupe autour de Colchester, notre ville d’origine. Nous utilisions régulièrement une photo de Diane Arbus : « Retired man and his wife in a nudist camp one morning, NJ 1963« . Lorsque Vaughan a ouvert son portfolio, il comprenait principalement du travail effectué pendant ses études d’art et quelques publicités qu’il venait tout juste de réaliser. Son style était audacieux. Il y avait des images d’ampoules électriques. Parmi le travail qu’il avait éparpillé sur le plancher, nous avons remarqué sa propre interprétation du couple de nudistes de Diane Arbus. Il n’avait utilisé que deux couleurs. Un rouge très sombre et du noir. Étrangement, il avait placé le gigantesque lion de mer de la photo originale en plein milieu du tapis situé dans le salon du couple. La coïncidence était indéniable. Nous avons immédiatement voulu collaborer avec Vaughan pour Gathering Dust, sa première pochette pour Modern English. A cet instant précis est né une amitié et une relation de travail qui allait s’étaler sur quatre décennies.
Vaughan s’est alors mis au travail sur notre – et son – premier album, Mesh & Lace. Il commençait tout juste à collaborer avec son meilleur ami, Nigel Grierson. Comme lui, il était originaire de l’est de l’Angleterre et venait d’emménager à Londres. Nigel prenait les photos, Vaughan gérait le design. Avec Mesh & Lace, il devenait très clair que Vaughan aimait la musique et qu’il s’intéressait à ce qu’elle pouvait raconter à l’auditeur. Il nous a demandé de lui envoyer des cassettes de nos maquettes et de nos répétitions. Il nous a montré des ébauches, des photos d’idées que lui et Nigel avaient accumulées. Vaughan avait une idée bien arrêtée de ce qu’il voulait, mais aussi de ce qu’il pensait dont nous avions besoin. Nous étions tellement jeunes que ça m’a impressionné. Un jour Vaughan m’a précisé qu’il avait été “formé visuellement”. Il me racontait n’importe quoi, mais avec un grand sourire. Il a toujours été quelqu’un de drôle.
En deux ans, le nombre d’artistes signés par 4AD s’était développé. The The, Cocteau Twins, Colourbox et The Wolfgang Press. Vaughan était devenu le premier employé embauché à plein temps par Ivo et 4AD. C’est arrivé en même temps que le déménagement de leurs locaux à Wandsworth, au sud de la Tamise. Le label a continué à recruter de nouveaux groupes. Lush et plus notablement les Pixies, pour qui Vaughan réalisera ses pochettes les plus célèbres. Après avoir quitté 4AD, nous sommes restés amis avec avec Vaughan. Quand nous sortions un disque, nous lui demandions systématiquement de réaliser sa pochette. Sa réponse était toujours la même : mais qui d’autre voudrait le faire ? Vaughan était toujours expressif et plein de surprises. Quand je lui ai annoncé qu’un de nos albums allait s’appeler Pillow Lips, il est resté silencieux puis il a collé sa langue dans mon oreille. Il m’a dit : la pochette ressemblera à ce que tu viens de ressentir. Fin 2019, Modern English a acquis les droits de l’intégralité de son catalogue pour le marché américain. Pour des raisons que nous ignorons, on nous a dit qu’il serait impossible d’utiliser les pochettes d’origine pour les rééditions. C’était une excuse parfaite pour collaborer à nouveau avec Vaughan. Nous lui avons demandé de revisiter l’artwork de nos trois premiers albums avec 4AD, Mesh & Lace, After The Snow et Ricochet Days. Le 6 décembre 2019, les deux premiers sont sortis. Les pochettes étaient bien entendu superbes. Vaughan y a placé des références subtiles aux originaux publiés il y a plus de trente-cinq ans. Nous avions demandé à Vaughan que tout soit prêt pour Ricochet Days avant la mi-2020.
J’ai reçu un e-mail adorable d’Ivo le 29 décembre, quelques heures après l’annonce du décès de Vaughan. Il me disait que Vaughan avait commencé et terminé sa carrière avec Modern English. La boucle était bouclée.
Nous avons perdu un ami, un innovateur, un génie qui nous a appris à observer, à penser et à rire de tout.
James Leesley (Studio Electrophonique) « Toujours écouter un disque en regardant sa pochette »
Frank Black (Pixies) « L’apparence, l’odeur et la sensation des choses »
Vaughan est l’artiste grâce auquel notre voyage artistique a commencé. Lorsque nous avons vu la maquette de la pochette de Come On Pilgrim, nous avons quitté nos jobs et plus jamais regardé en arrière. Il a réalisé toutes nos pochettes depuis ce jour. Il était moderne, éduqué mais avec un côté très primitif : il aimait l’apparence, l’odeur et la sensation des choses. Il le montrait d’une manière que personne d’autre n’arrivera à exprimer. Il le faisait avec éloquence, du fin fond de l’atelier qu’était son âme.
Jay-Jay Johanson « Regarder l’artwork suffisait »
C’est grâce à Vaughan Oliver que j’ai, pour la première fois, acheté un disque juste pour sa pochette. Regarder l’artwork suffisait. La musique ne pouvait être que formidable. Elle l’était toujours. Ses images sombres, bizarres et belles, combinées avec une typographie délicate et brutale ont eu un impact incroyable sur l’adolescent que j’étais.
Mes pochettes préférées sont :
Cocteau Twins, Pearly – Dewdrops’ Drops (1984) (The Spangle Maker)
Cocteau Twins, Aikea Guinea (1984) (La pochette a des similitudes avec celle de Peter Saville pour le Love Will Tear Us Apart de Joy Division)
David Sylvian, Let the Happiness In (1987) (NDLR : Qui n’est pas sur 4AD – extrait de l’album Secrets of the Beehive)
Siggi Kinski (GusGus) « Collaborer avec lui relevait de l’expérience multidimensionnelle »
C’était un grand privilège et un grand honneur d’avoir l’opportunité de travailler avec Vaughan Oliver. Un homme au talent unique et au caractère inoubliable.
Gus Gus a choisi de signer avec 4AD pour leur intégrité et leur envergure. Nous n’avions pas réalisé l’importance du rôle de Vaughan dans la vision artistique du label avant de le rencontrer. Tout a pris sens quand nous sommes arrivés au bureau d’Alma Road. Le studio de Vaughan était au milieu de l’espace. Il donnait l’impression que l’âme du label émanait de son espace de travail. Vaughan était quelqu’un de doux, outrageux, humble, sauvage, adorable et complètement imprévisible à la fois. En permanence. Je n’ose imaginer à quel point il a dû être complexe pour lui de travailler avec neuf islandais imbus d’eux-mêmes et à l’ego démesuré. Il l’a fait avec grâce, entouré de ses anges Chris Bigg et Paul McMenamin.
Il était fascinant d’écouter Vaughan sur ce que la musique lui inspirait. On pouvait sentir un amour sincère et beaucoup de respect pour la musique. S’il était intensément drôle, il y avait toujours une profonde intensité sous-jacente et un amour authentique de l’art qui semblaient l’animer. Collaborer avec lui relevait de l’expérience multidimensionnelle.
Lorsqu’il est venu nous rendre visite en Islande avant la sortie de Polydistortion, Vaughan se présentait comme le “lécheur de timbres de Siggi”. Le message était clair : arrête d’interférer avec mon travail.
Malheureusement, je pense que nous aurions dû le laisser tranquille et lui faire confiance pour quelques idées que la majorité du groupe trouvait banales au premier regard. Je reste convaincu qu’il avait une vision que nous n’avions pas. Nous sommes passés à côté de grandes réalisations.
J’ai aimé sans exception tout ce que Vaughan a réalisé pour GusGus. Chaque fois que nous recevions un nouvel artwork, nous vivions une expérience excitante, un voyage palpitant dans l’inconnu. Un jour, il nous a présenté une magnifique photo abstraite. Alors que je la regardais, il m’a dit d’un ton très sérieux : « ce que j’aime avec cette image, c’est qu’elle me fait penser à du sperme sur une cuisse, recouvrant une paire de jeans ».
Une autre fois, il nous racontait une session photo qu’il venait juste de réaliser en forçant un de ses testicules dans un petit trou sur un grand carton. L’idée était d’avoir un gros plan artistique et abstrait d’un seul testicule. Et puis son testicule a commencé à enfler. Il a réalisé qu’il n’arriverait pas à le faire sortir si quelqu’un ne le poussait pas de l’autre côté de l’immense carton. Il implorait de l’aide mais personne ne voulait toucher son testicule ! Écouter Vaughan me raconter cette histoire est probablement une des choses les plus drôles qu’il m’ait été donné d’entendre.
Je me souviens à quel point il était frappant de découvrir l’artwork qu’il avait réalisé pour les singles de Believe, notre toute première sortie pour 4AD. Vaughan nous a tirés vers le haut avec ses designs. Il nous a aidé à nous identifier plus clairement en tant que groupe à l’époque. J’ai l’impression que notre amour-propre s’est développé à travers le respect qu’il nous apportait en nous offrant son énergie, son cœur et son talent. Merci Vaughan, nous souvenirs de toi sont précieux. Repose en paix.
Chris Bigg (graphiste et ami) « Attendre qu’un accident nous mette sur la bonne piste »
J’ai choisi de mettre ce projet en avant pour plusieurs raisons.
Notre société V23 venait de quitter le studio que nous avions à Battersea. Pour une raison ou une autre, nous sommes passés d’une équipe de quatre designers à deux, Vaughan et moi-même. C’était comme être de retour en 1989, quand je travaillais avec Vaughan dans les locaux de 4AD. Sauf que cette fois-ci, nous étions dans le studio de sa maison dans le quartier de Wandsworth à Londres.
Kim Deal des Breeders nous avait envoyé un fichier avec des photos qu’un des membres du groupe avait pris aux alentours de sa maison à Los Angeles. Elle nous a demandé d’en faire quelque chose de sale sans utiliser d’ordinateur. L’album Title TK avait été enregistré en analogique. Nous avons commencé à découper les images, les photocopier, sur-imprimer… Et pour rester dans cet esprit très « analogique », Vaughan a suggéré de casser notre scanner et de voir ce que le résultat pouvait donner ! C’était typiquement Vaughan : ne pas dépendre de ce que la technologie nous impose, partir de rien et attendre qu’un accident nous mette sur la bonne piste. Après avoir exploré des pistes d’une façon chaotique, Kim Deal est passée nous rendre visite. Rapidement, cette pochette est devenue une collaboration entre nous trois. Je crois que c’est l’unique fois où un artiste s’est impliqué dans un travail pour sa pochette. Kim a suggéré que nous utilisions du papier aluminium pour bousiller ce pauvre scanner qui n’était déjà pas loin de rendre l’âme.
Le résultat était surprenant, sombre, urgent et excitant. Le lendemain, nous avons commencé le travail sur les différents formats de l’artwork. Cela nous a pris une semaine entière. C’est à ce jour mon projet et ma collaboration préférée, particulièrement le single 10” Off You pour lequel Kim avait suggéré une impression sur un miroir. Vaughan lui a répondu que c’était impossible, mais que nous pouvions utiliser du carton miroir ! Le résultat est épatant, aussi bon que la chanson de Kim. C’est d’ailleurs la chanson que j’ai mise dès que j’ai appris le décès du grand homme.
Miki Berenyi (Lush, Piroshka) « Captivant, inspirant et extrêmement drôle. Sérieux mais jamais pompeux«
C’était notre premier enregistrement pour 4AD. J’aimais tout ce que Vaughan faisait, mais c’était une première pour nous. J’étais enthousiaste à l’idée qu’il crée une pochette pour Lush. Nous avons nommé ce mini-LP Scar après avoir vu l’artwork. Les rayures descendant le long de la pochette nous ont inspirés. J’adorais le fait que Vaughan ne triche pas avec le côté sexuel de notre musique, mais il le faisait ressortir de façon subtile, pas du tout grossière. Quand j’ai vu la pochette vinyle pour la première fois avec son intérieur rose sur lequel figurent les photos de deux cartes de langage japonaises (ou chinoises ?) avec les mots “langue” et “grande sœur”, je n’ai pu m’empêcher de froncer les sourcils. J’ai tout de suite pensé à un vagin et un cunnilingus. Il m’a regardé avec son air le plus innocent, comme si c’était moi qui avais les idées mal placées ! Il avait tout compris de Lush. Nous avions un côté innocent, mais pas que. Nos chansons étaient un mélange de voix douces et de griffures profondes, particulièrement dans les paroles. Elles avaient un côté sale et contenaient des jurons. La pochette de Scar représentait tout cela. Des couleurs subtiles, des égratignures, des images de jeunes filles et des obscénités coquines. Je l’ai croisé pour la dernière fois il y a quelques années. Son travail était exposé dans une université à Epsom. J’y étais pour assister à une conférence qu’il donnait à ses étudiants sur son travail. C’était captivant, inspirant et extrêmement drôle. Sérieux mais jamais pompeux. Comme Vaughan lui-même.
Une réflexion sur « Vaughan Oliver par ceux qui l’ont aimé »