Valentina Magaletti & Yves Chaudouët, Batterie Fragile (Un Je-Ne-Sais-Quoi)

1. La semaine dernière, je suis allé voir Institutrice en concert. Eric Bentz et Jean-Baptiste Geoffroy, tous les deux pensionnaires de la bruyante Colonie de Vacances, développent un jeu exigeant de percussions sur toutes sortes de bols, casseroles et accessoires en métal étendus devant eux sur un tapis de mousse. A la fois ludique et sportif, leur duel consiste à déclencher leurs motifs dans des décharges extatiques, à l’unisson imparfait (j’imagine) qui malgré leur virtuosité crée ces micro décalages où se loge ce qu’on aime bien : accidents, imperfections, anfractuosités dans lesquels se loge notre imaginaire (bien aidé aussi par leur dispositif de retraitement électronique en direct, mais je laisse ça de côté aujourd’hui). Le bon gros cliché du voyage nous attend en embuscade, certes, mais tant pis : de l’Afrique à l’Indonésie, on est bien obligés de se laisser attraper par ce qui est irréductible à la musique, le rythme qui nous possède le reptilien en deux coups de cuiller à pot (au sens littéral ici).

2. Je m’étais dit que je ferais la chronique de Cohortes, l’album d’Institutrice paru en 2021, mais vous savez ce que c’est, le temps passe trop vite, on passe au disque suivant et on oublie. D’ailleurs le remède, ce sont les concerts qui fixent bien les choses dans la tête en complément parfait au disque. Monsieur découvre le fil à couper le beurre.

3. Et puis tiens, Cohortes est sorti sur la maison de disque Un Je-Ne-Sais-Quoi, de Tours où sont installés aussi une autre maison de disque, Another Record – sur lequel je prépare un dossier pour Groupie – et un artiste Biga Ranx, que j’aime beaucoup, je l’avais écrit ici. Une ville bien active dans ma géographie perso.

4. Un Je-Ne-Sais-Quoi qui a édité il y a peu, et cette fois, je n’oublierai pas, des enregistrements tournés aussi sur les pratiques rythmiques : Batterie fragile, qui annonce la couleur puisqu’il s’agit d’un projet qui saute à cloche pied entre l’art contemporain et la musique contemporaine. D’un côté Yves Chaudouët, artiste-artisan pointu, imagine et crée une batterie de porcelaine. De l’autre, Valentina Magaletti, une musicienne compositeure également incisive (elle a joué pour Nicolas Jaar, croisé les gens de Can) joue sur ces percussions déviantes.

5. Au programme, polyrythmies libres, motifs nombreux et précis, changements de tempo, jeux avec les textures (la batterie, sans doute frottée, couine littéralement), qui nous renvoie là aussi à des disques de percussions du folklore du monde, de jazz (ma seule référence, c’est le fameux M’Boom de Max Roach) ou au disque d’Institutrice d’ailleurs. On peut s’amuser aux symbolisme de l’œuvre aussi : ce symbole de puissance voire de virilité qu’est la batterie de rock se voit ramenée à une nature toute fragile et dérisoire. Mais c’est là toute la subtilité du propos – il me semble – l’ensemble ne sonne pas comme le service à thé de ta grand-mère malmené par ton petit neveu psychotique. Valentina Magaletti réussit à conserver la propriété motrice de son instrument, on est pas là pour jouer avec des balais quand même.

6. Très beau disque qui nous sort de nos habituelles obsessions couplet-refrain, paroles-signifiants, même si les musiques instrumentales font partie de notre entourage proche, faut pas exagérer : Roméo Poirier, Institutrice, et donc Batterie Fragile dans notre poche 2021-2022.


Batterie Fragile par Valentina Magaletti & Yves Chaudouët est disponible sur le label Un Je-Ne-Sais-Quoi.

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