Depuis vendredi dernier, le premier album solo de Tim Keegan, échappé alors de Departure Lounge – qu’il retrouvera des années plus tard –, est disponible sur les plates-formes d’écoute, dix-sept ans après sa parution originelle. Une sortie qui avait bercé pas mal de nuits plus ou moins blanches – et d’apéritifs pas qu’au vin blanc – dans les locaux de la RPM canal historique… Il faut dire que le garçon, que nous croisions alors parfois dans les rues de Paris, avait enregistré un disque sur (dé)mesure pour certains des membres (peut-être bien la majorité) de cette équipe faite de bric, de broc et plutôt de choc. Il y a toutes ces années donc, j’avais écrit ce texte au sujet de cet album que j’avais enfoui un peut trop profondément dans ma mémoire – et que je réécoute en boucle depuis trois jours maintenant, à tel point que je ne comprends pas pourquoi je l’avais ainsi mis de côté (les déménagements et les aléas de la vie n’expliquent pas tout). Aujourd’hui, débarrassé de certains tics et d’une passion pour les adverbes et adjectifs, j’écrirai sans doute complètement différemment au sujet de ce disque assez sublime, de ces chansons presque parfaites – mais je crois que j’essaierai de dire exactement la même chose…
Il est des gens dont on sait qu’ils ne pourront jamais nous décevoir. Question d’intuition. Il est des artistes qui comptent autant que des amis d’enfance. Alors, ils peuvent bien débouler à nouveau dans notre quotidien sans avoir le besoin d’avancer la moindre explication, même après être restés des lustres sans nous donner de nouvelles. Et nous d’éprouver cette étrange impression de s’être quitté la veille. C’était il y a cinq ans. Departure Lounge, groupe anglais écartelé entre Londres et Nashville, réalisait son deuxième véritable album, ironiquement intitulé Too Late To Die Young. Un disque qu’ici même, avec notre retenue légendaire, on qualifiait de classique. Un tour de force mélodique guidé par une pop raffinée et rêveuse auquel on offrait un aller simple vers notre Panthéon, où l’on avait réservé à ce quatuor une place de choix, pas très éloignée de The Go-Betweens, mais aussi de Moose, AR Kane et quelques autres ambassadeurs triés sur le volet d’une mélancolie bleutée, dont on n’arrive jamais à se lasser. Mais l’éloignement géographique des quatre comparses, ajouté à un cruel désintérêt de la part d’un public que l’on a eu alors l’envie de maudire, a fini par avoir eu raison des ambitions – nobles, les ambitions – artistiques de Departure Lounge. Qui a fini par imploser en plein vol. Depuis, on avait quelque peu perdu la trace de son leader Tim Keegan. On le disait à Memphis, et voilà qu’on le croisait à Paris, sur la scène de l’Hôtel du Nord, armé de sa guitare tout en bois en première partie de son copain Josh Rouse. On le signalait dans le XXe arrondissement alors qu’en fait, l’homme avait fait ses valises pour son Angleterre natale. La vie est ainsi faite…
De temps à autre, pourtant, nous parvenaient quelques informations rassurantes : Tim s’était décidé à s’échapper en solitaire. Alors, on guettait. Mais sans jamais ne rien voir venir… Et l’on s’était même résolu à se faire une raison. Jusqu’au jour où, enfin, l’on a reçu cet album en guise de carte postale. Une carte postale où Keegan s’épanche avec cette passion qui le caractérise depuis toujours. Avec cette magnifique vulnérabilité aussi, qui donne à des mots que l’on sait sincères un peu plus de poids. Et d’ampleur. D’ailleurs, il a tellement de choses à nous raconter qu’il se demande bien Where To Start, joli prélude au piano annonçant la couleur. Pastel, la couleur. Et légères, les mélodies, comme sur un Where The Flowers Grow magnifié par des violons tourbillonnants, qui évoque irrésistiblement le légendaire Everybody’s Talking de Harry Nilsson. On s’en doutait : le chanteur est toujours hanté par les mêmes obsessions et entre autres, celle de la pop song à l’allure débonnaire, apparemment futile et pourtant élégamment irrésistible, que l’on crève d’envie d’écouter et réécouter On A Good Day, quand rien ni personne ne saurait gâcher notre plaisir, quand on se surprend à siffloter, un sourire au coin des lèvres. Des pincements de corde comme autant de pincements au cœur guide un You Make Me Sad empreint d’une nostalgie contagieuse. Un sentiment que renforce l’attendrissant When Darkness Falls. Mais l’aube ne tarde pas à poindre à l’horizon et comme pour mieux apprécier cet instant où le temps se suspend, Tim se tait sur Morning Missed. Puisque le silence en dit parfois plus qu’un long discours. Et puis, les accents country de La Vie Normale, où se sont glissées quelques phrases en français, évoque l’image saugrenue d’un Gainsbourg aux origines texanes, quand Digging For Gold se love dans un groove lancinant et que From Up A Tree, en guise de conclusion panoramique, semble en dire long sur l’état d’esprit animant, une fois sa confession achevée, ce songwriter d’exception. Le moral désormais au beau fixe, Tim Keegan se prend à rêver à nouveau. Et nous avec lui. À rêver d’un peu de cette reconnaissance qui l’a jusqu’ici fuie. Et que les douze missives de Foreign Domestic devraient enfin lui apporter. Car, vous l’avez compris, ce disque est, par la force des choses, recommandé.