The Milkshakes, In Germany (Wall City Records, 1983)

Pour qui s’engagerait pour la première fois dans l’œuvre pléthorique de Billy Childish – plus de 100 albums publiés à ce jour ! –, il paraît difficile de savoir par quel bout commencer. Le plus simple reste de se procurer l’excellente compilation Archive From 1959 – The Billy Childish Story, comprenant une cinquantaine de titres du maître de Chatham, extraits des albums des innombrables groupes dans lesquels il n’a eu de cesse de s’incarner : The Pop Rivets, The Milkshakes, Thee Headcoats, The Buff Medways, The Musicians of the British Empire, Thee Mighty Caesars et j’en passe. Mais en guise d’initiation, rien ne remplace bien sûr l’écoute d’un album de Billy Childish dans son intégralité. Pour ma part, c’est avec In Germany des Milkshakes que j’ai connu mes premiers élans d’enthousiasme pour le roi du garage rock anglais, et ce disque me semble être une très bonne introduction possible à son œuvre.

The Milkshakes
The Milkshakes

Lorsque Billy Childish forme The Milkshakes en 1980, sur les cendres de son premier groupe The Pop Rivets, le monde vient d’entrer dans l’ère du succès massif de la pop électronique. Alors que les synthétiseurs s’imposent partout, que les punks eux-mêmes ne rechignent pas à se lancer dans la musique dansante, qu’on entend Fade to Gray de Visage en boucle à la radio, Billy Childish, lui, ne rêve que des Beatles et des Rolling Stones originels, écoute Bill Haley et Gene Vincent et ne jure en général que par le rock ‘n’ roll le plus primitif. Pour celui qui avait 18 ans en 1977 en Angleterre, et pour qui le punk n’était qu’une forme salutaire de retour à l’esprit du rock originel, toute évolution de la musique ne pouvait être qu’un funeste égarement. C’est tout juste si celle-ci existe encore à ses yeux après 1977. Manque de curiosité ? Purisme ? Dogmatisme ? Qu’importe ! Billy Childish n’a jamais tenu qu’à rester fidèle à l’esprit et au son des disques qu’il écoutait à l’âge de 10 ans. Contrairement à ce que pourrait laisser croire la pochette du disque – où le groupe pose dans un accoutrement d’un autre âge devant un avion du temps de la Seconde Guerre mondiale –, c’est bien en 1983, alors que triomphaient New Order, Madonna, Culture Club, Wham, Duran Duran et OMD que paraîtra ce fameux In Germany des Milkshakes. Pourquoi un tel titre ? Parce que cet album studio, pressé en Allemagne, se plaisait à surfer sur l’imaginaire de la période hambourgeoise des Beatles, ou plutôt des Silver Beatles comme ils s’appelaient alors.

The Milkshakes
The Milkshakes

Sur ce disque dans lequel on retrouve le son de guitare tranchant des Sonics en 1965 et l’âpreté des riffs des premiers Kinks, Childish et son groupe se font une joie d’aller complètement à contresens de l’histoire sans se préoccuper le moins du monde d’obtenir un quelconque succès commercial. Pourtant le disque ne donne à aucun moment l’impression de verser tristement dans le réchauffé ou le mimétisme creux. Au contraire, et c’est là toute le charme de cet album, on croirait être ici en présence d’un véritable groupe de l’âge d’or du Swinging London. L’authenticité du son, la qualité des compositions de Childish, la haute tenue des musiciens, dont l’exceptionnel Bruce Brand à la batterie, font que la magie opère et que le disque semble directement issu des sixties.

On peut aussi apprécier une certaine diversité dans les titres, qui vont de petites bombes kinksiennes comme She’s Some Kind of Girl, One Day You Die et Comes Along Midnight à des morceaux plus aériens et un brin psychédéliques comme la fabuleuse Love Can Lose et sa montée en puissance digne des meilleurs morceaux des Who, ou encore, dans le même registre, l’excellente I Need Lovin’. On peut aussi se délecter des accents surf de If I Get You ou de la tonalité lennonienne d’un titre plus posé comme Late at Night. L’humour ne manque pas non plus, notamment sur le très abrasif Sometimes I Want You For Your Money, sur lequel semble planer l’ombre de Link Wray.

Rien à jeter dans cet album, dont chaque titre s’écoute aussi facilement qu’on déguste un milkshake, et qui donne autant de plaisir immédiat que les premiers tubes des Beach Boys. Dans les innombrables disques qui suivront, Billy Childish perpétuera ce même esprit sans jamais sembler se lasser. Plus de… 40 ans après le premier album des Pop Rivets, Childish a d’ailleurs sorti l’an dernier un nouvel enregistrement inspiré du blues primitif avec les Chatham Singers, disque qui conserve intacte cette fraîcheur apparemment inaltérable dont il a le secret, comme si le temps n’avait absolument aucune prise sur lui.


The Milkshakes, In Germany (Wall City Records, 1983)

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