Martin Rushent a joué un rôle important dans la carrière de The Human League. Après le départ pour British Electric Foundation/Heaven 17 de deux de ses membres fondateurs, Martyn Ware et Ian Craig Marsh, le groupe enregistre Dare en 1980 avec l’aide du pétulant producteur. Sommé par leur maison de disques de sortir enfin des tubes, The Human League est dans une position délicate avec la démission de ses deux musiciens les plus expérimentés. Virgin leur suggère alors de travailler avec le chevronné Martin Rushent. Le CV de ce dernier est déjà conséquent : après des débuts auprès de Tony Visconti (T. Rex, Fleetwood Mac, ELP etc.), le bonhomme se fait une réputation chez United Artists en signant et produisant des groupes comme les Buzzcocks ou les Stranglers.
Martin Rushent ne ménage pas The Human League et pousse souvent ses membres dans leurs retranchements. De cette relation complexe naît le classique Dare, un des disques les plus vibrants de la synth-pop des années 80. L’album offre à Philip Oakey et les siens (Philip Adrian Wright, Ian Burden, Joanne Catherall, Susan Ann Sulley) une percée dans le mainstream bienvenu après Reproduction (1979) et Travelogue (1980), deux albums estimés mais au succès commercial modeste. Pris de passion pour le dub et les scratches fous furieux de Grandmaster Flash, Martin Rushent propose à Virgin et Human League de créer un album remix de Dare en réinterprétant ces techniques. L’idée ne séduit par forcément les intéressés, mais ils finissent par accepter. La proposition donne du temps à la formation de Sheffield pour écrire de nouveaux morceaux. Assisté de David M. Allen, le producteur coupe et découpe les pistes originales. Il travaille sans sampler (une technologie balbutiante à l’époque), uniquement à l’aide de bandes, d’une paire de ciseaux, d’effets et d’une table de mixage… Martin Rushent effectue ainsi plus de 2600 collages pendant le processus. Il semblerait que la bande envoyée pour le mastering pouvait dès lors se désintégrer à tout moment ! Pour éviter la confusion avec The Human League, un nom, hommage à l’orchestre de Barry White, est trouvé: The League Unlimited Orchestra. Virgin publie Love and Dancing en 1982. Sept des huit morceaux sont des versions étirées, largement instrumentales de chansons de Dare.
Le dernier titre (Hard Times) figure initialement sur la face B de Love Action. Enchainés comme les mixes disco sur le même tempo, l’ensemble forme deux longues plages. Les morceaux semblent ainsi ne plus avoir réellement de fin et se disloquer dans l’infini. Désossés, Martin Rushent les reconstruit patiemment, utilisant les voix avec parcimonie. Le résultat est pour le moins intrigant. Bien sûr, il n’égale pas la perfection pop de Dare mais ces remixes frappent aujourd’hui encore par leur modernité, et ce, malgré les moyens rudimentaires de l’époque. Love and Dancing convoque, en effet, ces édits que nous trouvons désormais régulièrement dans les bacs de disquaires pointus ou sur YouTube. Martin Rushent porte un regard différent sur une œuvre que nous pensions connaître sur le bout des doigts. Il la malaxe et la tord. Il ne se contente pas de juste retirer les voix. Parfois le résultat n’est pas si convaincant, mais à certains moments, la magie opère. Le disque met un pied dans le présent (synth-pop, les edits disco de Larry Levan, l’italo-disco naissante) et l’autre dans le futur (la dance music instrumentale comme la techno). Love and Dancing constitue, en tout cas, une véritable nouveauté pour l’époque. Le disque est généralement considéré comme l’un des premiers albums de remixes moderne, au coté de Non Stop Ecstating Dancing (Soft Cell) et Party Mix! (B-52’s). Les esprits les plus narquois n’y verront qu’un en-cas, pour occuper le terrain, entre deux albums de The Human League, ou une vile opération commerciale. La sincérité, l’ambition et la complexité de la démarche contrastent avec ces affirmations. Love and Dancing n’égale cependant pas les meilleurs moments discographiques du groupe de Sheffield mais il a ses qualités propres, un goût pour l’inédit qui le rend aujourd’hui encore très attachant. Il capte une partie des interrogations de son époque et les transforme en une matière singulière, précurseuse par certains aspects, de la musique électronique à venir.