The Ballet, Daddy Issues (Fika Recordings / Tenure Tracks)

Gay Nerd Band, tel est l’étendard sous lequel The Ballet défend sa jangly synth pop depuis 2005. Après Mattachine!, leur premier album autoproduit en 2006, puis Bear Life, paru en 2009 chez Tenure Tracks, suivi de I Blame Society, publié en en 2013 par Fortuna Pop!, et de Matchy Matchy, sorti via Fika Recordings / Tenure Tracks en 2019, les New-Yorkais Greg Goldberg et Craig Willse viennent de sortir leur cinquième album au printemps dernier, grâce à une nouvelle coproduction sur le même duo de labels. Et disons-le d’emblée : il s’agit sûrement d’un des meilleurs LP de 2023.

The Ballet
The Ballet

Avec Little Hands, le disque commence tout en douceur, par un clic-clac métronomique et des arpèges synthétiques oniriques, sur lesquels se posent une mélodie vocale digne des titres les plus inspirés de Stephen Merritt, avant d’évoluer à mi-chemin vers des sonorités rappelant l’atmosphère de Daisies of the Galaxy de Eels. Le morceau suivant, I’m on Drugs, séduit immédiatement par son dépouillement, ses sons de synthés stylés et cette voix neutre, sans manières, dont l’exigence mélodique suffit à provoquer l’émotion, autant d’aspects qui sont les traits caractéristiques de la musique de The Ballet. À l’écoute de la discrète mais pertinente partie de guitare, on croirait presque entendre Porl Thompson de The Cure période Wish. Vient ensuite Daddy’s Boy, bien jolie berceuse basée sur cette inoxydable suite de trois accords qu’on retrouve dans tant de bonnes chansons pop, notamment Words of Love de Buddy Holly. Avec A Married Men, on retrouve une ambiance à la Magnetic Fields, notamment au niveau des paroles cyniques à souhait, faisant sans vergogne l’apologie d’une relation extraconjugale : I know the virtue of monogamy/ Is to make possible infidelity/ I guess it makes it hotter/ My naughty little otter (précisions qu’en argot gay, ce terme désigne un spécimen entre le jeune homme et l’ours, au poitrail velu).

Two Boyfriends s’impose comme une authentique pépite pop, qui donne l’impression que Robert Smith aurait travaillé avec Stephen Merritt pout donner une petite sœur à Friday I’m in Love. Les paroles savoureuses Now I’ve got two boyfriends/ Which means I’m in trouble et l’apparition d’un synthé minimaliste de type Casiotone rendent ce titre encore plus délectable. Quant à At the Bathhouse – single officiel du disque , on peut franchement sortir les grands vocables et aller jusqu’à le qualifier de génial. Le caractère basique, hyper-artificiel de la musique, conjugué à une mélodie ligne-claire imparable, chantée avec ce ton légèrement désabusé, en font un tube absolu de synth pop qui appellera légitimement 25 écoutes à la suite.

Ici, on pense à Johnny and Mary de Robert Palmer, mais également, avec l’arrivée de la guitare lead, aux solos de basse magiques de Peter Hook au sein de New Order, lorsqu’il monte dans les aigus. On goûtera aussi la très appréciable suspension en milieu de morceau, qui rappelle le culte Homecoming de The Teenagers. On n’oubliera surtout pas de se pencher sur les paroles, en forme d’hymne jubilatoire et totalement décomplexé aux bains gays, qui furent longtemps – avant l’avènement d’Internet les seuls lieux de rencontre possibles entre homos. Cette ode hédoniste et insouciante à l’émancipation sexuelle et tout simplement à la liberté a par ailleurs donné lieu à un clip aussi formidable que drôle, admirablement réalisé par Al Blackstone et Aidan Gibney.

Avec la très belle The Fountain of Youth, l’atmosphère se fait plus aérienne et rêveuse, comme si le temps avait momentanément suspendu son vol. Comme si nous ne nous étions pas assez régalés jusqu’ici avec un nombre déjà conséquent de tubes, le disque se poursuit avec Eenie Meenie et ses subtils arpèges scintillants de guitare à la Johnny Marr. La simplicité et la légèreté jouissive du refrain à la mélodie enfantine, qui reprend le Eenie Meenie Miney Moe des cours de récréation équivalent de notre Am stram gram – pour le détourner complètement et narrer une histoire de coup d’un soir, fait de cette chanson un petit bijou pop faussement innocent. I Don’t Feel Like Dancing chasse à nouveau pour notre plus grand plaisir sur les terres des Magnetic Fields, avec encore une fois des arrangements d’une classe folle et une mélodie imparable.

Handsome Devil, un tantinet plus sombre, qui part d’une rythmique rappelant Depeche Mode, évoque l’absence assumée de repentance après une trahison : I broke the rules and I don’t care to repent/ Now I’m gonna get banned/ I didn’t learn anything. On appréciera le refrain basé sur un très efficace ralentissement de tempo et l’apparition finale de synthétiseurs qui ont fait la gloire des meilleurs titres d’Orchestral Manœuvres in the Dark. CumpDumpMike et sa petite ligne de vibraphone montre à nouveau le goût de The Ballet pour les berceuses. L’utilisation d’une guitare classique fait ici immanquablement penser à Jonathan Richman, ce qui ne peut bien sûr que nous réjouir. Bien qu’un peu en-dessous des autres plages du disque, les deux derniers morceaux demeurent d’une facture très honorable et clôturent dignement cet opus remarquable.

Daddy Issues s’impose donc d’ores et déjà comme un disque indispensable de cette année 2023, dont maints titres donnent envie de danser en faisant l’avion avec les bras, de s’adonner joyeusement à une session de air guitar et de air keyboards, et dont on aime les arrangements racés, les mélodies entêtantes et les textes provocateurs qui teintent cet album d’une dimension légèrement scandaleuse, offrant un contraste des plus heureux avec sa légèreté pop.


Daddy Issues par The Ballet est sorti sur Fika Recordings/ Tenure Tracks.

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