Stereolab en français dans le texte

Prévu le 23 mai, le retour du groupe bicéphale franco-britannique a quelque chose de rassurant pour les gens de ma génération, un groupe revenu de beaucoup de choses, l’underground des débuts, la mise en place de son propre vecteur de diffusion, la signature sur Elektra, les vents, les tournées interminables, les marées, les changements de personnel… Et puis Stereolab est devenu un pilier, écouté bien au-delà de ses cercles de départ, une référence signée 4AD, sur Warp (les pionniers des années 90 ont le choix, c’est ça ou Domino), une prestance et une constance dans des musiques à la fois pop et irriguées par toutes sortes de choses (musiques brésiliennes, allemandes, britanniques, avant-garde, library, easy, uneasy listening, passé, présent…). Laetitia Sadier et Tim Gane sont quand même à la tête d’une entité qui a fini par marquer son époque sur la longueur comme celles qui ont produit les disques qu’ils ont tant aimées et auxquelles ils n’ont jamais cessé de rendre hommage publiquement (ce qui a souvent rendu passionnants leurs entretiens en forme de discographie élective à chaque grande période du groupe). C’est l’équation très étrange qu’ils résolvent à chaque sortie d’ailleurs : faire entrer tant de vents nouveaux dans ces mêmes progressions d’accords qu’ils ne se lassent jamais de jouer.

Stereolab / Photo : DR
Stereolab / Photo : DR

Pour nous (et pas que, on se doute), Stereolab est aussi un grand groupe français, il est tant de le revendiquer tel quel, grâce à la voix et à l’écriture intuitive de Laetitia Sadier qui depuis les quasi débuts (premier morceau in French ? Allez les historiens, là !) s’est entêté à écrire dans sa langue maternelle, alors qu’elle aurait pu lâcher l’affaire, tant cela ne semblait pas apporter plus que ça à son groupe, sinon une étrangeté de bon aloi chez les anglo-saxons. Si évidemment elle convoquait les fantasmes exotiques (Françoise, Brigitte, France), on n’a pas l’impression que c’était pour ça, dans la forme en tous les cas pas. Mais elle a su en faire un instrument au service d’un non-conformisme aventureux, une boussole pour des chemins accidentés que Stereolab a toujours su emprunter, visiter, explorer en se moquant du qu’en-dira-t-on. Cette reformation – le groupe s’étant plutôt mis en pause que séparé d’ailleurs – nous comble bien sûr plus que tout autre.

En attendant la sortie dans quelques jours d’Instant Holograms On Metal Film qu’on couvrira ici, voici nos onze chansons favorites par le meilleur groupe français actuel, DONC.

11. Valley Hi! (2008)

« Le message est toujours le même, il faut observer les lois de la gravité »

Une voix moins ronde et plus blanche que d’habitude pour Laetitia qui emprunte des chemins mélodiques qu’on dirait dans la lignée d’Elli & Jacno (vers la fin) pour cette relecture courte du Mythe de Sisyphe, en toute décontraction. Clarté de la mélodie, espace dans les arrangements et les textures, du groop tout doux.

10. Brigitte pt. 2 (2007)

« Nous ne pourrons jamais combler qu’une infime partie de la vie des gens »

Démo minuscule qui en un tout petit peu plus d’une minute évalue le pouvoir modeste d’un groupe pop. Deux guitares, une basse, une voix placée très haut, quelque chose de très Spring, pour ceux qui se rappelle de ce collectif comète franco-britannique à la fois influencé par Felt et… Stereolab.

09. Low Fi (1992)

« S’il vous arrive de passer par là, inutile de presser le pas, attendez donc un peu »

Le son des débuts, saturation des guitares ou du Farfisa, riff en boucle, chœurs enchevêtrés, à la croisée du Velvet et du rock allemand répétitif, un style qui vient de naître devant nos yeux : Laetitia à la recherche d’un enfant aux cheveux d’or, son Petit Prince, peut-être.

08. Need To Be (2004)

« C’est la tentation d’être toute absorbée, de n’avoir plus à se soucier du temps de notre vie »

Le vaisseau spatial Stereolab plane dans les cieux de questions existentielles profondes. La double voix de la chanteuse (chuchotement / voix haute) ajoute à cette meringue délicieuse qui se décline en plusieurs parties. Le groupe est au sommet de sa pop spatiale, quasi touchée par la grâce, avec des paroles à la fois rêveuses, cryptées, magiques. Un guide de méditation résumé en 5 minutes, pour être tout au moment présent et lâcher prise.

07. Mellotron (1992)

« La sensualité, noyée dans la tendresse, est illimitée »

Ritournelle médiévale couplée à un moteur cybernétique, on pense bien sûr aux Silver Apples, Mellotron s’inscrit dans les débuts à la fois bornés – sans jamais se cacher d’ailleurs, le groupe étant le premier à révéler ses obsessions en interview – tout en ouvrant grand le champs des possibles. Y compris, textuellement, puisque Laetitia s’engage sur un chemin qu’elle a beaucoup travaillé au fur et à mesure, essayer de définir ce que sont les sentiments, les émotions, et ce que ça implique physiquement aussi.

06. Emperor Tomato-Ketchup (1996)

« Faire tomber, les écrans, du trompage »

Ne pas comprendre les mots alignés qui semblent sortir d’un traducteur détraqué, c’est le voyage, c’est aussi l’impression qu’on ressent dans ce tunnel assailli des swooshs des jerks de Pierre Henry. C’est aussi ça l’écriture de Stereolab, faire du français une langue qui swingue et qui résonne, une suite de sonorités qui font siennes le bruit, le son, au-delà du sens.

05. Tone Burst (1993)

« Ce souvenir vivra dans mes cellules quand tes yeux pénétrants rencontreront les miens »

Bourdonnement rassurant, rythmique à la cadence parfaite, ni trop rapide, ni trop lente, Stereolab encapsule l’époque en deux-trois accords de Farfisa et de guitares noisy pop. Dès que la voix fatiguée se pose, elle prend toute la place puis se dérobe dans ce bruit si amical. Perfection suspendue de l’instant, une boucle qui pourrait tourner à l’infini sans jamais lasser.

04. Vonal Declosion (2004)

« Ah, c’est un travail que cet amour qui fait souffrir, qui frustre quand on n’arrive pas a s’ouvrir »

La légèreté de l’ouvrage instrumentale foisonnant – ce jeu de batterie toujours le même, toujours différent, ces nappes de synthés volées à Saint Etienne, ces synthés sautillants – fait équilibre avec la désillusion du texte, ces interrogations sur un amour qui deviendrait impossible, du moins l’absence de communication, Stereolab sait souffrir avec classe et tout emporter dans une chanson pop légère, en apparence.

03. Transporté sans bouger (1994)

« Plus besoin de connaitre son voisin, le bouton de toute puissance, non plus besoin d’établir des liens, je fais l’amour a distance »

Mon refrain de Stereolab préféré, avec ce quelque chose de prescience, d’hyper sensibilité qui annonçait l’avènement des mondes virtuels, de l’internet et de toutes ses dérives existentielles. Superbe chanson pop, simple et entêtante, en même temps. Bingo.

02. Cybele’s Reverie (1996)

« Que faire quand on a tout fait, tout lu, tout bu, tout mangé, tout donné en vrac et en détail, quand on a crié sur tous les toits, pleuré et ri dans les villes et en campagne ? »

Peut-être ce qui s’approche le plus du grand classique de Stereolab : évidence de la mélodie, le collectif met toutes les pièces dans l’ordre, écriture classique, cordes chatoyantes, strates de sons, de chœurs, de chant, tout est à sa place, tout en gardant ce côté rétro-futuriste qui est devenue leur signature dorée, inimitable, infalsifiable. Laetitia y délivre aussi sa marque : beaucoup de questions, de doutes, de remises en questions, point de certitude assénée, de l’amour, de la rêverie.

01. Lo Boob Oscillator (1993)

« La lune est libre »

Steve Mack racontait récemment à l’arrière-magasin l’enregistrement de ce titre au destin improbable : l’obscur 45t du single club du label de Seattle Sub Pop en 1993 est devenu un incontournable générationnel, ciblé pour des synchro adéquates (série One Day, pub pour je ne sais qui) des années 2020, un bon placement, parfaite assurance santé-vieillesse (toujours penser à la santé de nos héros et héroïnes de jeunesse) pour Sadier-Gane, auteurs de ce magistral coup de maître post velvetien qui illumina – pour toujours – un soir un post ado, pendu derrière son poste de radio branché sur Bernard Lenoir, dans son 20 m2 strasbourgeois, renversé par la poésie simple et directe de Laetitia, « La lune est libre » et nous aussi, un peu plus.


Instant Holograms On Metal Film par Stereolab sortira le 23 mai 2025 chez Warp Records

Cet article est originalement paru cette semaine sur le site de Renaud Sachet, l’Arrière-Magasin, que nous vous conseillons fortement de suivre.

2 réflexions sur « Stereolab en français dans le texte »

  1. Je ne l’avais pas lu ce texte étincelant (c’était ma période STO en PACA), je le découvre à l’instant et je m’en régale Renaud (d’ailleurs j’ai prochainement un rdv chez Renault Stellantis, je vais leur proposer la Regal)

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