Sinaïve, Répétition (Antimatière)

Il n’y a pas si longtemps, j’ai réalisé avec tristesse et désespoir que je ne verrai plus jamais Sonic Youth sur scène. Cette pensée ne m’était jamais apparue aussi claire qu’avant ce jour fatidique ; était-elle due à mon âge avançant au même rythme que les regrets et les souvenirs ? Aux embellies printanières aux airs plus nostalgiques que jamais ? Ou à l’extrême acuité de conscience qui arrive avec les jours en ligne de mire diminuants ? Quoiqu’il en fût, il fallait se résoudre à ne plus jamais retrouver une telle intensité émotionnelle et énergétique, à ne plus jamais atteindre un tel climax d’évènement sonore. Puis, un matin, le son de Sinaïve est arrivé dans mes tympans usés et mon cœur de fan s’est mis à battre avec un retour de flamme inespéré.

Sinaïve
Sinaïve

Par surprise et petites touches, d’abord, avançant avec hésitation et méfiance, ce Super 45 T avait déjà tout pour séduire, mais la crainte d’être déçu par la suite invite à la prudence. Malgré cela, Sinaïve traçait son sillon dans mon inconscient à force de références et d’omniprésence, un morceau, Tabula Rasa, sur une compilation en circuit court, Strasbouge encore, de ce petit groupe, un concert à la fête de la musique devant le bar du coin, et oui, La StraSburg c’est d’ici, un enregistrement limite RSE dans les studios de la Compagnie Rodolphe Burger à Sainte-Marie-Aux-Mines et une diffusion sur le label si loin si proche d’une connaissance en rhizome, le nommé Antimatière, dont (notre collaborateur, ndlr) Renaud Sachet avait décidé de souffler à nouveau sur des braises restées incandescentes depuis 2002, typographié et ca(ta)ractérisé par le graphiste Harrisson.

La proximité physique et la familiarité du groupe, reformé en trio, allait sans doute abuser de mon cœur d’artichaut et mon scepticisme résistait de plus belle. Il fallait reprendre les écoutes, forcer le regard à la loupe, pour être bien sûre que le nouvel EP Répétition, six titres chantés en français, mix de pop noisy-shoegaze, était plus qu’un subtil jeu de séduction. En deux temps, trois mouvement, il en était fait de moi, faisant à nouveau partie de la Blank Generation, je me laissai troubler par cette belle énergie post punk, tombai à genou comme au temps de Reverence de Jesus and Mary Chain, me tordai les doigts sur leur manière de chanter Les Diaboliques, brillant des lueurs du Sturm und Drang, mon Döppelganger se réveillant au son de la guitare froide et du duo de voix sur Métier de vivre, s’agitant sous la puissance de l’ostinato, boucle rythmique et ses nuances crescendo contenues dans La Citadelle/Bis repetita évoquant un Revolution des Spaceman 3. Ravivée, je me disais que je ne l’avais toujours pas faite, cette révolution, que Galaxie 500 avait bien fait de reprendre et de porter jusqu’à nous le Don’t let our youth go to waste des Modern Lovers et qu’il faut veiller au grain jusqu’au bout. La maturité des guitares et le palimpseste de sons doctement référencés, le plaisir du texte et de la guitare électrique portés avec consistance, l’esthétique mid-eighties des visuels, tout me faisait retrouver ma densité métaphorique et ma substantielle vitalité.

Écoute d’autant plus déstabilisante et séduisante si on la corrèle au tout jeune âge de ses protagonistes. Avec presque deux fois l’âge de Calvin Keller, le frontman de Sinaïve, je n’ai que l’impression d’être moi au carré, une Super Jaimie des années 80 qui aurait repris de la potion magique Punk, raviverait tout ce qu’elle a emmagasiné de Ramones et de Spiritualized, de révolte contre un monde toujours, et plus que jamais, à déconstruire, pour nourrir un monde où Gilles Deleuze n’aurait pas sauté par la fenêtre, où Chat GPT n’existerait que dans le cerveau malade du méchant d’un album de Spirou, où Marguerite Duras n’aurait pas fini alcoolique. Sinaïve est venu me redonner l’ingrédient de base de l’élixir de vie, omniprésent dans la musique rock, ce rejeton nommé désir qui donne envie de racheter un blouson en cuir et de teindre ses cheveux blancs au henné rouge.


Répétition par Sinaïve est disponible chez Antimatière.

 

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