L’art de faire des albums à la fois populaires et exigeants est un noble sacerdoce très sous-estimé. Il est si agréable d’aimer immédiatement une chanson et d’en saisir la qualité d’écriture au fil des écoutes. Silk Sonic, le duo formé par Bruno Mars et Anderson .Paak, appartient à cette catégorie de musiciens pas si prolifiques que ça : les orfèvres de la pop. De Quincy Jones en passant par Electric Light Orchestra, Teddy Randazzo ou la Motown ; ils sont quelques uns à faire des merveilles dans le format imposé du couplet-refrain. Silk Sonic maintient en vie la tradition avec leur premier album An Evening With Silk Sonic (2021). En une trentaine de minutes, le chanteur perfectionniste et le talentueux batteur déploient huit chansons écrites, enregistrées et arrangées selon des codes plus anciens que l’âge du duo réuni. Loin d’être rétro ou un vulgaire pastiche, An Evening With Silk Sonic est une ode aux grooves ondoyants, une flamme intense de plaisir. Ce geyser de mélodies sucrées saturent les veines de douceur. Les deux musiciens convoquent le meilleur de la Philly Soul et des groupes vocaux des années soixante-dix. Qui aurait cru que nous pourrions citer les Chi-Lites ou les Stylistics dans une chronique en 2021 ? L’affaire sonne, en tout cas, merveilleusement bien.
Si les canons du genre sont respectés (glockenspiel, sitar etc.), l’album est définitivement daté en 2021. Comme Random Access Memories des Daft Punk quelques années plus tôt (2013), il célèbre un certain savoir-faire : le travail en studio, des détails peaufinés, un bel ouvrage offert. Les chansons s’enchaînent sans pause. La courte durée devient alors aussi une qualité. Il y a, en effet, quelque chose d’orgiaque dans cette profusion de mélodies accrocheuses comme du velcro. An Evening With Silk Sonic offre ainsi une expérience euphorisante. L’album se faufile comme un beau diable jusqu’aux moindres interstices du corps pour annihiler toute forme de résistance. Avec un casting trois étoiles (Bootsy Collins, Babyface, Thundercat etc.) Mars et .Paak ont déployé un arsenal de techniques éprouvées pour faire succomber. Les batteries ondulent au fil des chansons. La voix de Bruno Mars est, évidemment, fantastique. Bien sûr, cette technicité sans faute est presque perturbante et peut manquer d’aspérités, mais, pourquoi bouder son plaisir ? Silk Sonic nous demande leur faire confiance et d’abaisser nos défenses, pour mieux se laisser porter par les chansons. An Evening With Silk Sonic est rarement décevant. Les envolées funk seventies ne sont pas la spécialité du duo comme en témoigne la générique 777, seul véritable point faible du disque. Le groupe excelle, en revanche, dans les ballades grandioses et plantureuses comme les superbes Leave the Door Open ou Put On a Smile. Au-delà des titres conçus pour embrasser votre l’élu.e de votre coeur à la prochaine boum, Silk Sonic sait aussi provoquer la danse. Il est donc temps d’esquisser quelques pas sur l’irrésistible disco de Skate. Anderson .Paak et Bruno Mars se fendent aussi d’un très séduisant morceau boogie 80s, entre les Isley Brothers et The Gap Band, avec la fabuleuse After Last Night. L’affaire se termine sur un des sommets de l’album : Blast Off. Dans la lignée des grandes ballades d’Earth, Wind & Fire (After the Love Has Gone, Can’t Hide Love, That’s the Way of the World), Silk Sonic déroule, à une allure modérée, une chanson vibrante. Les moindres détails y ont été soignés jusqu’aux frémissantes modulations finales. La chanson conclut un album aussi minutieux qu’accessible, à la fois capable de toucher le grand public comme les amateurs de soul millésimée.
