Sextile : « Depeche Mode a sauvé ma vie »

Sextile
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Sur papier, Sextile semblait promis à un bel avenir. Fondé en 2015 à la suite d’une rencontre en rehab, le quatuor avait enfin trouvé la bonne formule avec leur single Current Affair et leur EP 3 sortis en 2018. Résumer leur son de l’époque à de l’EBM serait un peu réducteur tant leurs influences semblent dépasser les étiquettes. Si le projet était avant tout celui de Melissa Scutado et de Brady Kheen, le décès en 2019 d’Eddie Wuebben, membre fondateur, guitariste et joueur de synthé, a entraîné le split du groupe. Mais aussi sa reformation en 2022, comme le racontent de façon très touchante Melissa et Brady dans cette interview. De retour avec Push, énorme album en forme de déclaration d’amour à la musique qui les a construits (électro, punk, rave etc), le groupe réussit l’exploit de retranscrire en studio l’énergie qui fait d’eux l’un des meilleurs groupes de scène actuels. Le public de Petit Bain s’en souvient encore, on a cru à une tempête tellement le bateau tanguait. C’est d’ailleurs à cette occasion que nous avons rencontré le groupe au complet, pour parler de leur amour du son de Madchester, de leur expérience en studio dans le désert et de tatouage de Depeche Mode.

Push est votre premier album depuis 2017. Ce long break ne vous empêche pas d’avoir joué à guichets fermés cette année au Fonda Theatre à Los Angeles ou en France à Petit Bain. Avez-vous l’impression d’être passé à une autre dimension de popularité ?
Melissa : Le groupe est devenu plus connu après notre split en 2019. Je serais incapable d’expliquer pourquoi.
Brady : C’est sans doute lié à la pandémie. Les gens sont restés chez eux, ils ont eu le temps d’explorer de la nouvelle musique. C’est une véritable surprise. Nous n’en avions pas conscience. Je me souviens encore d’être dans un bar avec des amis, quand quelqu’un est venu me dire qu’il était vraiment content d’apprendre notre reformation. C’était surréaliste.
Mélissa : Ce qui m’étonne le plus c’est de constater à quel point nos fans ont changé. Le public est hyper varié. On y retrouve aussi bien des ados que des gens beaucoup plus vieux que notre ancien public. C’est la même chose au niveau du look.

Dans quel état d’esprit étiez-vous en entrant en studio pour enregistrer Push ?
Melissa : J’étais très motivée.
Cameron : Nous ne disposions que d’un temps très limité.
Brady : Nous avions un peu la pression car nous avions déjà réservé le Fonda Theatre à Los Angeles pour la release party avant même d’avoir enregistré la moindre note. En ce sens, le premier mot qui me vient pour résumer mon état d’esprit à l’époque est “frénétique”. Tout a dû se faire dans l’urgence.
Melissa : Heureusement nous avions recommencé à jouer ensemble pendant la pandémie. Nous avions quelques idées en tête. Le problème, c’est que nous savions juste que nous voulions reformer Sextile, sans savoir quand, ni comment. Et tout s’est fait en un claquement de doigts.

Est-ce pour cette raison que vous vous êtes isolés dans le désert pour enregistrer Push ?
Melissa : Oui, pendant une semaine. L’idée était de ne pas avoir de distraction. Ça nous a permis d’enregistrer une bonne moitié d’album.
Brady : C’était une expérience intéressante, mais je ne pense pas que nous le referons (rire).
Melissa : On s’est sincèrement ennuyé. Au moins, être dans une ville permet à ton esprit d’être stimulé !
Brady : Passé la surprise du début, dès que nous faisions une pause, tout le monde s’endormait. Nous avons largement rattrapé les heures de sommeil qui nous manquaient. A tel point que lorsque nous nous sommes aperçus qu’il ne restait que quatre jours de studio, nous avons commencé à paniquer car nous n’avions quasiment rien enregistré (rire).

Êtes-vous encore étonné de vous retrouver à jouer ensemble ? Vous parliez de discussions de reformation il y a quelques instants, mais tout le monde pensait que le groupe était séparé pour de bon.
Melissa : Sextile était du passé en ce qui me concerne. Eddie qui faisait partie du groupe est décédé en 2019, puis Cameron a quitté le groupe, il ne restait plus que Brady et moi. Nous nous sommes aussitôt concentrés sur d’autres projets. Et puis nous avons commencé à évoquer une reformation par respect pour Eddie. C’était un moyen d’être reconnaissant de tout ce qu’il avait investi dans Sextile. Quand les gens meurent, il est important d’honorer leur mémoire.
Brady : C’est à ce moment-là que je me suis aperçu que le projet Sextile avait bien plus d’importance que je ne le pensais. Continuer à faire vivre le groupe et à s’investir plus que jamais dedans était un bon moyen de témoigner de l’amour que nous avions, pour Eddie, pour nos fans, mais aussi, et nous l’avons découvert plus tard, pour nous-mêmes.

Vous semblez avoir des goûts et influences plutôt éclectiques. Comment cela se traduit-il lorsque vous composez et entrez en studio ? Qu’est ce qui fait la magie de Sextile ?
Melissa : Ça part dans tous les sens.
Brady : Nous discutons beaucoup lors de l’élaboration des chansons car nos goûts musicaux sont différents. Mais parfois ça fonctionne directement, comme avec le morceau New York.
Melissa : Souvent, j’essaie de penser à ce qui m’a influencé les jours précédents l’écriture. Ce n’est pas forcément de la musique, ça peut être une photo ou un film. J’admire un groupe comme Turnstile qui arrive à faire ressortir de la positivité et qui donne des concerts incroyables. Leur influence ne vient pas que de leurs chansons, mais de leur attitude. C’est ce que j’essaie de faire.
Cameron : La vibe dégagée est très importante pour nous.

Sextile / Photo : Sarah Pardini
Sextile / Photo : Sarah Pardini

Melissa, tu cites Screamadelica de Primal Scream comme une influence pour l’album. Pourrais-tu nous dire ce qui t’attire sur ce disque ?
Je rêverai d’écrire un essai pour en parler. Avec Primal Scream, ça part toujours dans tous les sens. Screamadelica te fait vivre une expérience, c’est comme partir en voyage. Il ne ressemble à aucun autre disque sorti avant ou après. Il n’a pas pris une ride. Sans doute parce qu’on y retrouve un mélange de plusieurs genres. Je pense qu’Andy Weatherall y est pour beaucoup car le groupe avait l’air d’être plutôt chaotique à cette époque. Avec Push, nous avons voulu créer du rock qui puisse être joué par les DJ’s dans des clubs.

Push donne vraiment l’impression d’être une déclaration d’amour à toutes les musiques que vous aimez. Vous confirmez ?
Brady : C’est exactement ça. Push nous a permis de recenser toutes nos influences et de voir comment elles pouvaient cohabiter. Je pense sincèrement que nous y sommes parvenus sur certaines chansons et j’ai vraiment envie d’explorer à nouveau ce mode de fonctionnement.
Melissa : A condition que le prochain album t’emmène dans un trip, qu’il soit plus cohérent que Push. Nous vivons dans un monde où les gens ont des déficits de l’attention et j’ai envie que notre musique les captive.
Brady : On se dispute souvent car je trouve le format single ou EP plus efficace. S’il n’y avait que moi, nous ne sortirions pas d’albums.
Cameron : Surtout pas Brady, on ne parlerait jamais de nous dans la presse. Ce format n’attire plus l’attention !

J’ai l’impression que les années qui ont précédé la formation de Sextile ont été plutôt compliquées pour vous. Vous avez-dû vous chercher un peu au moment de vos premiers enregistrements. Quand avez-vous eu l’impression d’avoir trouvé la bonne formule, celle que vous vouliez explorer ?
Melissa : Il m’a fallu beaucoup de temps. Probablement quand Cameron nous a rejoint et que nous avons enregistré Albeit Living. Juste après sa sortie en 2017, je suis tombée sur une de nos vidéos en concert et j’ai réalisé que quelque chose commençait à se passer.
Brady : Dès le début, je ne rêvais que d’une chose, jouer de la musique avec mes amis. Mais le process a été long. Il a fallu apprendre à s’enregistrer, à se produire en live. On tâtonnait. Avec Push, j’ai l’impression que nous atteignons notre but : avoir la même énergie sur disque qu’en concert.
Cameron : Ma situation est différente car j’ai rejoint Sextile en cours de route. Je n’aurais pas quitté mon job si je ne croyais pas en ce groupe. J’ai vraiment réalisé que nous avions franchi un cap supplémentaire quand nous avons joué à Paris, au Supersonic. Tout était en place et le public était dingue.
Brady : Cameron, je me souviens encore de toi à l’époque où tu étais systématiquement au premier rang de nos concerts (rire).

Vous clamez haut et fort votre amour pour le son de Manchester. Vous y êtes récemment allés pour y donner un concert. Comment avez-vous trouvé la ville et son ambiance ? 
Melissa : J’adore cette ville. Je fais systématiquement des visites dans des endroits iconiques, comme aller voir la maison d’enfance des frères Gallagher. Manchester a un côté aussi cool que dépressif. Je ne pense pas que je pourrais y habiter.
Brady : Nous avons joué à Manchester pour la première fois le jour de la mort de Mark E Smith. C’était dingue car le concert était dans un bar qu’il fréquentait régulièrement. Je n’ai jamais connu un lieu où il faisait aussi chaud. L’endroit était bondé. J’ai signalé au patron qu’il devait avoir des problèmes de toiture car de l’eau gouttait en permanence du plafond. Il m’a répondu de ne pas m’inquiéter, que c’était simplement de la sueur. Pour moi, c’est du 100% Manchester (rire).

Melissa, tu as souvent parlé de l’importance que Depeche Mode a eu sur toi. Sans qu’il soit un énorme vendeur de disques, on voue un véritable culte à ce groupe aux USA. Cela se remarque principalement aux concerts. J’ai l’impression que les fans de Sextile sont eux aussi extrêmement dévoués. Le confirmez-vous ?
Melissa : Oui, pas au point des fans de Depeche Mode. Il faut encore nous laisser quelques années (rire). Depeche Mode, ce sont mes Beatles. C’est un des groupes les plus importants au monde. Leur contribution à la musique synthétique est majeure, ils ont cassé des barrières tout en se classant à la tête des charts. A chaque fois que je les vois en concert, j’ai envie de pleurer. Ils me mettent en émoi. J’ai un tatouage tout pourri de Shake The Disease sur mon bras. A l’époque j’étais en dépression et j’écoutais cette chanson vingt-cinq fois par jour pour me sentir mieux. Et ça a marché. Ils ont sauvé ma vie.

Brady, tu t’es remis au sampling avec ton projet Panther Modern. As-tu également proposé des samples sur Push ?
Brady : Oui. Il y a notamment un sample d’une interview de Lou Reed au début de Modern Weekend. Sinon j’ai utilisé beaucoup de samples de batterie pour les breaks.
Cameron : Tu es également venu sampler des sons devant ma maison pour essayer de capturer l’ambiance de Los Angeles.
Melissa : C’est comme ça que tu as récupéré le son du camion du vendeur de glaces, c’est typique du son de la ville.

Sextile / Photo : Sarah Pardini
Sextile / Photo : Sarah Pardini

Quel type de musique jouiez-vous lorsque vous avez commencé à la considérer comme une option de carrière ?
Brady : N’étant pas un bon musicien, j’ai commencé ma carrière musicale avec un sampler. Animal Collective était ma principale influence. Je créais beaucoup de boucles. J’étais du style à enregistrer le son d’une bouteille posée sur une table et à en faire une chanson. Plus tard, j’ai un peu expérimenté avec le Dubstep et le Hip hop. Même si je galère un peu à la guitare et que je ne joue du piano qu’à une main, j’ai arrêté le sampling pendant longtemps car je voulais créer mes propres sons. Les samples ajoutent de la saveur à un morceau, il faut les utiliser comme un outil, mais en complément d’un instrument.
Cameron : Je passais d’un groupe punk sans intérêt à un autre.
Melissa : J’ai commencé à jouer de la guitare avec mon frère, à l’âge de neuf ans. Nous étions obsédés par Nirvana et on enregistrait dans différentes pièces de la maison pour trouver le son parfait. Ça m’a beaucoup aidé pour la suite de ma carrière.

Vous semblez tout gérer par vous-même, l’enregistrement de vos disques, le merch, etc. N’avez-vous pas été tenté de sortir Push vous-même plutôt que de faire appel à un label ?
Melissa : C’était l’objectif de départ. Et puis Sacred Bones nous a fait une offre. Ça nous a fait du bien de déléguer certaines choses car nous sommes des control freaks. Il y a des avantages et des inconvénients. Je suis par exemple soulagée de ne pas avoir à gérer tout l’aspect business.
Cameron : Et puis soyons lucides, personne ne peut gérer tout ça en interne.
Melissa : Avec du recul, je ne regrette pas cette décision. Sacred Bones a fait un travail pour Sextile qui va au-delà de mes espérances.
Brady : Ça me frustre un peu de ne plus m’occuper du côté business, de gérer les entrées et les sorties d’argent, les projets. Sincèrement, j’adore ça. Mais c’était la meilleure décision à prendre car nous sentions que Sextile allait nous prendre de plus en plus de temps et qu’il allait falloir se concentrer sur la musique.

Vous semblez pourtant très impliqués dans la partie visuelle du groupe.
Melissa : On s’est gardé cette partie-là effectivement. Que ce soit les sessions photos ou les vidéos. Le label intervient de temps en temps pour nous donner son avis. Mais ça ne me dérange pas. Nous sommes des artistes, nos idées partent un peu dans toutes les directions. Ça fait du bien d’avoir le regard extérieur de quelques personnes qui sont plus organisées que nous.


Push de Sextile est disponible sur le label Sacred Bones

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