Il y a des démons du passé, des cadavres décomposés dans le placard de la musique du messin Guillaume Marietta. De projets (A.H. KRAKEN, The Feeling of Love) nés dans le joug de La Grande Triple Alliance Internationale de l’Est, dont il a témoigné l’an passé à travers un documentaire percutant comme une balle dans le cœur, jusqu’à ce Handkuss Jesus paru ce mois, au nom d’artiste à propos en ces temps armés : Warietta. Un disque où ses mélopées graves / aigues, autant Bowie que Murphy, soulignent une fois encore le talent fou de songwriter du dandy dépité et dérangeant. Aussi synthétique que profondément rock (Si le rock voulait encore dire quelque chose, dit-il), la cartouche goth / wave jamais loin, ce nouvel album lacère nos derniers espoirs envers ce monde nauséabond avec flamboyance et noirceur. Excellente raison pour demander à ce personnage précieux et érudit quelques références de plus.
Selectorama : Warietta
Mon ami Seb nous a quittés il y a quelques semaines. Il était aussi mon compagnon au sein d’AH Kraken et The Feeling of Love pendant des années. Nous avons pour ainsi dire grandi ensemble.
Il avait ce projet solo, Esse (ou Hess ou encore S.) que j’ai toujours trouvé superbe. J’étais halluciné qu’il parvienne à créer ce genre de magma sonore avec simplement un vieux synthé Yamaha pour gamin, une pédale de disto et un delay. Sa musique est, pour moi, très inspirante. Il ne jouait et enregistrait que rarement. Il était le plus humble d’entre nous. Back Blood n’est pas son morceau le plus représentatif, mais un de ses plus vieux, un de ses plus bricolés aussi, et un de ses plus violents. J’aime le mettre dans une playlist ou le passer en dj set puis partir discrètement fumer une clope. Il est tellement fort par rapport aux autres titres que systématiquement les gens sursautent et pètent un plomb. Et moi je peux l’écouter de l’extérieur sans problème.
Seb était aussi un passeur. Il m’a initié à énormément de groupes et d’artistes (sans compter les films); U.S. Maple, Palace, Silver Jews, Autechre, etc. Et donc cet album de Gastr Del Sol, Camoufleur. On faisait nos études à Nancy à l’époque et on l’écoutait fréquemment sur l’autoroute dans sa vieille Deux Chevaux. Quand on entend The Season’s Reverse pour la première fois de sa vie, on se demande comment cette chanson peut tenir debout. On dirait qu’aucun instrument ne joue ensemble, que rien ne colle. Pourtant ça fonctionne à fond, et ça reste une très bonne chanson Pop, presque « classique ». Et le final en forme de field recording durant lequel on entend des enfants jouer avec des pétards m’émeut toujours profondément. La voix d’un adulte (probablement David Grubbs) leur demande, en anglais, si ça ne les dérange pas qu’il les enregistre. Les enfants ne comprennent rien (ils parlent français) et lui rétorquent en retour : « Vous partez quand ? »
Merci Seb.
Je suis mega fan de cet enregistrement sorti initialement sur cassette en 1983 si je ne dis pas de conneries. Je ne sais plus trop comment j’ai croisé la route de Cosey Fanni Tutti. Je connaissais Throbbing Gristle comme beaucoup et un peu COUM mais tous les protagonistes semblaient rester dans l’ombre envahissante de Genesis P-Orridge. En tout cas, je suis tombé amoureux de cette pièce sonore. Cosey a une manière très intuitive de faire de la musique qui parvient à sortir du jeu des références. Ça vient peut être de ses premières armes dans le mail art et la performance. Avec Time To Tell, elle réussit à créer un enchevêtrement d’espaces mentaux basés sur des collages, des textures et des ambiances sonores.
Je suis en train de finir de lire son autobiographie Art Sex Music et j’espérais qu’elle revienne plus en détails sur la conception de cette cassette. Mais quasiment pas. Elle fait les choses et basta.
Compliqué pour moi de parler de ce monument. Peut-être parce que les compositions d’Eliane Radigue sont entrées dans le champ des musiques dites savantes et que pour écouter sa musique il faut se rendre dans des endroits institutionnels qui m’intimident. Je ne sais pas.
Pourtant, je trouve sa musique très accessible comparée à d’autres liées aux mouvement minimalistes et/ou drone. Je ressens quelque chose d’éminemment terrestre chez elle, organique, spirituel d’accord mais absolument pas intellectuel. Comme si elle était parvenue à ramener la musique à sa forme la plus simple, la plus juste.
Je ne vais pas m’étendre là dessus. Écoutez les 3 mouvements de Trilogie De La Mort du début à la fin. Ça dure 3 heures mais vous ne le regretterez pas. On peut dessiner ou peindre ou s’occuper de ses plantes pendant ce temps si vraiment on ne peut pas rester en place.
J’aurais pu choisir une chanson de Peaches un peu plus originale. Mais il y a tellement déjà tout pour moi ici.
Le souffle dégueulasse sur l’intro, le kick et les claps bien cheap et cette crash infecte qui vient te gifler. Je m’en suis énormément inspiré dans ma période solo de The Feeling of Love.
Et cette personne qu’on entend gueuler dans la room à 0″45! J’adore ces prises de son à l’arrache et tellement vivantes.
J’écoutais très peu de son électronique quand Thomas de Scorpion Violente m’a fait découvrir Peaches alors qu’on mixait notre premier EP de AH Kraken.
Ça a été un coup de poing dans la gueule. La seconde secousse sismique après le premier séisme Ghost Rider de Suicide. Ou la troisième si je compte Der Mussolini de DAF.
J’ai complètement laissé tomber Dylan pendant l’écriture et l’enregistrement de Handkuss Jesus. Enfin! J’arrêtais de l’avoir dans mon rétroviseur. Maintenant je peux revenir à lui. Je me souviens de Neil Young disant dans son autobiographie qu’il avait arrêté de l’écouter à une époque pour éviter d’être parasité.
Il y a quelques jours, je suis tombé sur ce live que je ne connaissais pas. Encore une fois, il démontre comment on peut manipuler comme de la pâte à modeler nos propres chansons. C’est un maître en la matière. Et aussi cette élasticité dans la diction. Je reste, malgré ce que j’ai dis plus haut, collé à lui. C’est une affaire de chewing gum. Dylan sait le faire. Lou Reed, Mark E. Smith aussi. John Lydon sur les premier PIL. Je n’ai pas trouvé d’équivalent en France (et ne me parlez pas de Gainsbourg ou Bashung). D’une manière différente, Catherine Ringer et Mylène Farmer ont réussi à re-texturer le français oral de manière étonnante. Je suis toujours surpris quand je les réécoute.
Une dernière chose. Un nouveau biopic serait en préparation sur Dylan. Il semblerait qu’on retombe encore et toujours sur son soi- disant âge d’or des années 1960’s. Je déteste les biopics. Je déteste cette mystification des artistes. J’aimerais voir un film sur les années 1980’s de Dylan. Les années méprisées. Un film où il ne se passerait rien. Zéro héros. Juste des gens qui cherchent et semblent sur le banc de touche.
Pour jouer en live les chansons de l’album Handkuss Jesus, j’ai demandé à deux amis de Metz, Rod Delaunay (aka Le Chat Vampire & Rodorama) et Gaël Canton (aka Josy Basar) de se joindre à moi. Pendant toutes nos répétitions nous avions cet air en tête et on le sifflait en installant nos instruments. Mais aucun de nous ne pouvait se souvenir ce que c’était, ni d’où ça venait. c’était un enfer. Ça a duré des semaines. On a fini par trouver en chantant la mélodie sur une appli Google. Ça a été un soulagement et en même temps c’est horrible. Où est passé notre cerveau et notre banque mentale respective ? Et pourquoi est-ce qu’on chantait ça alors qu’on ne l’avait jamais écouté ensemble ?
J’ai 10000 ans de retard quand je mets enfin une oreille sur This Heat. C’était cette année 2024. Je ne comprends pas pourquoi les connexions nerveuses n’avaient pas opéré avant. Une claque. Ils étaient en avance sur tout le monde en termes de composition pop avec cette chanson et plus généralement avec l’album Deceit dont elle est issue. Peut être parce que justement ils ne pensent pas en termes de chanson pop et que ça advient malgré eux. Comment peut-on bâtir une mélodie vocale comme celle-ci sur une instru aussi sèche, syncopée et dissonante? J’ai encore énormément à apprendre.
Comme beaucoup de personnes, une chanson qui m’habite depuis la première vision de Lost Highway de David Lynch. Et qui m’a servi de phare dans mon travail sur l’album Handkuss Jesus. David Bowie était un excellent chanteur, j’ai le sentiment qu’on ne le rappelle pas assez. On mentionne toujours son côté caméléon et autres caricatures de ce genre mais écoutez comment il parvient toujours à faire évoluer sa voix au sein des sonorités musicales qu’il emprunte. C’est extrêmement riche. Comme pour Cenotaph de This Heat dont je parlais plus haut, sa voix parvient à se créer un espace propre qui joue avec et en dehors de la musique. On dirait un solo de trompette de Miles Davis. J’ai tenté de percer le mystère de cette chanson en retranscrivant maladroitement la basse et le synthé. C’est peine perdue. Et d’une certaine manière je n’ai pas envie d’y arriver.
C’est la fin. Je ne suis pas très à l’aise avec cet exercice de Selectorama. J’aime énormément partager. Mais plus à l’oral, avec une personne en face de moi. J’aurais pu parler d’Exek qui est à mon goût le plus singulier des groupes actuels, sur disque et en live. Ou de Life’s what you make it de Talk Talk, chanson pleine d’espoir dans un écrin de noirceur. Mais en tant que groupie de Lynch j’en reviens encore et toujours à Twin Peaks, The Return. Dark Space Low clôture les 18 heures particulièrement intenses de ce film monde. On aurait pu s’attendre à quelque chose de plus long, de plus emphatique mais il n’en est rien. C’est très court, minimal, avec toujours cet art délicat du synthétique et de l’acoustique propre à Badalamenti. J’ai beaucoup pleuré depuis 2017 en l’écoutant. Ce sentiment d’être abandonné à soi-même quand elle nous tombe dessus. Nous qui regardons, mais aussi Dale Cooper et Carrie Page, perdus dans la nuit face à la maison qui était autrefois celle de Laura Palmer. C’est un cadeau qu’il faut prendre à bras le corps.
Luca (Ventre de Biche) vient de publier sur bandcamp un album enregistré en 2019 (mais resté inédit !), en compagnie de Esse sous le nom de Double Messieurs, en hommage aux films de Jean-François Stévenin que j’ai découverts grâce à Seb (encore lui !)
Du bon son brut pour les truands.