Originaire de Sheffield où il jouait au sein de son premier groupe garage-psych-country-soul The Jesus Loves Heroin Band, Nick Wheeldon débarque à Paris en 2012, et à depuis su montrer son talent et son hyperactivité auprès de Os Noctàmbulos, Sex Sux, Necessary Separation et autres 39th and the Nortons. Il compose également en solo de magnifiques balades pop qu’il a sorti récemment sur l’album Communication Problems (Mauvaise Foi / Le Pop Club Records). Parallèlement, Nick organise également des concerts sous le nom de Silence Kills à la Pointe Lafayette à Paris ou tout un essaim de groupes ont pu jouer dans cette cave microscopique où les murs suintent déjà de souvenirs mémorables. Durant le premier confinement, Nick à composé seul une série d’albums dont Everybody’s Trying To Fuck, I Just Want To Make Love est le premier à voir le jour. Il s’entoure de quatre compères Bordelais : Stéphane Gillet (Bootchy Temple), Chop (Prêcheur Loup) et Jules (Cockpit) pour l’enregistrement, et décident collectivement du grain à donner à l’ensemble. Ils forment dans la foulée Nick Drunken Broken Arms And His False Dylan Cobb et accouchent de ce brûlot urgent et incandescent qui sent bon l’Angleterre de Billy Childish comme sur Do You, mais aussi la ballade mélodique (Window Shopping) dont lui seul à le secret de composition. Le groupe prévoit de jouer live début 2022, et ne s’interdit pas de composer ensemble… encore un nouvel album. Pour ce Selectorama , Nick et Stéphane nous livrent leurs influences sur dix titres qu’ils ont choisi ensemble.
Nick
01. Love As Laughter, Stay Out Of Jail
02. John Prine, Clocks & Spoons
03. Big Star, Kangaroo
04. Compulsive Gamblers, Two Thieves
+ Bob Dylan, Changing Of The Guards
05. Big Thief, Not (Live)
Stéphane
06. The Magnolias, When I’m Not
L’année de mes 25 ans sortait ce petit disque. Je l’ai acheté d’abord sur la foi d’un label, Alias records, dont j’avais quelques exemplaires dans ma discothèque, surtout le Slow des Sneetches qui valait pour moi tous les crédits du monde. Ensuite, sur la foi de cette pochette que j’avais trouvé méchamment classe. Depuis 92, il revient régulièrement sur la platine. Le petit disque est devenu indispensable. J’aime cette voix à la Peter Perrett, ni réellement juste, ni réellement fausse, l’urgence musicale, le son, le fait qu’il n’y ai pas, ou peu, d’overdub…
C’était pour moi une des quintessences du premier album, enregistré par quatre gamins, jeté à la face du monde en se foutant totalement des formats qui régissent le commerce. Je ne savais pas encore, à ce moment là, que c’était leur quatrième et qu’ils allaient déplier ce « principe » jusqu’à leur dernier, en 2011. Les Nick Drunken se sont formés par mail le lundi, l’enregistrement à commencé le samedi et quelques petits jours plus tard on l’a terminé. A l’heure où j’écris ces lignes, nous n’avons toujours pas fait de répétitions. Il était évident que l’instinct allait prendre le pas sur le travail et la réflexion, et qu’on allait, nous aussi, se foutre totalement de ce à quoi ça allait ressembler et dans quel format cela pouvait s’insérer. On place les micros et en avant. J’ai fini par faire écouter Off The Hook à tout le monde tellement le parallèle me paraissait évident. Vingt-neuf ans séparent ces deux albums, peut-être ai-je enfin enregistré le long format que je rêvais d’enregistrer quand j’étais chiot.
07. The Legendary Stardust Cowboy, Relaxation
Quand on est musicien, on est tous un peu maniaque du contrôle. Du moment où on plaque trois accords sous une mélodie de chant, on imagine déjà tout ce qui suit, arrangements, chœurs, d’autres instruments, les pâtes de son, tellement de choses… Là, nous avions peu de temps, pas de répétitions, il a fallut l’abandonner le contrôle, on s’est fait confiance, on s’est occupés des notes, de ce qu’on savait faire et rendez-vous au bac à sable.
08. Danny & Dusty, Song For The Dreamers
Danny and Dusty c’est Dan Stuart, des Green On Red et Steve Wynn du Dream Syndicate accompagnés de quelques membres des groupes susdits et de quelques autres des Long Ryders. Cet album a été enregistré en un week-end pendant lequel l’alcool a coulé à flot. Le titre, Lost Week-end, est un terme anglo-saxon pour un week-end de cuite. Mais Danny and Dusty, c’est surtout une vraie histoire de potes. Des gens qui décident de monter un groupe pour aucune autre raison que le fait qu’ils s’aiment bien, et de l’enregistrer en deux jours de beuverie. Nous avons monté ce groupe pour les mêmes raisons et, euh, débouché pas mal de bouteilles. Juste que l’enregistrement a duré un peu plus de deux jours.
09. Gutterbal, Motorcycle Boy
Ah tiens, encore un groupe éphémère de Steve Wynn, encore avec un membre des Long Ryders, plus les deux membres de House Of Freaks et un des Silos. Il y a une histoire qu’on m’a raconté par deux fois, je ne sais si elle est totalement vraie, mais je l’aime bien. Après quelques concerts et suite à une répétition arrosée, les Gutterball appellent un studio et s’y rendent illico en fin d’après-midi en rapatriant toutes les bouteilles qu’ils peuvent sur le chemin. L’enregistrement se finit, au top de la cuite, quand l’un des bonhommes, aviné, joue à Tarzan avec une corde au dessus d’un gros trou dans le sol du jardin, tombe dedans et se casse un os. Hips ! C’est dans cette chanson que j’entends le plus l’alcool, à tort ou à raison, et c’est sûrement celle que je préfère de Gutterball, peut-être pas pour cette raison. On ne va pas s’en cacher, l’alcool fait partie intégrante d’Everybody’s Tryin’ To Fuck I Just Want To Make Love. Le nom même du groupe y fait référence. Et tous les soirs, après quelques boutanches, on lui rajoutait un mot. Si ça avait duré trois semaines, il n’y aurait plus eu assez de place sur la pochette. Je me rappelle encore du moment ou Nick m’a sorti avec son accent anglais à couper au couteau, se trompant systématiquement sur le masculin et le féminin de chaque mot : « Il y a oune trouc que je d’jamais faite, c’est faire mon prise de chanter complètement bouwé ! ». Dont acte. Il a commencé ses chants à onze heure du matin en ouvrant une bouteille, et quand on a fini, on a refait les premières chansons parce qu’il n’y était pas encore « bouwé ». Quand à moi, investi dans la technique, il me fallait faire un peu attention, mais on peut dire qu’avec Jules et Antoine, on sortait les bouteilles vers 16h. Je pourrais aussi raconter la séance photo pour la pochette qui a commencé à midi et dont on ne connaît pas vraiment l’horaire de fin. Disons bien tard dans la nuit. Tout ça sous le regard plus qu’amusé de Charlotte, la photographe. Au moment précis où la photo est prise, on ne maîtrise déjà plus vraiment nos mouvements, l’album des Spice Girls tourne en boucle à fond sur la hi-fi, le salon est devenu un capharnaüm sans précédent, impossible de marcher sans écraser un truc ou un autre, on fait n’importe quoi, complètement ivres, on danse, on rampe, et les potes qui sont venu nous faire coucou et fêter ça avec nous se pissent dessus de rire. Je me demande encore comment Charlotte a pu faire un truc aussi bien avec une telle équipe de bras cassés.
10. Alex Chilton, The Emi Song (Smile For Me)
Je ne crois pas que nous en ayons vraiment déjà parlé entre nous, mais il me semble que nous sommes tous fans d’Alex Chilton. Personnellement, il me suit depuis 1986, date à laquelle je l’ai vu au Babylone à Bordeaux. Des Box Tops à la toute fin de sa carrière solo, je dois avoir un pourcentage non négligeable de sa production discographique.
Cette chanson, The EMI Song, je l’entends très nettement dans Take, take, take. Je sais, elles ne se ressemblent pas du tout. Les biais cognitifs, les jeux d’influences artistiques, ce petit truc dans une chanson qui nous renvoie à une autre sans que l’on comprenne pourquoi reste un mystère pour moi. Tant mieux je n’ai pas l’intention de le résoudre. J’ai, une fois, fais un lien crédible, sous un regard médusé, entre Pet Sounds des Beach Boys et In The Nightside Eclipse du groupe de black metal Emperor.
Je n’ai pas écrit les chansons des Nick Drunken, ni Jules, ni Antoine. Elles sont toutes de Nick, et chacun d’entre nous est bien responsable de la mise en forme et de ce qu’il apporte dans ses bagages. J’ai un métier, je suis réalisateur artistique. Je suis là pour habiller, dénuder. Et je n’ai qu’un but, que les disques sur lesquels je travaille vous accompagnent toute votre vie, comme ceux d’Alex Chilton m’ont accompagnés toute la mienne. Dans ma conception de ce travail, un réal doit avoir beaucoup de disques et beaucoup d’idées, le deuxième n’allant pas sans le premier. Pas besoin d’être un grand musicien, pas besoin d’être un monstre de technique ou de solfège. J’aime beaucoup quand un album a des influences claires. Mon premier réflexe est de les rendre visibles, évidentes, sous forme d’œufs de Pâques ou de citations. Et puis de les faire mentir un peu, histoire que le chemin ne soit pas si simple… Ce n’est pas une recette, c’est un réflexe, une partie de mon modus operandi plus ou moins conscient. Quand vous écoutez une chanson et qu’elle vous renvoie à une autre sans que vous sachiez pourquoi, vous êtes déjà en train de la tutoyer, lui parler. Elle vous répond, et la discussion commence. Si tout se passe bien, elle durera toute votre vie. Parfois, j’ai l’impression d’avoir réussi mon coup, comme pour Take, take, take qui me renvoie à The EMI Song, chanson qui d’ailleurs me renvoie systématiquement à Hello Goodbye des Beatles sans que je ne sache pourquoi.